L'ancien Premier ministre Sadek al-Mahdi, leader du parti d'opposition soudanais Al-Oumma, le 19 décembre 2018 à Omdourman, près de Khartoum © AFP/Archives ASHRAF SHAZLY
Les meneurs du mouvement de protestation et l’armée au Soudan ont trouvé un accord samedi pour instaurer une autorité conjointe entre civils et militaires, nouvelle étape du changement de régime politique du pays deux semaines après la destitution du président Omar el-Béchir.
Ce compromis a été trouvé lors de la première réunion d’un comité conjoint, créé mercredi, qui regroupe les représentants de la contestation et ceux du Conseil militaire de transition au pouvoir.
L’ordre du jour portait sur la demande des contestataires de transférer le pouvoir aux civils.
« Nous sommes arrivés à un accord sur un conseil conjoint entre les civils et l’armée », a déclaré à l’AFP Ahmed al-Rabia, représentant des manifestants qui a participé aux pourparlers.
Depuis le 6 avril, les manifestants sont rassemblés jour et nuit devant le QG de l’armée à Khartoum, dans le prolongement d’un mouvement de protestation déclenché le 19 décembre.
Initialement, il dénonçait le triplement du prix du pain, dans un pays largement touché par la misère, avant de se muer en contestation contre Omar el-Béchir, chef de l’Etat pendant près de 30 ans.
L’arrestation le 11 avril de M. Béchir, incarcéré depuis, n’a pas fait cesser la contestation. Les opposants réclament un pouvoir civil et le jugement de l’ancien président et des principaux responsables de son régime.
– « Pas un coup d’Etat » –
Dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhane, le Conseil militaire a résisté aux appels à céder entièrement le pouvoir, y compris ceux de la communauté internationale. Trois des dix membres du Conseil militaire avaient toutefois démissionné mercredi.
Samedi, le chef du principal parti d’opposition, Sadek al-Mahdi, a appelé son pays à rejoindre « immédiatement » la Cour pénale internationale (CPI), qui a émis des mandats d’arrêt pour génocide contre le président déchu. S’adressant aux journalistes à Khartoum, il a en outre déclaré que sa destitution et son arrestation par l’armée, sous la pression de la rue, n’était « pas un coup d’Etat ».
Le chef du parti al-Oumma, principal leader de l’opposition, avait été évincé du pouvoir en 1989 par le coup d’Etat de M. Béchir alors qu’il était le dernier Premier ministre démocratiquement élu dans ce pays pauvre d’Afrique.
La CPI a lancé des mandats d’arrêt contre M. Béchir pour qu’il réponde d’accusations de génocide et de crimes de guerre et contre l’humanité lors du conflit au Darfour, région occidentale du Soudan.
Le président déchu, 75 ans, a toujours rejeté ces accusations.
Dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhane, le Conseil militaire de transition refuse d’extrader M. Béchir, emprisonné à Khartoum. Il laisse cette éventuelle décision au gouvernement civil qu’il s’est engagé à mettre en place à une date qui reste à déterminer.
– Manifestants arrivés en bus –
Le déclenchement des manifestations le 19 décembre avait coïncidé avec le retour d’exil de M. Mahdi.
Pour le chef de l’opposition, « ce qui s’est passé au Soudan n’est pas un coup d’Etat » mais une situation dans laquelle les forces armées « ont pris le parti des revendications populaires ».
« Il est possible de se mettre d’accord sur (la mise en place) d’une autorité civile avec le Conseil militaire, car ce dernier n’a pas planifié de coup d’Etat », disait M. Mahdi, tout en soulignant que son parti ne se joindrait pas au gouvernement civil de transition.
« Le régime renversé pourrait encore tenter de faire un coup d’Etat », a-t-il prévenu.
Samedi, les manifestants interrogés par l’AFP restaient déterminés. « Nous ne partirons qu’après avoir obtenu un pouvoir civil et des lois garantissant la liberté d’expression », lançait l’un d’entre eux, Rawan al-Fateh.
Dans la soirée, des bus ont amené des centaines de contestataires, venus de la province de Kassala (est) pour participer au sit-in, selon un photographe de l’AFP sur place.
« Le Conseil militaire a promis que le sit-in ne sera pas dispersé par la force », a déclaré aux journalistes Rachid al-Sayed, porte-parole de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), le comité conjoint entre contestataires et militaires.
Il avait estimé vendredi qu’une période de transition de quatre ans serait nécessaire à la mise en oeuvre d’un « programme de redressement » pour sortir de la crise économique.
Le pays d’environ 40 millions d’habitants, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, est notamment confronté à une grave pénurie de devises étrangères.
Samedi, lors d’une réunion à Khartoum du Parti du Congrès Populaire (PCP), principal mouvement islamiste et ancien allié de M. Béchir, « un groupe de personnes a jeté des pierres » à ses membres, a déclaré à l’AFP l’un de ses responsables, Suheir Salah.
« Trente-deux membres du Conseil de la Choura ont été blessés » lors de cette « attaque », a-t-il dit, sans identifier les assaillants.
L’ALC a qualifié cet acte « d’isolé » et a insisté sur le caractère « pacifique » des manifestations.