
La condition des femmes au Maroc continue d’être un sujet central dans les débats sociétaux et politiques. La troisième édition de l’enquête nationale sur le lien social, publiée par l’Institut Royal des Études Stratégiques (IRES), offre une vision détaillée des avancées et des défis qui jalonnent leur parcours. Ce rapport explore divers aspects de la vie sociale marocaine, notamment les liens familiaux, l’engagement civique et le rapport à l’avenir. Toutefois, c’est la situation des femmes qui suscite le plus d’attention, révélant à la fois des évolutions positives et des résistances persistantes.
Si des efforts institutionnels et associatifs tentent d’améliorer leur condition, de nombreux obstacles continuent de freiner leur progression, en particulier dans les domaines de la lutte contre les violences, de la participation politique et de l’égalité au sein du foyer. Cette enquête met en évidence la nécessité de renforcer les initiatives en faveur des femmes et de repenser certaines normes sociales encore profondément ancrées.
Violence contre les femmes : un phénomène encore préoccupant
Parmi les constats les plus alarmants de cette étude, la persistance de la violence à l’égard des femmes reste une préoccupation majeure. Près de 90% des Marocains considèrent que cette violence trouve ses racines dans des facteurs culturels et éducatifs. L’éducation du conjoint est identifiée comme le principal déterminant de ces comportements, avec 39% des répondants pointant cette cause. L’environnement familial et culturel arrive en deuxième position avec 36%, tandis que d’autres facteurs tels que le niveau d’instruction du conjoint (14%) et les contraintes économiques (10%) sont également mentionnés.
Ces chiffres témoignent de l’urgence de renforcer les mesures de sensibilisation et de prévention pour lutter contre ces violences. Si le Maroc a adopté plusieurs lois ces dernières années pour réprimer ces actes, leur application reste souvent entravée par des résistances sociales et un manque de moyens dédiés à la protection des victimes. Il devient ainsi impératif de mieux former les forces de l’ordre, de multiplier les campagnes de sensibilisation et d’améliorer l’accompagnement des femmes victimes, notamment à travers des structures d’accueil et de soutien psychologique adaptées.
La participation politique des femmes : un engagement freiné
Ces dernières décennies, la participation des femmes à la vie politique a connu des améliorations notables, mais leur présence dans les instances décisionnelles demeure insuffisante. Plusieurs obstacles entravent encore leur accès aux postes de responsabilité, notamment des freins culturels et structurels.
L’étude révèle que 33% des Marocains estiment que les traditions culturelles et les stéréotypes de genre constituent les principaux freins à l’engagement politique des femmes. De plus, 25% des sondés évoquent le manque d’attractivité des partis politiques, tandis que 20% considèrent que le fonctionnement même de ces formations n’encourage pas suffisamment les candidatures féminines. Enfin, 21% des répondants identifient le harcèlement, les critiques sexistes et les moqueries comme des facteurs dissuasifs empêchant les femmes de s’investir pleinement dans la sphère publique.
Bien que les quotas mis en place aient permis d’augmenter la présence des femmes dans certaines institutions, leur influence réelle reste limitée. Pour aller au-delà d’une participation symbolique, il est essentiel de repenser le fonctionnement des partis politiques afin de les rendre plus inclusifs et de favoriser l’émergence d’un leadership féminin fort. Le renforcement des programmes de mentorat et la mise en avant de figures féminines inspirantes pourraient également encourager davantage de femmes à s’engager en politique.
L’égalité au sein du foyer : une revendication de plus en plus forte
Contrairement à certaines idées reçues, l’enquête met en évidence une évolution des mentalités en faveur d’une plus grande égalité entre hommes et femmes dans le cadre familial. Une majorité de Marocains considère désormais que l’égalité des droits et des devoirs entre époux ne fragiliserait pas le lien familial, mais le renforcerait au contraire.
Ce changement de perception illustre un glissement progressif vers une reconnaissance accrue des droits des femmes dans la sphère privée. Toutefois, il existe encore un écart entre ces aspirations et la réalité des pratiques sociales. La dépendance économique de nombreuses femmes reste un facteur limitant leur capacité à imposer une véritable égalité au sein du couple.
Pour concrétiser cette transformation des mentalités en actions tangibles, des mesures plus poussées doivent être mises en place afin de garantir aux femmes une plus grande autonomie financière. L’accès à l’emploi et à l’entrepreneuriat, la révision des lois sur l’héritage et la promotion d’un congé parental partagé pourraient favoriser un équilibre plus juste entre les rôles de chacun dans la cellule familiale.
Réforme du Code de la famille : une attente sociétale forte
Parmi les évolutions les plus attendues en matière de droits des femmes, la révision du Code de la famille (Modawana) apparaît comme une priorité pour une large partie de la population. Selon l’étude, 73% des Marocains estiment qu’il est nécessaire d’adopter de nouvelles mesures pour améliorer la condition féminine et garantir une plus grande équité.
Le partage des biens acquis pendant le mariage constitue l’un des changements les plus réclamés, avec 32% des répondants en faveur d’une réforme dans ce sens. Par ailleurs, 20% souhaitent une meilleure équité dans les procédures de divorce, tandis que 13% militent pour une révision des règles de tutelle des enfants en cas de séparation. Enfin, 12% plaident pour une fixation plus juste des montants alloués à la pension alimentaire.
La réforme du Code de la famille est donc perçue comme un levier crucial pour assurer une meilleure protection des droits des femmes et instaurer un équilibre plus juste dans les relations familiales. Une telle refonte nécessitera cependant une concertation approfondie entre les différents acteurs de la société civile, les institutions religieuses et les représentants politiques afin de garantir une évolution conforme aux attentes de la population tout en respectant les valeurs culturelles du pays.
Des perspectives encourageantes malgré des résistances
Si de nombreux défis subsistent, l’étude de l’IRES met en lumière une transformation progressive des mentalités en faveur d’une plus grande égalité entre les sexes. La reconnaissance des droits des femmes, tant dans la sphère privée que publique, semble gagner du terrain, bien que des résistances culturelles et institutionnelles freinent encore ces avancées.
Les réformes engagées ces dernières années, bien que parfois limitées dans leur portée, ont permis d’ouvrir des débats de fond sur ces questions essentielles. L’avenir des droits des femmes au Maroc dépendra largement de la volonté politique de poursuivre ces transformations et du renforcement des mécanismes de protection et d’accompagnement.
Pour que cette dynamique se traduise en changements structurels durables, un travail de sensibilisation et d’éducation reste primordial. Il ne s’agit pas seulement d’adapter les lois, mais également de modifier les mentalités pour faire de l’égalité hommes-femmes une réalité tangible, ancrée dans le quotidien des Marocains.
LNT