Malgré de très nombreux obstacles sur son passage (risques politiques divers et variés, forte volatilité des cours des matières premières, contraintes d’offre dans les économies avancées, pour ne citer qu’eux), la croissance mondiale est parvenue, en 2018, à maintenir un rythme aussi soutenu qu’en 2017 (3,2 %). Mais, la multiplication de ces embûches a commencé à la ralentir en fin d’année, au point d’assombrir les perspectives pour l’année qui débute (3,0 % prévus par Coface). L’ampleur
de ce repli paraît modeste mais est suffisant pour que le risque de crédit des entreprises augmente : Coface anticipe que le nombre de défaillances d’entreprises augmentera dans 24 pays des 39 pour lesquels ces données sont disponibles et qui représentent 65 % du PIB mondial.
Ce sont, respectivement, cinq et neuf pays de plus qu’en 2018 et 2017. Les États-Unis n’en feraient pas encore partie, même si le pic de croissance y semble aussi dépassé. Sans surprise, c’est l’industrie qui donne l’impulsion à l’économie. En particulier, le secteur automobile, dont l’évaluation Coface de risque de crédit des entreprises est dégradée dans huit pays ce trimestre (dont sept en Europe). Les perspectives de croissance s’en ressentent : celle-ci ne devrait pas dépasser 1,4 % en Allemagne et en France en 2019, 2,2 % en Espagne et 0,5 % en Italie. Dans cet environnement, le commerce mondial n’est pas épargné : Coface prévoit que sa croissance atteindra seulement 2,3 % cette année, soit, respectivement, 1 et 2 points
de pourcentage de moins qu’en 2018 et 2017, mais un niveau toujours supérieur au point bas de 2016.
Cependant, la modération de la croissance dans les économies avancées, en particulier aux États-Unis, a au moins un effet positif : en réduisant les anticipations de hausses de taux d’intérêt directeurs supplémentaires de la Réserve fédérale américaine, elle limite les risques de sorties de capitaux des marchés émergents.
Coface anticipe que le prix du baril de Brent atteindra 75 dollars en moyenne en 2019, soit un niveau similaire à celui de 2018, même si cet exercice de prévision est d’autant plus difficile que la volatilité des cours a nettement augmenté depuis le début du 4ème trimestre 2018. Ce niveau est suffisant pour éviter à de nombreux pays exportateurs de pétrole de devoir couper dans leurs dépenses publiques afin de compenser de moindres recettes liées aux matières premières. Dans
ce contexte contrasté, Coface améliore les évaluations pays d’économies dépendantes de cette matière première : l’Angola (en C), l’Azerbaïdjan (B), le Canada (A2), les Emirats Arabes Unis (A3), et Trinité et Tobago (B). Les évaluations du Monténégro (B), du Mozambique (D), de la République dominicaine (A4) et du Rwanda (A4) sont aussi revues à la hausse, tandis que le Liban est déclassé en D.
Europe : les multiples incertitudes politiques…
En Europe, beaucoup d’incertitudes politiques ne sont pas levées en ce début d’année : malgré l’accord entre le gouvernement italien et la Commission européenne trouvé en décembre, les risques pesant sur les banques italiennes restent
élevés et ne permettent pas un repli significatif des taux de rendement des obligations d’État à long terme. Les modalités du processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne restent, elles aussi, incertaines, ce qui pousse les entreprises et ménages britanniques à reporter leurs décisions d’investissement et/ou d’achat de biens de consommation durables. Enfin, le mouvement des « gilets jaunes » en France indique que le mécontentement social se généralise sur le continent.
Cinq années consécutives de croissance positive et une réduction du taux de chômage d’un tiers en zone euro n’auront, en effet, pas été suffisantes pour empêcher la montée de partis anti-européens dans un bon nombre de pays. L’ampleur prise par ces nouvelles forces politiques opposées, à des degrés divers, au projet européen sera visible à l’occasion des élections européennes de mai 2019. Celles-ci pourraient déboucher sur un parlement très fragmenté et comprenant de nombreux députés anti-européens. Or, celui-ci dispose de pouvoirs dont il ne faut pas négliger l’importance. D’abord, il valide le budget de l’Union européenne. Même s’il est peu probable que des députés eurosceptiques originaires d’Europe centrale et orientale bloquent le budget dont leurs pays sont les premiers bénéficiaires (notamment à travers les
fonds structurels), le risque d’obstruction existe.
Ensuite, le Parlement a la possibilité de voter une motion de censure à l’encontre de la Commission européenne, qui doit justement être renouvelée en octobre 2019. Là, encore, alors que la motion doit obtenir le soutien de deux tiers des députés
pour être adoptée et l’investiture une majorité des suffrages exprimés, un risque de blocage existe.
… affectent le moral des entreprises dans l’industrie
La question de la coïncidence entre ces incertitudes politiques et le ralentissement de la croissance est donc toujours d’actualité. Par exemple, il est difficile de ne pas voir dans le recul des commandes de biens d’équipement en France un lien avec le mouvement des « gilets jaunes » depuis le mois de novembre. Toutefois, les données de décembre relatives aux défaillances d’entreprises ne permettaient pas (encore ?) de confirmer un impact significatif du mouvement sur la santé des
entreprises (sauf dans le secteur du commerce de détail d’habillement).
Plus généralement, le repli des indices de confiance en Europe, mesuré à travers les enquêtes auprès de chefs d’entreprise, a été continu en 2018. Le début de cette tendance a coïncidé avec la montée de la rhétorique protectionniste aux États-Unis et celle des cours du pétrole en début d’année. Depuis la fin de l’été, il est accompagné du repli des nouvelles commandes (-4,3 % en glissement annuel en novembre 2018 en Allemagne) et, surtout, de la production industrielle. Or l’industrie est habituellement un moteur majeur de l’économie.
Les contraintes d’offre expliquent, en partie, ce freinage de la production. Le taux d’utilisation des capacités de production est élevé : il a été supérieur à 84 % sur l’ensemble de l’année 2018 en zone euro, soit un niveau très proche des pics des
précédents cycles économiques (environ 85 % en 2007, 2001 et 1991). Les difficultés de recrutement sont aussi patentes, même dans les pays où le taux de chômage reste élevé, comme la France.
Mais, outre le ralentissement cyclique des économies européennes, des facteurs temporaires spécifiques à certains secteurs d’activité sont à l’œuvre. Par exemple, la production des entreprises du secteur de l’énergie est pénalisée par la baisse
des cours mondiaux entre octobre et décembre 2018. Le secteur automobile en Europe de l’ouest focalise aussi l’attention depuis la fin de l’été.
Le secteur automobile est à un tournant
Le cycle de croissance du secteur automobile dure, en effet, depuis environ huit ans sur les principaux marchés, avec des indicateurs de ventes de véhicules et d’immatriculations très dynamiques. Il présente, désormais, des signes d’essoufflement qui se traduisent par huit déclassements dans les évaluations de la Coface, notamment en Europe.
Il confirme également son caractère procyclique, tandis que ses acteurs doivent faire face à des défis communs. Les investissements importants auxquels les constructeurs automobiles traditionnels doivent réaliser dans différents domaines en font partie. C’est le cas en matière d’innovation, avec la concurrence accrue liée à la montée en puissance de la voiture
électrique ou autonome avec l’arrivée concomitante de nouveaux acteurs. À cela s’ajoute la nécessité de s’adapter à l’évolution des préférences et des modes de vie des consommateurs, qui préfèrent de plus en plus les « petites » voitures aux berlines.
De plus, les coûts liés à l’adaptation nécessaire aux nouvelles normes environnementales anti-pollution en Chine, aux États-Unis ou en Europe sans qu’il soit possible pour les constructeurs d’en faire l’économie –comme l’a montré le scandale Volkswagen– est aussi à considérer.
Ces contraintes sont d’autant plus difficiles à appréhender, qu’elles doivent se réaliser dans un contexte de resserrement monétaire amorcé aux États-Unis, en Asie et dans un certain nombre de pays d’Europe de l’Est. C’est aussi progressivement
le cas en zone euro avec la fin des achats de titres de dette par la Banque centrale européenne et son augmentation attendue des taux d’intérêt. S’ajoute à cela un niveau d’endettement des ménages, déjà élevé, qui continue d’augmenter au niveau mondial et est estimé à 59,6 % du PIB au 3e trimestre 2018.
En outre, la politique protectionniste américaine pénalise, pour l’heure, le secteur automobile américain en augmentant le coût des intrants et entretient l’incertitude sur de potentielles mesures, au regard des menaces récurrentes du locataire de
la Maison-Blanche contre le secteur automobile européen, notamment allemand.
Enfin, l’arrivée à maturité du marché chinois est aussi un facteur majeur qui explique les difficultés du secteur automobile, notamment en Europe. Sans surprise, l’Allemagne figure tout en haut de la liste des pays exposés aux problèmes du secteur
en Chine, puisqu’elle est son premier fournisseur de composants automobiles. Pour la première fois depuis vingt ans, les ventes automobiles y ont diminué en 2018.
Émergents : face à des vents contraires
Cet environnement mondial a des effets contrastés sur les économies émergentes : la moindre perspective de croissance aux États-Unis (+2,3 % attendu en 2019 après 2,9 % en 2018) limite l’ampleur du resserrement monétaire de la Réserve
fédérale attendu en 2019 et, donc, les risques de sorties de capitaux des marchés émergents.
Mais, le ralentissement de la croissance en zone euro (+1,6 % prévu en 2019, après respectivement 2,5 % et 1,9 % en 2017 et 2018) et aux États-Unis les expose à des effets de contagion, en premier lieu à travers les flux commerciaux. Ces effets sont
de plus en plus visibles depuis la fin de l’année 2018. La croissance des économies émergentes était, en décembre, au plus bas depuis avril 2016, d’après l’indicateur avancé de l’Institut de Finance Internationale.
Le ralentissement de l’économie chinoise est une source de risque supplémentaire. Si, jusqu’ici, ce ralentissement traduisait les difficultés des entreprises de secteurs d’activité liés aux infrastructures et contraints par un endettement élevé(construction, métaux notamment), la consommation privée a commencé à montrer des signes d’essoufflement, dans un contexte d’endettement des ménages en progression rapide et de maturation de certains marchés (comme celui de l’automobile évoqué précédemment).
Dans ce contexte, les défaillances sur le marché local des obligations d’entreprises se sont multipliées l’année dernière : leur montant a été cinq fois plus élevé qu’en 2017, principalement en raison d’une forte augmentation au 4e trimestre.
Ces problèmes de solvabilité ne concernent plus seulement les entreprises publiques impliquées dans de grands projets l’investissements en infrastructure. Désormais, ils touchent aussi le tissu de petites et moyennes entreprises pénalisées
par la volonté des autorités de limiter l’ampleur des financements alternatifs ( shadow banking) peu surveillés et plus risqués, ainsi que par les conditions de crédit bancaire plus strictes. La part des crédits bancaires dédiés aux PME dans les
crédits totaux accordés aux entreprises est ainsi passée de 35 % à 20 % entre le premier semestre 2016 et le premier semestre 2018.
Dans le reste du monde émergent, l’Argentine et la Turquie, les deux principales victimes de la vague de sortie de capitaux des marchés émergents au printemps et à l’été 2018, sont, sans surprise, en difficulté : au 3e trimestre 2018, les économies
argentine et turque ont enregistré une croissance inférieure à zéro. Les effets de la récente crise de change continuent donc de se faire sentir dans les deux pays. Néanmoins, du côté des comptes extérieurs, l’ajustement a été effectif dès le second semestre 2018 : ainsi, le déficit commercial argentin s’est réduit de près de 45 % entre mai et novembre dernier, principalement sous l’effet d’une contraction des importations. La tendance est similaire en Turquie et devrait
se poursuivre cette année dans les deux cas : les entreprises exportatrices bénéficieront des gains de compétitivité-prix résultant de la chute du peso et de la livre en 2018. Et, en Argentine, les exportations dans le secteur agricole et
agroalimentaire devraient aussi profiter de meilleures récoltes, après l’année 2018 marquée par la pire sécheresse depuis 50 ans. Le pays devrait, aussi, entrer dans le club des exportateurs de gaz de schiste qui ne compte que 20 membres.
Mais, si les vulnérabilités externes s’amenuisent, les problèmes internes sont loin d’être terminés. En Argentine, le ratio de créances douteuses des banques avait continué d’augmenter jusqu’en 2003, c’est-à-dire deux ans après la crise de change de
l’époque. Même chose, ou presque, en Turquie, le ratio de créances douteuses avait atteint un pic à 19 % en 2001, donc un peu plus d’un an après que la crise de change se soit manifestée. Dans les deux pays, il faut donc s’attendre à un risque de crédit toujours élevé pour les entreprises, sauf pour celles qui ont la chance de tirer une partie importante de leurs revenus des exportations.
LNT avec CdP