par SAFAA ELAABBASSI
Psychologue clinicienne, Psychothérapeute
Spécialisée en psychopathologie et psychologie clinique de travail
Professeur Vacataire de Psychologie
Dans un monde moderne où le système économique est basé sur le capitalisme, le marketing a dû repenser ses stratégies traditionnelles, pour capter l’attention des consommateurs et de se différencier dans un secteur où la concurrence est intense. A partir de 2002, le neuromarketing a vu le jour, pour percer les mystères de notre cerveau, afin de comprendre exactement comment se réalise le choix d’un tel ou tel produit, et comment le cerveau humain prend inconsciemment des décisions de consommation, le tout dans le but d’influencer les choix des acheteurs également de manière inconsciente.
On considère que les méthodes de marketing classiques sont les publicités imprimées, télévisées, à la radio, par téléphone, ou l’usage des panneaux d’affichage, l’envoi des courriers, ou encore le fait d’offrir des échantillons gratuits, etc.
La problématique est que tous ces stratégies conventionnelles sont superficielles, et se font de façon aléatoire, souvent sans obtenir l’effet escompté. C’est grâce à l’aide des chercheurs en neurosciences et psychologie, que les marketeurs vont réaliser que les émotions, les schémas, et les processus cognitifs qui comportent de nombreuses composantes subconscientes, sont les capitaines des comportements de consommation.
Depuis ces décennies, les chercheurs en marketing se concentrent sur la compréhension du cerveau humain, une tâche extrêmement difficile, au moyen des techniques de la neuroimagerie, en particulier l’Electroencéphalographie EEG, l’Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMf, et le Magnétoencéphalographie MEG. Ces techniques servent à mesurer l’activité cérébrale, et a compter la vitesse à laquelle un sujet pourrait acquérir des informations par la pensée et par les émotions, ainsi qu’à localiser précisément où les neurones se déclenchent dans le cerveau, lorsqu’il s’agit de l’achat d’un produit.
Il est aussi intéressant d’apprendre que nous n’utilisons consciemment qu’environ 20 % de notre cerveau. Du coup, approximativement 80% du cerveau sont exploités de façon inconsciente et automatique.
Ces découvertes scientifiques frappantes ont conduit à la conclusion que le cerveau humain ne comprend pas les messages complexes, et cherche à éviter la douleur plutôt que les sensations fortes. Ainsi, il est capable de traiter des stimulus visuels, sans utiliser le cortex visuel. C’est pourquoi nous préférons les images au texte, et les expériences aux explications.
Qu’est-ce que cela signifie pour le neuro marketing ? En premier lieu, cela signifie que l’idée de demander au consommateur ce qu’il pense d’un produit, à travers des sondages par exemple, ou d’un entretien en face à face, est trompeuse. Car, justement, les consommateurs pourraient ne pas déclarer ce qu’ils pensent vraiment, voire être réellement incapables de décrire leur propre processus cognitif, composé de nombreuses composantes subconscientes.
Ainsi donc, la vraie prise de décision est gouvernée en même temps, par des processus cognitifs et affectifs. « Sans émotion, il n’y a pas de décision rationnelle possible », comme l’a écrit le professeur en neurosciences Damasio. Or il s’avère que ce que le neuromarketing a conclu avoir besoin d’étudier le cerveau de l’être humain pour savoir envoyer des messages spécifiques au subconscient, et pousser le consommateur à faire ses décisions d’achat, comme les marques souhaitent sans que l’acheteur s’en rende compte. Il s’agit d’ajuster l’impact émotionnel dans les publicités, le choix de couleurs des produits bien étudié, ou l’usage des odeurs quand il s’agit de fast-food, ou du choix soigneux des saveurs, avec des goûts qui stimulent les parties du cerveau responsables des émotions.
Revenons un peu en arrière : en 1999, le chercheur North et son équipe ont réalisé une étude sur les fonctions de la musique quant à la prise de décision. Ils ont placé des vins allemands et français sur un rayon, en leur accordant le même espace dans le magasin, et ils ont diffusé de la musique française et allemande en alternance pendant deux semaines. A la sortie du magasin, ils ont interviewé les consommateurs pour savoir quel vin ils avaient acheté et pourquoi. Le résultat était que lorsque l’on jouait de la musique française, le vin français se vendait trois fois plus, et pareillement, lorsque la musique allemande était diffusée, le vin allemand était plus vendu. Bien que 86 % des acheteurs aient déclaré que la musique n’a pas influencé leur décision d’achat. Cela signifie que les gens n’avaient pas conscience de ce qui les influence pour acheter ce vin. Une autre étude a été conduite sur les préférences entre les marques de soda Pepsi et Coca-Cola, dans laquelle il y a eu deux tests. Pour le premier test, on faisait déguster des échantillons de chaque boisson, sans que les sujets ne sachent de quelle marque il s’agissait. Dans le second test les sujets ont dégusté des échantillons en révélant seulement l’une des deux marques de soda. Lorsque les consommateurs n’avaient pas connaissance des marques, les sujets n’avaient pas de préférence pour l’une ou l’autre des deux boissons, car dans le cerveau la zone du Putamen était activée. Cette zone est responsable des valeurs gustatives et du plaisir. Par contre, lorsqu’il savait qu’ils buvaient du Coca-Cola, une nette préférence pour ce soda était exprimée soudain. Ce sont d’autres régions du cerveau qui était enclenchée comme l’hippocampe, le cortex préfrontal ou encore le tronc central, car le Putamen était en retrait lorsque l’on informe le cerveau qu’il boit du Coca-Cola (McLure et al, 2004). En plus de ceci, il existe de nombreuses autres études en neurosciences qui ont prouvé que les émotions sont l’épine dorsale du processus de prise de décision.
Des marques ont bien assimilé ces conclusions et se sont servies de ces données pour rendre les clients accros à ces produits, par exemple par l’utilisation des odeurs artificielles dans leur produits pour augmenter leurs ventes, car l’odeur part directement dans la zone des émotions dans le cerveau sans passer par le filtre de la raison. Les designs d’emballage avec des couleurs vives et des images activent également davantage les zones du cerveau liées au plaisir et au désir, tel que pour les produits de beauté. Cela permet de déterminer quelles textures, parfums, ou compositions suscitent des réactions positives et quelles caractéristiques sont les plus attrayantes pour les consommateurs.
Même l’algorithme des publicités a bien été touché par la révolution de la neuroarketing, car les éléments visuels, musicaux ou narratifs de la publicité qui suscitent des émotions positives et mémorables sont choisis de manière très soignée. De plus, l’étude de l’impact des couleurs, des formes et des mots montre qu’ils créent une expérience émotionnelle et amènent à attribuer un sens symbolique au produit. Les couleurs peuvent être soigneusement sélectionnées pour évoquer des émotions spécifiques, par exemple en utilisant le bleu pour inspirer la confiance ou le rose pour évoquer la douceur. Les formes et les designs peuvent être utilisés pour renforcer l’identité de la marque et susciter des associations positives, tandis que les mots et les slogans peuvent être choisis pour raconter une histoire ou pour évoquer des valeurs qui résonnent avec les aspirations du consommateur.
Cette approche vise à créer une connexion émotionnelle entre le consommateur et le produit, à stimuler la mémorisation et à renforcer la fidélité à la marque. Par exemple, une marque de parfum peut choisir des éléments visuels et narratifs dans sa publicité pour transporter le spectateur dans un monde de glamour et de séduction, associant ainsi le produit à un rêve de luxe et d’attraction.
L’objectif ultime est de faire en sorte que le produit dépasse sa simple fonctionnalité pour devenir un symbole de désir, une expression de l’identité du consommateur ou une histoire personnelle à laquelle il peut s’identifier. Cela peut influencer les décisions d’achat et renforcer la relation entre la marque et le consommateur, ce qui peut être bénéfique à long terme pour l’entreprise.
Néanmoins, la problématique de l’éthique s’impose dans le cadre des recherches de neuromarketing, car la science n’a jamais été au service de la manipulation. Par conséquent, les stratégies de neuromarketing ne respectent pas la méthodologie de la recherche scientifique, qui exige le respect total de l’homme et la transparence. Les outils de recherche devraient servir l’humanité et non le capitalisme.
Mais il faut avouer que le neuromarketing est une vraie révolution simultanée dans les mondes des neurosciences, de la psychologie et de l’économie. Pour finir, on se demandera, sachant que le neuromarketing a pu offrir des avantages en termes de compréhension scientifique des comportements des consommateurs, comment nous pouvons relever les défis éthiques liés à son utilisation, tels que la manipulation et la vulnérabilité des publics cibles…