Crédits photo : Ahmed Boussarhane/LNT
Mohammed Germouni est professeur émérite des Universités Mohamed V et Hassan II, ancien directeur des études de la Banque Nationale pour le Développement Economique (BNDE), ancien haut fonctionnaire et Consultant international et membre de la communauté des analystes du Policy Center For The New South.
Dans un texte de réflexion, il se penche sur la conjoncture particulière de la pandémie, doublée d’une probable dépression économique que la planète s’apprête à traverser. Un constat qui « nous autorise simplement à vérifier de nouveau un principe essentiel, qu’une réponse scientifique à des données factuelles à un moment donné constituera, à son tour, le point de départ d’une nouvelle question à mieux cerner ».
Actuellement, la place prise par le primat du sanitaire nous rappelle que l’analyse économique des crises fut cantonnée, en général, « surtout aux seules crises économiques et financières, plus ou moins cycliques des derniers siècles, et fut, à ce titre, redevable à l’apport de diverses disciplines », dit-il, notant qu’à ce niveau, on ne connait pas de travaux de recherche économique ayant analysé l’impact réel d’une pandémie, du type de celle qui hante notre monde actuel, un phénomène exceptionnel par sa rapide expansion. Seuls les récits et descriptions, une documentation historique générale ou spécialisée, ont pu nous éclairer sur les divers épisodes de peste, de choléra, de lèpre, de variole, de tuberculose, etc.
Autant d’évènements pandémiques tragiques qui avaient semé une terreur certaine, pendant de longues périodes, décimant, parfois, une grande partie de la population concernée sur divers continents, jusqu’à entrainer la disparition de plusieurs pans de l’activité économique et sociale existante des communautés affectées.
A moyen terme
Autant la vie n’aurait pas de prix selon un vieil adage populaire, autant il demeure certain que dans la pratique budgétaire et des projections financières, par exemple, la vie a un coût, pour preuve la charge arbitrée comme lourde jusqu’ici si on devait assurer une protection médicale minimale de l’ensemble de la population, argumente M. Guermouni. L’éventualité d’une répétition d’une crise sanitaire similaire, induisant un chômage massif dans son sillage, aurait un coût financier réel si élevé, à peine envisageable, qu’il n’est guère d’Etat pour y faire face, si ce n’est en s’appuyant, d’abord, sur des infrastructures sanitaires et une chaîne d’approvisionnement alimentaire sécurisées.
La mondialisation des échanges ne s’arrêtera pas de façon aussi abrupte que certains l’entrevoient, mais se poursuivra lentement et de façon sélective, ne serait-ce que dans l’attente de la relocalisation éventuelle de chaines de production, qui n’est pas chose aisée à court terme. La reprise de certains secteurs, comme le tourisme et le transport, notamment aérien, requerra probablement un rythme encore plus lent que celui du transport de marchandises.
Le long terme…
Cependant, le « repli sur soi économique » ne peut être recommandé par quelque imprudente surenchère d’allure patriotique, car éloigné des réalités, et le protectionnisme sied davantage peut-être à l’autosuffisance momentanée de certaines grandes puissances et ensembles économiques, selon M. Guermouni. Dans le cas du Maroc, il ne peut faciliter ni une sortie réussie de la pandémie ni de la profonde crise qui lui est liée, tant l’essentiel, ne serait-ce que des équipements industriels, des matières et demi-produits nécessaires à des productions locales, des produits alimentaires de base, dépendent et dépendront encore de l’extérieur, et sans omettre les intrants médicaux et les transferts de revenus.
Jusqu’à preuve du contraire, aucun laboratoire du Maroc, par exemple, n’est encore prêt à être acteur, ni ne semble en mesure d’être en association dans la compétition du nouveau médicament ou vaccin attendus, rappelle l’analyste. « In the long run, we are all dead » (à long terme nous sommes tous morts), avait écrit, avec philosophie et non sans humour, un certain éminent économiste anglais, lord Keynes, et traduit pour ce modeste propos consiste de parer aux urgences d’abord et le long terme ne sera ainsi que mieux et solidement préparé.
Certes, les réflexions et échanges intéressants circulant entre penseurs et observateurs avisés, relatifs à des visions d’un futur encore lointain, et parfois même sur l’évolution planétaire à venir, appellent plutôt à une certaine humilité face à tant d’incertitudes réelles, incitant à repousser à des temps moins troubles et plus sereins divers scénarios utiles du long terme.
Par ailleurs, pris en tenailles, de par sa position géographique, entre des pays du Nord, qui se sont imposés un confinement rigoureux et ceux du Sud du Sahara, qui ne peuvent ou ne pourront réussir pratiquement une telle opération pour des raisons évidentes de pauvreté et de sous administration, le Maroc aura à mûrir à distance une coopération régionale avisée qui combine solidarité et intérêts mutuels, en s’associant activement aux efforts de celles des agences spécialisées du système de l’ONU encore opérationnelles dans les régions pauvres limitrophes, prévenant ainsi autant que possible des résurgences épidémiologiques avec une ouverture à terme des frontières, conclut M. Guermouni.
H.Z (avec PCNS)