Mme Aalya GHOULI, BMCI
Entretien avec Mme Aalya GHOULI, Directrice du Marketing Innovation Digitale et Stratégie de la BMCI
A l’occasion de la récente note d’information publiée par la BMCI dans le cadre de son émission d’un emprunt obligataire subordonné d’un milliard de dirhams, durant le mois de septembre 2018, nous avons pu avoir un aperçu de son programme d’investissement sur les trois prochaines années. Ainsi, le groupe prévoit d’investir 454 millions de dirhams dans son développement jusqu’en 2020, dont environ 90 millions par an dans le digital.
Pour nous apporter plus de précisions sur ce volet digital, Mme Aalya GHOULI, Directrice du Marketing Innovation Digitale et Stratégie de la BMCI, a accepté de répondre à nos questions.
La Nouvelle Tribune : Le système bancaire marocain a entrepris une stratégie de digitalisation générale, mais certaines banques sont plus avancées que d’autres. Que comporte le terme digitalisation pour BMCI ? Quelle stratégie a été développée en conséquence par votre groupe bancaire et comment l’a-t-elle déployée dans le temps ?
Mme Aalya Ghouli : Dans le cadre du plan de transformation BMCI 2020, la BMCI accorde une importance particulière à la digitalisation et en a fait un pilier de sa transformation. Une direction transverse a ainsi été créée dans le but de mener à bien la transformation digitale de la banque.
Cette transformation, nous la voulons globale, touchant à la fois la manière d’interagir des clients avec nous, (ce que nous appelons en interne la revue des parcours client), mais également le processus de traitement de leurs demandes en apportant un maximum de transparence et d’efficacité.
En interne, la BMCI a dédié une partie de ce programme à la mise en place d’une culture digitale au sein de l’entreprise en dotant tous les collaborateurs d’outils digitaux permettant une meilleure collaboration cross-métier.
Conscients que la digitalisation est d’abord une affaire de femmes et d’hommes, nous dédions une partie de ce programme à la mise en place d’une culture digitale au sein de l’entreprise en dotant tous les collaborateurs d’outils digitaux permettant une meilleure collaboration cross-métier, mais également un cadre de travail de type « good place to work ».
Cela commence par des choses simples comme la mise en place du wifi, l’équipement de nombreux collaborateurs de PC portables facilitant leur mobilité, la mise en place de flex office à des initiatives plus structurantes comme des formations sur les nouvelles méthodes design thinking et agile ou encore à la création de nouveaux postes au sein de la banque tel que les UX designers (concepteurs de l’expérience utilisateur, ndlr), les product owners (chefs de projet experts de la méthode Agile, ndlr), les scrum masters (membres d’une équipe projet ayant pour mission de former les équipes aux pratiques agiles et d’animer, ndlr)…
Ainsi, la stratégie se veut être globale touchant les clients, les process et les collaborateurs de la BMCI.
Pour mettre en œuvre sa stratégie, la BMCI a ainsi mis en place un programme d’investissement de 454 millions de dirhams sur la période allant de 2018-2020 dont plus de 60% sont dédiés à des investissements IT, avec notamment la mise en place d’un nouveau système d’information et de nombreux projets que nous avons pour ambition de lancer dans les prochains mois.
Quels sont les chiffres qui attestent de cette transformation digitale et que mesurent-ils ? Où en est la BMCI dans sa transformation en la matière ou s’agit-il d’un processus sans fin ?
La BMCI a de nombreux KPI, tels que le nombre d’utilisateurs actifs sur le digital, la part d’opérations réalisées sur le digital, les ventes à distance, etc., que les équipes suivent régulièrement.
Cela dit, l’important est le processus de transformation et la façon de créer une nouvelle dynamique et instaurer une culture digitale.
La BMCI a lancé un Hackathon en mai dernier avec 25 équipes constituées de collaborateurs, d’étudiants et de startups qui ont travaillé pendant 48 heures sur 2 thématiques : le client autonome et l’agence du futur. Au final, 3 équipes ont vu leur projet choisi pour entamer la phase d’implémentation.
Nous sommes résolument engagés dans une approche test & learn, ce qui nous permet d’accélérer notre transformation et d’accroître notre capacité d’innovation.
La digitalisation portant sur les services bancaires, de la consultation de compte, aux opérations courantes et autres constitutions de demandes de crédits.
Dans quelle mesure BMCI pourrait-elle la généraliser à tous ses clients et ses produits ? Quels sont les freins à une telle démarche ?
Aujourd’hui, la BMCI dispose d’une offre de banque à distance qui permet à ses clients de réaliser un certain nombre d’opérations via les canaux digitaux que ce soit le web, le mobile, le téléphone ou le GAB.
Cette offre de banque à distance, totalement digitalisée, est accessible à tous les clients, pour les opérations ne nécessitant pas de signature de documents (par exemple la consultation de comptes). Pour les actions nécessitant, d’un point de vue réglementaire, une signature et présence physique, le client devra se déplacer en agence.
La BMCI met tout en œuvre pour simplifier ces démarches et pour limiter les déplacements en agence. A titre d’exemple, un client souhaitant un crédit consommation peut directement appeler le Centre de Relation Client. Il sera ainsi accompagné à distance dans toutes les étapes du process.
Techniquement, rien ne s’oppose à proposer tous les produits à tous les clients en mode full digital. Néanmoins, l’arsenal juridique adapté à ce nouveau mode de consommation n’est pas encore totalement finalisé.
La digitalisation a un coût important relatif à l’investissement technologique, mais aussi du fait qu’elle est quasi gratuite, sachant que les forfaits redevables pour l’accès à ce service restent faibles et que les opérations sur le web sont gratuites, quand les frais bancaires sur « papier » ne cessent d’augmenter.
Comment expliquer ce phénomène et cette tendance?
Il y a certes des investissements importants à faire pour se doter du socle technologique nécessaire, mais pour réellement l’apprécier, il faudrait le comparer aux investissements nécessaires à la mise en place d’un réseau physique. De plus, et même si le Maroc n’en est qu’à ses débuts, le phénomène de baisse de fréquentation des agences semble être irréversible. Une opération traitée par les canaux digitaux coûte moins cher que la même opération traitée par les canaux physiques. Cela dit, il ne faut pas faire d’arbitrage et les deux modes sont utiles, nécessaires et complémentaires pour une bonne gestion de la relation client.
Comment la BMCI a-t-elle transformé sa clientèle avec cette digitalisation ? L’idée est-elle d’en standardiser la majorité en les éduquant à se rendre services eux-mêmes sur les plateformes bancaires pour alléger les coûts bancaires et améliorer leurs marges ?
Les Marocains ont une appétence au digital et leurs comportements et habitudes de consommation ont déjà changé.
Je partage juste une statistique : entre 2016 et 2018, la part des personnes ayant réglé leur vignette automobile sur des canaux digitaux a triplé au niveau national. Certes, une partie de la population reste attachée à un mode de consommation « traditionnel », mais la tendance est là.
Nos clients souhaitent plus d’accessibilité, d’autonomie, et moins de frais à payer. Tout cela peut-être offert par le digital. Nos équipes travaillent pour leur offrir encore plus de services et surtout souhaitent leur apporter une nouvelle expérience client dans laquelle ils se retrouveront.
Bien entendu, toutes les actions de conduite de changement nécessaires sont également menées en interne car la transformation commence d’abord par les collaborateurs de la BMCI.
Dans quelle mesure est-ce que l’agrément pour le développement du paiement mobile bouscule l’agenda de la digitalisation bancaire ou au contraire en bénéficie-t-il?
L’arrivée des établissements de paiement dans le marché marocain ne peut être que bénéfique pour l’accélération de la digitalisation du secteur bancaire. Cela permettra de déclencher des évolutions réglementaires qui profiteront à tous les acteurs et nous pousser à innover et tester de nouvelles choses.
Entretien réalisé par
Selim Benabdelkhalek