Alors que la tension retombe lentement à Al Hoceima et ses environs, le temps est sans doute venu de porter les premières appréciations de fond sur cet épisode « revendicatif » qui a affecté depuis octobre dernier toute une région du Royaume.
C’est le décès tragique de Moncef Fikri, broyé dans une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer du poisson pêché illégalement, qui a déclenché ce long mouvement de protestations récurrentes et bien organisées, sous-tendues par une stratégie élaborée de confrontation avec l’Etat et ses diverses émanations.
La constitution du mouvement Hirak a été la première manifestation de cette démarche sous le leadership d’un activiste connu jusque-là uniquement sur les réseaux sociaux, Nasser Zefzafi.
Pour comprendre la genèse de « la colère du Rif », il serait très utile de revoir les vidéos tournées, le soir même de la mort de Moncef Fikri, où l’on voit, pour la première fois, Zefzafi prendre la parole devant le gouverneur d’Al Hoceima et les autres officiels et se lancer dans une longue et virulente diatribe contre « le makhzen » alors que les responsables publics promettaient à la foule transparence, équité et sévérité pour les coupables de ce décès tragique.
Dès ce moment-là, tout était dit, écrit et prévisible.
Fikri et son martyre ont été instrumentalisés par un groupe d’activistes à l’agenda préétabli, aux objectifs aussi inavouables que déstabilisateurs, portés par une seule volonté, celle d’embraser la région Nord du Royaume.
Mais si le mouvement Hirak et ses leaders ont pu animer la contestation avec succès et le soutien de plus en plus massif des habitants d’Al Hoceima, c’est incontestablement parce que les promoteurs de cette « révolte » ont bénéficié d’un terreau et d’un terrain propices à leurs actions.
La frustration, la colère et la rancoeur, en effet, n’ont cessé de grandir tout au long des années face à l’absence de réalisations sociales, économiques, infrastructurelles et autres, au profit des habitants des lieux, notamment du fait des fortes insuffisances des diverses administrations en charge de ces projets.
Malgré la volonté royale de tout mettre en œuvre pour un élan de développement tous azimuts dans le Nord, « l’intendance » n’a pas suivi ou très peu, alimentant ainsi à souhait les arguments et les reproches de Zefzafi et de son groupe.
Aujourd’hui, la situation s’est clarifiée parce que chacun a compris que cette stratégie de tension progressive avait atteint son paroxysme avec le grave incident survenu dans une mosquée d’Al Hoceima lors de la prière du vendredi, à la veille même du mois sacré de Ramadan.
Le leader de Hirak, en effet, ne souhaitait d’autre interlocuteur que le chef de l’Etat lui-même (!!!), rejetait toutes les initiatives de dialogue entamées par les autorités, considérait qu’une délégation de sept ministres venus le rencontrer à Al Hoceima n’était pas suffisant pour sa « modeste » personne.
Et, lors de cette fameuse prière, c’est effectivement un discours d’extrême provocation, de sédition, (comme chacun peut le voir en visionnant les documents filmés qui circulent sur le net), que Zefzafi, visiblement « out of himself », a tenu.
Dans cette affaire donc, il y a deux niveaux à considérer. D’abord et en toute priorité celui des légitimes revendications de nos concitoyens, dans cette région au passé lourd et tumultueux, mais que personne n’a le droit d’instrumentaliser. Car l’Histoire n’appartient qu’à elle-même, non à ceux qui l’appellent à la rescousse pour leurs sombres desseins.
Priorité au développement économique, social, infrastructurel du Nord, mais aussi de toutes les autres régions du Royaume, comme cela a déjà été écrit dans ces colonnes, parce que le pays et notre peuple ont besoin d’un autre modèle de développement axé sur la prise en charge urgente de tous les graves déficits qui le plombent et non sur la satisfaction des exigences maximalistes des zélés représentants des institutions financières internationales.
Les ronds-de cuir de la Banque Mondiale et du FMI ne se sentent pas concernés, de leurs bureaux climatisés à Washington, par la sourde colère qui anime bien des milieux populaires dans notre pays. Mais nous, notre devoir urgent est de l’entendre et de l’apaiser par des actions rapides et concrètes.
C’est cette action multiforme qui permettra de dissiper définitivement et durablement la tension qui prévaut dans le Nord et d’éviter qu’elle ne fasse tâche d’huile ailleurs. Et cela parce que le second niveau de la crise et de ses origines sera également traité, mais par la Justice, en toute sérénité, équité et respect des droits de chacun, des prévenus comme de la société.
En effet, l’incarcération de Nasser Zefzafi et de six autres prévenus à la prison de Oukacha, sur ordre du juge d’instruction près la Cour d’Appel de Casablanca, met sous un jour particulièrement sombre cet aspect de la « fronde du Rif ». Les chefs d’inculpation sont aussi nombreux que graves et cela nous interpelle fortement parce que personne ne voudrait que des époques révolues mais non oubliées ne reviennent au devant de la scène.
On comprend, grâce à la volonté évidente du pouvoir judiciaire de communiquer en toute transparence et rapidité, que toutes les garanties veulent être données afin d’empêcher une exploitation malhonnête d’une procédure judiciaire lourde certes, mais aussi normale que nécessaire.
Zefzafi et son groupe devront répondre et prouver qu’il s’agit d’accusations infondées et jusqu’à preuve du contraire, ils bénéficieront du soutien de tous ceux qui demandent le plein respect du Droit.
Mais, dans le même temps, on se gardera de tout angélisme, tant le déroulé de ces derniers mois permet des questionnements qui n’ont point trouvé de réponses satisfaisantes à ce jour. Gageons donc qu’Al Hoceima et sa crise seront bientôt derrière nous.
D’abord, avec l’intervention diligente de l’Etat et de ses services pour la satisfaction de toutes les revendications populaires.
Ensuite par le coup d’arrêt porté à l’action séditieuse de groupuscules organisés pour exploiter la légitime frustration de nos concitoyens.
Fahd YATA