
Abderrahman El Andaloussi est actuellement CDO du Groupe Bank Of Africa (filiale du Groupe BMCE en charge des filiales d’Afrique Subsaharienne). À travers son passé de consultant en stratégie, il est intervenu, pendant 6 ans, aussi bien auprès du secteur public qu’auprès d’organismes privés, avec une spécialisation sur le secteur financier. Il a rejoint le Groupe BOA il y a deux ans et demi, et cela fait maintenant un an qu’il occupe le poste de Chief Digital Officer du Groupe. Il est donc idéalement placé pour aborder la transformation digitale du Groupe Bank of Africa, ses réalisations et ses ambitions en Afrique.
M. El Andaloussi. Tout d’abord, quel est le rôle d’un « Chief Digital Officer » dans une institution bancaire telle que le Groupe Bank Of Africa ?
M. El Andaloussi : Au sein de Bank Of Africa, le poste de CDO concentre à la fois des dimensions stratégiques, opérationnelles et commerciales afin de montrer aussi bien en interne qu’en externe l’importance que donne notre groupe à sa transformation digitale. Le CDO est ainsi chargé de l’élaboration de la stratégie digitale, du suivi de sa mise en œuvre, aussi bien par la Direction IT en central que par les banques, et enfin du suivi des taux d’équipement, d’utilisation et du résultat généré par les canaux digitaux.
Quelle est la stratégie digitale mise en œuvre par BOA ? Sur quels axes ou piliers s’appuie-t-elle ?
La stratégie digitale mise en œuvre par BOA repose sur 3 piliers principaux :
– D’abord sur notre maillage territorial. Comme l’indique le nom de notre groupe, être panafricain fait partie de notre ADN. La stratégie digitale permet, au-delà de l’expansion territoriale continue du groupe, de créer du liant entre nos filiales, pour permettre à nos clients, au bout de notre feuille de route, d’utiliser l’intégralité de nos services où qu’ils se trouvent dans nos pays de présence.
– Le second point est d’améliorer l’expérience utilisateur. Ici notre rôle est de nous mettre dans la peau de nos clients, d’où la multiplication d’évènements pour présenter nos outils et échanger avec eux, car le feedback que l’on reçoit est la moelle essentielle à l’amélioration continue de nos produits et services.
– Le dernier point, la transformation culturelle en intene, est l’essence même de notre stratégie. Le but n’est pas seulement d’atteindre l’excellence opérationnelle de nos collaborateurs, mais réellement de transformer la manière dont on interagit avec les clients. En effet, dans l’agence de demain, le client n’aura plus besoin de se déplacer pour réaliser la majeure partie de ses opérations récurrentes. Il aura en revanche besoin de pouvoir contacter sa banque à tout moment via son canal préféré, et il aura surtout besoin, lors de ses déplacements en agence, de trouver du conseil et de l’expertise pour ses projets.
L’ADN de BOA étant son ancrage dans de nombreux pays d’Afrique, dont certains ont connu une évolution exponentielle du digital. Quels sont les enseignements que vous en retirez ? Existe-t-il des modèles ou « success stories » notables dans les pays d’implantation de BOA ?
Le premier enseignement à tirer est le fait que la technologie ne s’impose pas aux utilisateurs, c’est le besoin des clients et leurs usages qui sont à l’origine des services développés pour eux. Si l’on prend l’exemple de l’Afrique de l’Est, le Kenya avec Mpesa a connu un développement spectaculaire du mobile money sur son marché 10 ans avant le début de son adoption en Europe. Le succès de Mpesa s’explique par plusieurs facteurs : la difficulté en 2007 d’envoyer de l’argent dans les zones reculées du pays, le faible taux de bancarisation, une forte pénétration du téléphone mobile et enfin l’autorisation de la Banque Centrale Kenyane de l’arrivée d’un opérateur téléphonique dans le secteur des transferts à une époque ou quasiment aucune autre banque centrale ne l’autorisait. Depuis quelques temps, les chiffres publiés par la banque centrale kenyane montrent deux courbes avec des tendances inverses : les transactions réalisées par mobile money continue d’augmenter tandis que celle des cartes bancaires périclitent.
Au sein du Groupe BOA, nous opérons de manière schématique sur trois zones : l’Afrique de l’ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est (sans oublier Madagascar qui est l’un de nos plus grands marchés). L’enseignement principal est de ne pas chercher à répliquer les modèles d’un pays à l’autre. Nos pays de présence sautent tous des étapes de développement dans un domaine ou dans un autre, mais parler de marché africain est un abus de langage car nous opérons sur un marché hétérogène.
Le Groupe BOA a lancé récemment une nouvelle solution d’Internet Banking à travers des séminaires en Afrique de l’Ouest. Pouvez-vous nous en expliquer la teneur ? Comment est-ce que le Groupe s’attaque aux contraintes de déploiement multi-pays ?
Le lancement de la nouvelle solution d’Internet Banking dépasse le seul outil en lui-même. En effet, aujourd’hui nous permettons à nos clients d’utiliser des canaux digitaux pour effectuer la majeure partie de leurs opérations récurrentes, mais nous avons beaucoup de nouveautés à venir en termes de produits et services. Le séminaire que nous avons tenu à Dakar, Abidjan, Niamey et durant les deux prochaines semaines à Kinshasa et Cotonou puis dans l’ensemble de nos pays de présence a deux objectifs :
– Le premier est d’exposer notre stratégie digitale à nos clients Corporate et PME et de leur expliquer que la nouveauté a été la construction In House par nos équipes de développeurs d’une solution bac à sable. Nous avons énormément travaillé pour développer une solution unique à l’ensemble de nos pays, qui s’intègre aisément à notre Core Banking et qui permet surtout de pouvoir développer, délivrer et déployer rapidement de nouveaux produits et services au niveau de toutes nos filiales. Nous avons une roadmap pleine sur les 3 prochaines années.
– Le second point est que cette roadmap bouge, et c’est exactement le but de ces séminaires. Nous avons été agréablement surpris par le fait que nos clients sont attachés à notre banque et à l’amélioration de ces services. Pendant ces sessions qui ont regroupé plus de 700 personnes, nous avons recueilli les remarques et les besoins de nos clients que nous avons priorisés dans notre feuille de route. Ces sessions durant lesquelles nous recevons parfois du feedback à l’état brut de nos clients sont primordiales, car comme le dit Bill Gates «vos clients les plus insatisfaits sont votre plus grande source d’apprentissage».
Quels sont selon vous les prochains « leap frog » que les pays africains peuvent connaitre dans les années à venir compte tenu des tendances de fond au niveau mondial telles que la blockchain, l’intelligence artificielle ou encore les Fintechs ?
C’est la question à un million de dollars à laquelle tentent de répondre l’ensemble des fintechs présentes sur le territoire. Il y a un véritable foisonnement d’initiatives de startups que ce soit à Casablanca, Dakar, Abidjan, Lagos, Nairobi ou Johannesburg. Tous ces acteurs pensent tenir le prochain «leapfrog» pour devenir la future licorne africaine. L’important pour nous en tant que banque, et ma mission en tant que CDO, est de toujours nous intégrer dans ces écosystèmes, ne pas considérer les «fintech» comme des concurrents, mais comme des partenaires et d’être un «early adoptor» de la prochaine grande innovation. Pour revenir à la question, je pense sincèrement que la prochaine grande innovation proviendra de l’Intelligence Artificielle car nous sommes aujourd’hui, même dans les banques les plus avancées au niveau mondial, aux balbutiements de cette technologie. Mais elle posera également la question de la confidentialité des données, car l’IA flirte en permanence avec la confidentialité que nous devons aux consommateurs. Je dirais donc que le prochain «leapfrog» proviendra de la «fintech» qui saura créer une IA qui apporte de la valeur au client tout en traitant de manière responsable ses données.
Propos recueillis par
Zouhair Yata