Amina Lotfi, représentante de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM)
Amina Lotfi, représentante de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM), est engagée de longue date dans la défense des droits des femmes, et dans la lutte pour l’égalité des sexes et la justice sociale. À l’occasion d’un séminaire récent sur le féminisme intergénérationnel, organisé par la Coalition Génération Genre Maroc à Rabat, Amina Lotfi a accepté de réponse à nos questions sur l’importance du dialogue et de la collaboration entre les différentes générations de féministes pour consolider les acquis, relever les nouveaux défis et bâtir un avenir inclusif. Dans cet entretien, elle revient sur les enjeux du féminisme intergénérationnel, les enseignements tirés du séminaire et les perspectives pour un mouvement féministe marocain uni et résilient.
La Nouvelle Tribune : Pourquoi le féminisme intergénérationnel est-il particulièrement important dans le contexte marocain actuel ?
Amina Lotfi : Le féminisme intergénérationnel est important pour pérenniser le mouvement féministe au Maroc. Cette solidarité intergénérationnelle est essentielle pour renforcer le mouvement, particulièrement dans le contexte actuel qui se caractérise par de nouveaux enjeux et défis économiques, sociaux et culturels .
Comment définissez-vous la complémentarité entre les générations dans le cadre du mouvement féministe marocain ?
La complémentarité entre les générations se définirait globalement comme suit : les pionnières ont une approche holistique en matière de promotion et de protection des droits des femmes. Son plaidoyer est construit sur la base d’études, de recherches et de réflexions collectives. Le combat des jeunes est réactif. Il est basé sur des faits ponctuels et utilise principalement les réseaux sociaux pour la mobilisation du grand public et le plaidoyer auprès des pouvoirs publics.
Quels sont, selon vous, les principaux acquis des générations féministes précédentes qu’il est essentiel de préserver ?
Les générations féministes précédentes au Maroc ont obtenu des acquis fondamentaux qui ont contribué à de nombreuses avancées des droits des femmes. On peut citer à ce titre : la constitution d’un mouvement féministe solidaire ; la reconnaissance des violences basées sur le genre comme un fléau social, ce qui a permis de mettre en place des politiques publiques pour lutter contre ce phénomène ; la réforme du code de la famille de 2004 qui a constitué à l’époque une avancée majeure pour les droits des femmes. On peut citer également, l’égalité entre femmes et hommes dans tous les droits et la primauté des engagements internationaux prônés par la constitution de 2011, ce qui nous a permis de disposer d’un cadre légal pour revendiquer davantage de droits et dénoncer les discriminations. Le plaidoyer des générations précédentes a également permis de promouvoir l’accès des femmes à l’espace public, à l’éducation à la participation politique à l’emploi, etc. Tous ces acquis doivent être préservés et consolidés pour éviter la régression et aller de l’avant à travers de nouvelles luttes adaptées aux réalités et aux défis à relever dans le contexte actuel.
Quels sont les axes prioritaires pour renforcer la participation des jeunes femmes dans les instances décisionnelles féministes ?
C’est une réflexion que nous menons depuis un moment au sein de notre association. Je pense que pour garantir la participation des jeunes femmes dans les instances de gouvernance, nous devons revoir notre structure organisationnelle, notre mode de fonctionnement, notre règlement interne pour y introduire notamment des quotas dans le processus électif. Il faut également mettre en place des espaces spécifiquement destinés aux jeunes femmes pour qu’elles puissent partager leurs idées pour des actions innovantes. Je pense également que nous devons réfléchir avec elles pour identifier une forme de militantisme plus adaptée à leurs attentes, notamment en termes de conciliation entre leur vie privée, professionnelle et associative et également en termes d’utilisation de la technologie pour le plaidoyer.
Quels ont été les principaux objectifs de l’étude exploratoire sur le dialogue intergénérationnel dans le mouvement féministe au Maroc ? Et quels ont en été les principaux enseignements ?
L’étude exploratoire sur « le dialogue intergénérationnel dans le mouvement féministe au Maroc » porte sur l’identification des spécificités et des moyens d’action des différentes vagues du mouvement féministe marocain durant ces trois dernières décennies.
Notre étude a mis en lumière les spécificités de chaque génération de féministes, depuis les pionnières qui ont structuré le mouvement jusqu’à la génération connectée qui utilise le web et les réseaux sociaux comme principal espace de mobilisation. Elle a révélé qu’il existe trois générations au sein du mouvement qui militent pour l’effectivité des droits universels et que cette diversité des générations constitue un atout pour le mouvement féministe. Elle met en avant l’importance de documenter et archiver les luttes passées afin de les transmettre aux jeunes générations. Elle préconise un dialogue et une collaboration continus entre les différentes générations afin de promouvoir un mouvement intergénérationnel inclusif et vecteur de transformation sociale.
Quelles recommandations concrètes ont été tirées de l’étude pour renforcer la transmission des savoirs entre générations ?
Chaque génération a ses propres caractéristiques en termes de domaines d’intervention, d’approches de travail et de moyens d’action. Cependant, elles partagent le même objectif qui est d’atteindre la justice et l’égalité des sexes et de lutter contre le système patriarcal. Pour un mouvement féministe uni et solidaire, l’étude recommande : de documenter et d’archiver les savoirs et les expériences des féministes pionnières afin d’en assurer la transmission aux jeunes générations ; de promouvoir une participation effective des jeunes femmes aux instances décisionnelles ; d’adopter une approche intersectionnelle qui prenne en considération les réalités et les besoins diversifiés des femmes ; et, d’encourager les échanges et la collaboration entre les générations de féministes, en reconnaissant la valeur de leurs expériences et de leurs expertises respectives dans le cadre d’une démarche de co-apprentissage et de co-construction.
Comment cette étude sera-t-elle utilisée pour orienter les futures actions de la Coalition Génération Genre Maroc ?
L’étude a démontré la force et la vitalité du mouvement féministe au Maroc. En unissant leurs forces et leurs expériences, les différentes générations féministes contribueront à la construction d’une société plus juste et plus égalitaire. Dans ce cadre, les membres de la Coalition Génération Genre Maroc (CGGM), à savoir de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM), l’Association Médias et Cultures (AMC) et la Fédération des Ligues des Droits de la Femmes (FLDF), intégreront de manière transversale l’approche intergénérationnelle dans leur processus de planification, de mise en œuvre et de suivi et évaluation de leurs actions. La CGGM orientera ses premières actions vers la mise en place au niveau des régions, d’espaces de réflexion, de concertation et de débat entre les différentes générations féministes en vue de construire une vision commune et mener des actions dans la complémentarité et sur la base de l’expérience et l’expertise de chaque génération .
Propos recueillis par Selim Benabdelkhalek