L’Algérie ne connaît pas de retour à la normale depuis l’annonce officielle, lundi dernier, qu’Abdelaziz Bouteflika renonçait à briguer un cinquième mandat présidentiel.
Bien au contraire, c’est avec vigueur et détermination que partout dans ce pays voisin, des cortèges parcourent avenues et boulevards pour clamer leur rejet de cette « solution » qui n’est rien d’autre qu’un subterfuge pour la pérennisation du « Système » que les Algériens, de plus en plus nombreux, rejettent avec colère.
Car, c’est bien à ce niveau que la question se pose. Chacun comprend parfaitement que le clan Bouteflika ne veut rien lâcher du pouvoir qu’il occupe depuis 1999 et « l’offre » de Bouteflika est appréhendée comme une manœuvre dilatoire, anticonstitutionnelle de surcroît, puisque Bouteflika repousse sine die la date des élections et propose une « conférence nationale » à la fin de la présente année, laquelle devrait déboucher, à une date indéterminée pour l’instant, sur une nouvelle Constitution.
Tel est pris qui croyait prendre
Mais, très visiblement, la ficelle est trop grosse pour les Algériens, et notamment les jeunes, fer de lance du mouvement généralisé de contestation.
Ce que certains appellent déjà « La Révolution » dépasse largement, de fait, le seul refus du cinquième mandat présidentiel !
Il en va désormais de l’avenir proche de l’Algérie car, comme devrait le confirmer la très forte mobilisation attendue dans les rues de ce pays vendredi 15 mars prochain, la tentative de coup d’État institutionnel a d’ores et déjà échoué parce que les citoyens ont très vite compris qu’à leur mot d’ordre de « dégage », le Pouvoir répondait par « on ne lâche rien ».
On en voudra pour preuve le simple ravalement de façade opéré par le clan présidentiel après l’annonce de la renonciation officielle, celui d’un remaniement gouvernemental qui s’est opéré au profit des caciques et affidés les plus proches du président actuel.
C’est Noureddine Bedoui, jusque-là ministre de l’Intérieur, fidèle d’entre les fidèles, qui prend la Primature, tandis que le sieur Ramtane Lamamra, bien connu chez nous pour sa très forte phobie anti-marocaine, reprend le portefeuille des Affaires étrangères, accolé d’un poste de vice-Premier ministre.
Mais, ce faisant, Bouteflika et ses proches s’enferment dans leur propre piège. En effet, la Rue algérienne récuse et récusera de plus en plus fortement tous les scenarii « alternatifs » proposés parce que, désormais, elle ne proclame qu’une seule revendication, celle de l’éviction du pouvoir actuel, la chute du régime et l’entrée dans une nouvelle ère, faite de démocratie et de respect des libertés.
Ce qui, bien évidemment, est inconcevable pour ceux qui dirigent en fait l’Algérie depuis 1962 !
On s’aperçoit ainsi que d’un coup, ce pays est entré dans une phase réellement révolutionnaire en ce sens que les institutions officielles, les corps constitués, la représentation parlementaire, les partis politiques, y compris ceux qui sont censés être dans l’opposition, sont totalement décrédibilisés et rejetés par les Algériens.
Voilà pourquoi on imagine mal que le calme va revenir et la mobilisation décroître rapidement, d’autant que la parole est désormais libérée et les Algériens, avec une maturité qui impressionne et qui ravit à la fois, font montre d’un esprit de responsabilité et d’une volonté de lutte remarquables.
On peut donc gager que la mobilisation contre le « Système » va aller en grandissant, ce qui pourrait signifier, à Dieu ne plaise, des moments plus difficiles pour l’Algérie…
Car une inconnue est encore bien présente dans tous les esprits, celle de la réelle capacité du Pouvoir algérien de contenir la révolte qui gronde.
La tentation de la répression
Le président Bouteflika, qui n’a guère montré jusqu’à présent une velléité de partir, ira-t-il jusqu’à ordonner et organiser la répression contre son peuple ?
Et, auquel cas, quelles seront les forces qui accepteront que le mouvement actuel se transforme en bain de sang ?
Ces questions méritent d’être posées, même s’il est peu vraisemblable que les unités de maintien de l’ordre s’engagent, dans l’état actuel des choses, à faire ce « sale boulot ».
Reste donc « la grande muette », qui, par la voix du chef d’État-major, le général Ahmed Gaïd Salah, a récemment déclaré que « l’armée était avec le Peuple ».
Les militaires, et notamment la haute hiérarchie, iront-ils jusqu’à provoquer, ou, du moins, encourager le départ de Bouteflika dans les jours à venir afin de contenir la révolte en donnant quelques gages aux Algériens ?
Resteront-ils l’arme au pied, en simples spectateurs, en cas d’aggravation de la situation du fait notamment de la multiplication des appels à la grève générale et la poursuite des manifestations anti-Bouteflika ?
Un pourrissement de la situation pourrait donc entraîner une intervention de l’armée, non dans un sens répressif, mais pour l’application du mot d’ordre le plus populaire aujourd’hui en Algérie « dégage » !
Et les généraux algériens prendraient alors les choses en main pour éviter que la contestation ne les touche à leur tour…
A ce stade, ainsi, une seule chose paraît sûre, c’est que l’Algérie, dont le peuple vit des moments aussi intenses qu’historiques, va tout droit vers l’inconnu !
Fahd YATA