En 1996, Feu le Roi Hassan II avait demandé aux Marocains, face à une des pires sécheresses qu’avait connu le pays, de ne pas célébrer le rituel de l’Aïd Al-Adha. Pourtant, en cette époque pas si lointaine, les préoccupations liées au réchauffement climatique n’étaient pas vraiment des priorités cardinales pour le Maroc. C’est l’impact sur le secteur primaire de la sécheresse qui motive alors cette décision du Souverain de manière conjoncturelle, avec l’espoir que les auspices soient meilleurs dès la saison agricole suivante.
27 ans plus tard, la sécheresse est devenue systématique et le stress hydrique est une réalité que plus personne (ou presque) ne conteste. En témoigne la mobilisation des autorités pour la mise en œuvre d’une politique de souveraineté hydrique, sous l’impulsion royale, dont les enjeux ont été discutés encore très récemment à l’occasion de la tenue du SIAM 2023.
Mais, au-delà de la question de l’eau et de la sécheresse, l’Aïd Al-Adha se présente au gré du calendrier chaque année et sa concomitance ces dernières années avec la période estivale en aggrave les symptômes sociaux. L’inflation qui s’est installée est un couperet supplémentaire qui vient s’ajouter à la traditionnelle pression sur les prix en cette période de fête. Les moutons se négocieront ainsi cette année à des niveaux de prix inédits et les réactions de la population marocaine sont à la hauteur de l’impact sur leur portefeuille. Les producteurs d’ovins ont de plus en plus de mal à nourrir leur cheptel et font peser ces contraintes sur le prix face à des ménages marocains dont le pouvoir d’achat a fondu comme neige au soleil. Alors que faire face à cette spirale continue où la sécheresse et l’inflation se concurrencent pour savoir laquelle aura le pire impact ? Selon les informations qui circulent, le Gouvernement souhaiterait pallier ces risques cette année par l’importation d’un volume conséquent d’ovins de l’étranger, ce qui a priori devrait réduire la pression inflationniste, même si l’empreinte carbone de cette solution a de quoi faire frémir tout le GIEC.
Pour d’autres, qui ne sont pas dans le camp des écolos ou de celui des défenseurs de la cause animale, mais plutôt dans celui des pourfendeurs des inégalités sociales, il faudrait tout bonnement interdire le rituel de l’Aïd cette année, à cause de la pression qu’il cause socialement aux foyers marocains de la classe moyenne et populaire, face à une minorité très riche qui aggrave la hausse des prix. S’il est effectivement indispensable de préserver les Marocains, ce que cette proposition ne prend pas en compte, c’est l’importance que revêt la célébration de cette fête pour nos concitoyens. Malgré toute la pression économique qui règne à l’international et même la démagogie politique ambiante, personne ne propose de ne plus célébrer Noël. Parce que si le changement climatique est une réalité avec laquelle il faudra désormais composer, il s’agit également de se demander comment nous allons réussir à conserver nos traditions qui font notre identité. Le fait que nos concitoyens soient très attachés à ces célébrations est légitime et puisque la sécheresse est installée, nous devons trouver des mécanismes pérennes, par la régulation directe voire la subvention des prix, la limitation des ventes par individu s’il le faut, quitte à ce que les riches en profitent s’ils n’ont toujours pas compris leur responsabilité sociale dans ce sujet. Pas de Aïd en Aïd, mais de manière proactive, au risque sinon, de fragiliser en profondeur le vivre ensemble marocain et de bousculer les réalités, le moral et les finances de nos concitoyens, déjà durement éprouvés par la pandémie et l’inflation.
Zouhair Yata