Sans surprise, à la suite de son Conseil tenu mardi 16 juin au matin, Bank Al-Maghrib (BAM) a annoncé une nouvelle baisse du taux directeur, après celle du mois de mars, pour le ramener à 1,5%. BAM a également décidé d’assouplir les règles prudentielles, en libérant intégralement le compte de réserve, a indiqué le Wali de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, lors de la conférence de presse (en ligne) qui a eu lieu dans la même journée. « La réserve était à 2%, nous avons décidé de la ramener à 0%. C’est à peu près de 10 milliards de dirhams au profit du système bancaire national », a précisé M. Jouahri. Il a également précisé que cette dernière mesure était temporaire, et qu’une évaluation de son impact serait effectuée dès la fin de ce mois.
Un tableau effrayant… mais optimiste !
Et l’économie aura bien besoin de mesures d’envergure pour retrouver le cap, au vu des prévisions avancées par M. le Wali. En effet, « pâtissant de l’effet conjugué de la sécheresse et des restrictions pour limiter la propagation du Covid-19, l’économie accuserait, selon les projections de Bank Al-Maghrib, une contraction de 5,2% en 2020, la plus forte depuis 1996 », a-t-il expliqué. Ainsi, la valeur ajoutée agricole connaîtrait un recul de 4,6%, avec une récolte céréalière estimée par le département de l’Agriculture à 30 millions de quintaux, et celle des activités non agricoles diminuerait de 5,3%. En 2021, la Banque centrale table sur un rebond de croissance à 4,2%, avec une augmentation de la valeur ajoutée agricole de 12,4%, sous l’hypothèse d’une production céréalière de 75 millions de quintaux, et une amélioration du rythme des activités non agricoles à 3,1%.
L’inflation resterait de son côté maîtrisée et se maintiendrait à un niveau modéré autour de 1% aussi bien en 2020 qu’en 2021. « A moyen terme, et dans un contexte de faibles pressions inflationnistes émanant de la demande et des cours bas des matières premières, l’inflation se maintiendrait, selon les prévisions de BAM, à un niveau modéré autour de 1% aussi bien en 2020 qu’en 2021″, a précisé M. Jouahri, qui a toutefois longuement insisté sur la forte incertitude qui entoure les conjonctures nationale et internationale, et qui pourrait à tout moment rendre caduques toutes les prévisions de la Banque Centrale. Et ces prévisions se basent sur une reprise de l’activité en V, c’est-à-dire de manière très dynamique, ce qui est loin d’être certain. On comprendra alors que ce scénario d’une récession à -5,2% se base sur des hypothèses relativement « optimistes », de même que les 4% de croissance prévus pour 2021 envisagent notamment une croissance de 75 millions de quintaux, donc plus du double de cette année !
Les incertitudes sont d’autant plus élevées que certains indicateurs n’ont pas été mis à jour depuis le début de la pandémie, comme l’emploi ou le comportement des crédits. Toutefois, une enquête ponctuelle réalisée par le HCP du 1er au 3 avril pour appréhender les retombées de la pandémie sur l’emploi indique une destruction de près de 726 000 postes, soit 20% de la main d’œuvre des entreprises organisées.
Fort impact sur les comptes
Sur le plan des comptes extérieurs, BAM souligne que les données provisoires du mois d’avril montrent les premiers signes de l’impact de la crise sanitaire, avec des diminutions de 19,7% des exportations, de 12,6% des importations, de 12,8% des recettes de voyage et de 10,1% des transferts des MRE. Selon le Conseil, une relative amélioration serait attendue au second semestre avec la levée progressive des restrictions au niveau national et chez les partenaires commerciaux et les mesures d’appui à la relance, mais celle-ci ne permettrait qu’un rattrapage partiel.
Du côté des finances publiques, l’exécution du budget au terme des cinq premiers mois fait ressortir un déficit de 25,5 milliards de dirhams, contre 19,5 milliards un an auparavant et ce, compte tenu du solde positif de 18,1 milliards du nouveau compte d’affectation spéciale pour la gestion de la pandémie du Coronavirus, a fait savoir M. Jouahri. Avec la hausse prévue du déficit budgétaire et de l’endettement du Trésor, en plus des emprunts prévus par les établissements et entreprises publiques, la dette publique globale devrait passer de 80,5% du PIB en 2019 à 91,5% du PIB en 2020 avant de s’améliorer légèrement à 91,1% en 2021.
Concernant le recours à la LPL, M. Jouahri a indiqué que « le Maroc a demandé au FMI s’il a la possibilité d’en solliciter une deuxième. Le FMI a répondu que dans les textes rien ne l’interdit. Mais une LPL se négocie sur la base de projections macroéconomiques. Au Maroc, nous avons opté pour une reprise en V et nous avons pris les mesures dans ce sens ». Et interrogé sur la sortie prévue à l’international par le Maroc, le gouverneur a répondu que « le principe est acquis. Mais pour le quand, le combien, le comment, le ministère des finances doit faire sa due diligence avec ses banques de conseil ».
Il a également noté que, aides de l’Etat oblige, la monnaie fiduciaire a connu « une hausse exceptionnelle » pour s’élever à 305,3 MMDH à fin mai, soit +20% en glissement annuel, et le montant des injections des liquidités a atteint des niveaux exceptionnels, passant de 67,2 MMDH au 13 mars à 107,2 MMDH au 5 juin.
Et à propos de la valeur du dirham et de l’élargissement éventuel de la bande de fluctuation, M. Abdellatif Jouahri a déclaré qu’il y a eu « une dépréciation du dirham après le deuxième élargissement de près de 3% à cause de tensions sur les liquidités. Il est revenu au milieu de la bande après le tirage de la LPL. Maintenant, il faut d’abord commencer par défendre les nouvelles limites de la bande. Or depuis 2018, les banques n’ont pas sollicité BAM. Nous avons un budget prévu pour intervenir. Et si le choc externe devient beaucoup plus fort, par exemple à l’occasion d’une deuxième vague de la pandémie, à ce moment là on jugera. Il ne faut pas oublier que le passage à une nouvelle phase exige des prérequis. Nous ne voulons pas passer à cause d’une crise de change. Il faut qu’un ensemble d’indicateurs restent maîtrisés ».
De nombreuses mesures de soutien
Concernant les mesures de soutien adoptées, M. Jouahri a mis en avant l’activation de l’ensemble des instruments de refinancement disponibles en dirhams et en devises et l’élargissement de la liste des actifs admis en tant que collatéral. Ceci a permis, a-t-il fait remarquer, « la multiplication par trois des possibilités de refinancement des banques auprès de la banque centrale ». Sur le plan prudentiel, le gouverneur a cité entre autres, l’autorisation des banques en cas de nécessité à utiliser au cours du 2ème trimestre 2020 les coussins de liquidité constitués sous forme d’actifs liquide de haute qualité en deçà du ratio minimum du LCR (Liquidity Coverage Ratio), fixé à 100%.
Par ailleurs, M. Jouahri a fait savoir que le nombre de dossiers de crédit « Damane Oxygène » garantis par l’État a atteint au 12 juin 27.551 entreprises pour un montant de 13,8 MMDH. En termes de report d’échéances de crédit, près de 491.500 demandes ont été approuvées à fin mai dont 94% au profit des particuliers et 6% des entreprises, a-t-il ajouté. En outre, ce sont plus de 2,8 millions de ménages « Ramedistes » et près de 2,6 millions « Non Ramedistes » qui ont bénéficié du soutien financier dans la cadre de l’opération « Tadamoun ».
Dans le même sens, Bank Al-Maghrib a mis en place des dispositions spécifiques pour fournir un appui au refinancement des banques participatives et aux associations de microcrédit.
Ces nouvelles décisions, conjuguées aux différentes mesures d’assouplissement déjà mises en œuvre, devraient contribuer, avec celles prises par le Comité de Veille Économique, à atténuer l’impact de la pandémie et à soutenir la relance de l’économie et de l’emploi, a espéré M. Jouahri. Et de souligner qu’au regard de la conjoncture particulière qui prévaut actuellement, la Banque veillera, plus que par le passé, à la transmission de ses décisions à l’économie réelle et fera le point régulièrement à ce sujet avec le plus haut management du système bancaire. D’ailleurs, le gouverneur a fait comprendre que BAM était prête à réunir son Conseil en urgence, avant septembre, si la situation le demandait.
« Je ne saurais conclure sans rappeler les considérations que j’ai évoquées au début et souligner encore une fois le niveau exceptionnellement élevé de l’incertitude qui entoure les prévisions que je viens de présenter », a conclu M. Abdellatif Jouahri.
Selim Benabdelkhalek