Quelques jours seulement après la relance du débat sur la réforme de la Moudawana, le Policy Center for the New South a publié une série de lectures sur le Code de la Famille dont celle de l’Usfpeiste Nouzha Chekrouni et Abdessalam Saad Jaldi (spécialiste en relations internationales).
Pour ces deux, 20 ans après, force est de constater que le texte de 2004 accuse de nombreuses limites dans la consécration de droits pleins et entiers, et parait de plus en plus inadéquat avec les transformations de la société marocaine.
Mais pour ce qui est de la question de l’Ijtihad, les deux estiment dans leur analyse que la réforme a mis l’accent sur la stabilité et l’harmonie de la cellule familiale, considérée comme le fondement de la société marocaine. Cependant, l’article 400 stipule : « Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent Code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du Rite Malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel (Ijtihad), aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune, que prône l’Islam ». Cette référence au rite Malékite pour les cas non prévus par le Code introduit une certaine ambiguïté susceptible d’entraîner des interprétations diverses, pouvant potentiellement affaiblir l’impact de cette réforme essentielle.
La référence à l’Ijtihad dans l’article mentionné ci-dessus semble avoir été négligée, ce qui n’a pas permis de dynamiser l’application ou l’évolution du Code de la Famille pour qu’il réponde aux changements de la société marocaine. Cette situation témoigne d’une tendance conservatrice, particulièrement au sein de l’appareil juridique marocain, et représente un obstacle significatif à l’innovation et au progrès. La question cruciale demeure : qui devrait assumer la responsabilité de l’Ijtihad ? Le Maroc dispose d’institutions religieuses prestigieuses, placées sous la haute autorité de Sa Majesté le Roi, en sa qualité d’Amir Al-Mouminine, Commandeur des Croyants. Parmi elles, le Ministère des Habous et des Affaires Islamiques, le Conseil Supérieur des Oulémas, qui a pour mission de fournir des consultations religieuses (fatwas) sur les questions qui lui sont soumises, et la Rabita Mohamadia des Oulémas, dédiée à enrichir la vie scientifique et culturelle dans le domaine des études islamiques, en mettant un accent particulier sur la doctrine Malékite. Dar El Hadit El Hassania se concentre sur la formation avancée des oulémas et des chercheurs en sciences islamiques, en promouvant la recherche. Ces institutions jouent un rôle vital dans l’interaction avec le monde académique et universitaire. Un effort collaboratif et un dialogue constructif pourraient favoriser des progrès réduisant le fossé entre conservateurs et modernistes, à condition qu’une volonté politique soutienne cette synergie pour qu’elle soit fructueuse. L’avènement de la modernité a provoqué des changements profonds à l’échelle mondiale, y compris dans les sociétés musulmanes, qui sont appelées à concilier enseignements islamiques et exigences contemporaines. Cette évolution a des implications majeures pour les droits des femmes.
Au Maroc, l’évolution du droit musulman est significative et le droit positif s’est affirmé comme la source principale dans l’application de ce droit dans divers domaines de la vie sociale. C’est le cas du Droit public, du Droit privé dont le Droit civil et le Droit commercial constituent l’ossature et où le Droit musulman semble reculer au profit de législations modernes. Toutefois, les mouvements traditionnalistes continuent de s’opposer à la modernisation du Code de la famille, le droit inspiré de la législation musulmane conserve une place prépondérante, notamment dans les domaines successoraux, celui de l’héritage ou de la tutelle. La question de la famille dont le pilier est la femme est considérée comme le dernier bastion et rempart contre l’universalisme. Le rapport de domination homme/femme est au cœur du pouvoir politique et la religion est un levier puissant pour maintenir la suprématie masculine avec tous les privilèges qui la sous-tendent. Les enjeux liés à l’héritage et aux droits successoraux en sont des exemples notables.
Cette situation met en lumière une dichotomie entre un référentiel traditionnel, s’appuyant sur le droit musulman et le droit coutumier, et un autre moderne, fondé sur le droit international, les conventions, les traités, ainsi que la loi, la doctrine et la jurisprudence. L’interprétation des lois varie en fonction de ces référentiels, utilisant une méthode exégétique pour le droit musulman et des méthodes modernes pour le droit positif.
Ainsi, souligne Mohammed Arkoun, l’enjeu actuel majeur pour l’exercice de la pensée islamique est son passage de l’épistémé médiévale, travaillée par des rapports hiérarchiques (supériorité du musulman sur le nonmusulman, dhimmî, du libre sur l’esclave, de l’homme sur la femme) à l’épistémé moderne, travaillée par le concept d’égalité citoyenne tout en reconnaissant l’historicité des textes scripturaires.
L’Ijtihad est la voie indiquée pour avancer. Le nouveau Code doit rétablir le principe de justice prôné par le texte sacré et les fondements de la religion musulmane en éliminant les inégalités entre les hommes et les femmes. La règle jurisprudentielle stipule que là où est l’intérêt, il y a la loi de Dieu. Cette règle a été abordée par l’Imam Al-Shatibi dans son livre « Al-Muwafaqat » et peut être inspirante pour nos décideurs afin de promulguer un nouveau Code en harmonie avec les exigences d’égalité et de démocratie prônées par la Constitution et avec les engagements internationaux du Maroc. La question de la femme ne doit plus être liée au religieux et au sacré et aucune injustice basée sur le genre ne peut être justifiée par l’Islam ou le Texte sacré dont la finalité est la justice et l’égalité entre les croyants, hommes et femmes.
(H.Z avec CP PCNS)