Mme Elisabeth MORENO
Elisabeth Moreno est une ancienne ministre de la République française. Elle est également présidente de Ring Africa, de Leia Partners et de Femmes@Numerique. Membre du jury de cette première édition du CIO Awards, nous l’avons rencontrée en marge du GITEX pour évoquer le développement du digital en Afrique.
La Nouvelle Tribune : Quel est selon vous le poids du digital dans le potentiel de développement du continent africain ?
Mme Elisabeth Moreno : La révolution technologique est en marche depuis plusieurs années déjà et on voit l’impact qu’elle a dans la manière dont nous communiquons, nous nous informons, dont nous étudions ou travaillons. Sur le continent africain, nous en tirons déjà des bénéfices conséquents dans la vie quotidienne grâce aux transferts d’argent facilités, aux paiements électroniques ou la livraison des médicaments par drones qui permet de sauver des vies mais nous sommes encore loin d’atteindre le potentiel qu’il peut offrir dans l’éducation, la santé, l’agriculture ou les services publics. Si les États parviennent à construire de bonnes stratégies digitales, s’ils établissent des partenariats constructifs avec le secteur privé et qu’ils réalisent des investissements avisés, le digital peut devenir un outil puissant pour accélérer le développement économique et social des pays africains pour les rendre plus solides, plus performants et plus inclusifs.
N’oublions pas aussi que d’ici 2030, plus de la moitié des nouveaux travailleurs qui rejoindront la population active mondiale seront africains. C’est un vivier de talents extraordinaire surtout s’il est bien formé. La jeunesse africaine rêve de prendre son destin en mains, de vivre dignement sans avoir à risquer sa vie dans les affres de l’immigration. En capitalisant sur les opportunités du numérique, on peut lui permettre de créer, d’inventer, d’innover plus facilement parce que cette révolution industrielle est plus accessible que les précédentes.
On peut ainsi créer des emplois directement sur le continent ou servir des besoins à l’extérieur, dans des pays occidentaux où la main-d’œuvre fait défaut. On peut créer de la valeur au niveau local, régional ou international. C’est la force du digital : il efface les frontières géographiques.
Pour saisir ces opportunités, il faut une vision large et sur le long terme, il faut des investissements humains et financiers importants notamment dans les infrastructures électriques et autres énergies renouvelables.
Oui, le numérique et le digital peuvent transformer notre continent positivement, avec de l’audace et une bonne éthique on peut répondre aux enjeux sociaux et environnementaux de la planète. D’autres pays l’ont fait avant. Pourquoi pas les pays africains ?
Qu’est ce qui fait selon vous un bon CIO dans la conduite d’un projet de transformation digitale d’une entreprise ?
Le leadership. La capacité à avoir une vision claire à 360 degrés, à dessiner une stratégie cohérente et à savoir impulser une dynamique de collaboration et de partenariats solides. Être en mesure de convaincre aussi bien des Comex et créer un environnement propice au changement pour les collaborateurs et collaboratrices.
Comprendre l’ensemble de l’environnement et l’impact global de ces transformations est fondamental. Il ne s’agit pas que d’innovation, de machine ou de procédures qui changent, ce sont aussi des comportements humains qui impactent en général toute l’entreprise.
Casser les silos internes et savoir embarquer l’ensemble de l’écosystème en interne et à l’extérieur est essentiel pour la réussite de ces projets.
Trois finalistes sur douze sont des femmes. Cela représente-t-il la présence féminine en Afrique pour le poste de CIO ? Cette proportion évolue-t-elle ?
Je suis heureuse qu’il y ait au moins 3 femmes candidates CIO qui ont présenté de très belles initiatives et des dossiers solides.
Je déplore qu’il n’y en ait pas eu davantage mais c’est à l’image de la faible représentation des femmes dans le monde numérique. Elles occupent en général à peine 12% des métiers de la cybersécurité et 24% des métiers techniques. Alors que s’il y a un métier à explorer pour l’avenir c’est bien le numérique !
Je préside en France la Fondation Femmes@Numerique qui œuvre à une meilleure contribution des femmes dans ce secteur d’activité qui a un impact majeur dans nos vies. Mais les préjugés et les stéréotypes sont persistants. Peu de filles choisissent le domaine des Sciences, des technologies, de l’ingénierie ou des mathématiques alors qu’elles aiment résoudre les problèmes de la société et qu’elles sont sensibles à l’intérêt général. C’est une véritable mutation sociétale que nous vivons là. Et nous avons besoin des parents, des professeurs, des entreprises, des associations et des institutions publiques pour qu’elle fonctionne correctement. La révolution numérique doit se faire de manière équilibrée, sinon les inégalités et vulnérabilités vont exploser. On ne peut pas se contenter de construire le monde de demain en excluant la moitié de la population mondiale. Mesdames nous avons besoin de vous et j’espère que vous serez nombreuses à exprimer votre talent et votre créativité l’année prochaine !
Propos recueillis par Zouhair Yata