WASHINGTON, DC - AUGUST 2: Some 10,000 demonstrators march on the White House in Washington, DC, to protest Israel's offensive in Gaza known as "Operation Protective Edge", August 2, 2014.
Sur les réseaux sociaux, les appels au boycott de telle ou telle entreprise supposément alliée d’Israël se multiplient. Parfois, à grand renfort de fake news, comme dans le cas de Carrefour, le groupe français étant accusé, à tort, de soutenir Tsahal. Si l’émotion est légitime, vérifier l’information et agir en conscience sont, aujourd’hui, des précautions plus nécessaires que jamais.
Près de 30 000 morts, dont une vaste majorité de femmes et d’enfants ; des centaines de milliers de civils déplacés, massés, littéralement coincés dans le sud de la bande de Gaza, une zone jusqu’alors relativement épargnée par les combats et les bombardements, mais que Tsahal a commencé de pilonner depuis quelques jours ; la faim, le froid, la maladie, la terreur, la mort partout. Depuis le début du mois d’octobre, les rares images et témoignages qui parviennent de l’enclave palestinienne racontent toute l’horreur d’une guerre que beaucoup, bien au-delà des sociétés musulmanes, n’hésitent plus à qualifier de véritable boucherie. Crimes de guerre ou crimes contre l’humanité : quel mot pour dire l’indicible ?
Indignation internationale
Pour l’ONG Amnesty International, les attaques israéliennes sont « illégales, (…) menées sans discrimination (…) et doivent faire l’objet d’une enquête pour crimes de guerre ». En décembre déjà, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme réclamait que soit ouverte une enquête sur « la possible commission d’un crime de guerre » par les forces armées israéliennes opérant à Gaza. De son côté, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a estimé fin janvier que « la population de Gaza est soumise à une destruction d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent. Rien ne peut justifier le châtiment collectif d’une population ». De partout et, singulièrement, des pays et dirigeants du « Sud global », parviennent les condamnations et les appels au cessez-le-feu.
Les sociétés civiles ne sont pas en reste. Aux quatre coins du monde sont organisés des rassemblements, des manifestations monstres, des évènements divers et variés qui rappellent les dirigeants israéliens et occidentaux à leur plus élémentaire devoir d’humanité – en vain, pour l’heure. Alors les citoyens, qui sont aussi des consommateurs, actionnent l’un des rares leviers à la disposition de tout un chacun : le boycott. Depuis plusieurs semaines maintenant, de nombreux appels au boycott des marques et entreprises israéliennes – mais aussi américaines ou européennes – essaiment, décuplés par la puissance et la viralité des réseaux sociaux. En Egypte, au Maroc et au Proche-Orient, jeunes et moins jeunes se détournent des Coca-Cola, Pepsi, Starbucks et autres McDonald’s, tous accusés de soutenir plus ou moins directement le massacre en cours à Gaza.
Carrefour, McDonald’s, Zara… : des fake news malgré tout
L’arme du boycott ne date pas d’hier et est, notamment, régulièrement utilisée par les opposants à la politique de l’État d’Israël – le mouvement « BDS », pour « Boycott désinvestissement sanctions » en a même fait sa pierre angulaire. Il n’est donc pas étonnant que ce mode de protestation pacifique connaisse un regain de popularité à l’occasion du conflit en cours ; ni que les réseaux sociaux fournissent une caisse de résonance à ces appels au boycott, qui émanent d’ONG et associations de soutien au peuple palestinien, ou encore d’influenceurs, d’activistes ou de simples citoyens. Mais la guerre est aussi, toujours, celle de l’information – et de la désinformation. Or on constate « une véritable explosion de fausses informations liées au conflit entre Israël et le Hamas », relève l’essayiste et spécialiste du Proche-Orient Matthieu Anquez.
Depuis le 7 octobre, le volume des fake news diffusées sur l’Internet francophone aurait même été « multiplié par 34 », selon l’expert : « cela va du militant d’extrême-droite israélien qui adopte une vision jusqu’au-boutiste de la guerre au sympathisant d’extrême-gauche français, qui souhaite encourager le boycott de certaines entreprises, en passant par un internaute marocain, sympathisant de la cause palestinienne ». Sur les réseaux sociaux, « chacun peut contribuer à diffuser de fausses informations, en fonction de ses propres biais de confirmation et de son agenda politique », explique Matthieu Anquez. Et ce, au risque que ses propres émotions, pour légitimes qu’elles soient, ne contribuent à relayer des « faits » qui n’en sont pas.
Cas d’école : sur Instagram, la photo d’un employé présumé du géant français de la distribution Carrefour, semblant offrir de la nourriture à des soldats israéliens, a enflammé les internautes. Et les usagers de la plateforme d’appeler, en masse, au boycott de l’enseigne française. Problème : « cette initiative est celle d’un salarié isolé d’un franchisé du groupe en Israël (…). Carrefour ne l’a en aucun cas autorisée et n’a jamais été au courant », précise Matthieu Anquez, non sans observer que « le contraire aurait relevé de l’absurde, (Carrefour) étant implanté dans de nombreux pays musulmans » et s’aliénant, ainsi, des millions de clients potentiels de façon volontaire. Un malentendu similaire a frappé le groupe McDonald’s, après que certains de ses franchisés israéliens aient, eux aussi, distribué des repas aux soldats de Tsahal – un geste qui n’engage que les dirigeants israéliens de la chaîne de fast-food et non l’ensemble des restaurants du monde, pourtant touchés par une vague de boycott à l’impact commercial « significatif », selon le groupe.
Vérifier l’information, un réflexe plus nécessaire que jamais
La liste de ces marques inquiétées pour leur soutien – fictif, exagéré ou sorti de son contexte – à Israël est sans fin : Zara, accusée d’avoir sorti une campagne de publicité se moquant de la souffrance des Palestiniens, alors que les visuels incriminés étaient validés plusieurs mois avant le 7 octobre ; Puma, qui a retiré son nom des maillots de l’équipe de football israélienne – là aussi, une décision prise bien avant le début du conflit ; Starbucks, qui aurait perdu 12 milliards de dollars en Bourse à la suite de sa condamnation des attaques du Hamas ; etc. Autant de cas avérés de désinformation qui soulèvent une question difficile : une cause, aussi juste et noble soit-elle, justifie-t-elle que l’on s’affranchisse des faits ?
D’autant que, si les appels au boycott peuvent avoir des conséquences à court terme, « ce type de campagne-là ne dure pas, ses effets ne durent pas, et ce à quoi on assiste ensuite c’est à un effet de rattrapage », note Didier Van Caillie, professeur de stratégie à HEC ULiège. Son confrère Tanguy de Wilde, professeur de droit international à l’UC Louvain, observe quant à lui que « dans un boycott d’initiative citoyenne, il n’y a pas quelque chose de structuré (…). Il peut donc y avoir un retournement rapide de conjoncture ».
LNT avec dépêches