Le crowdfunding, ou « financement par la foule », est une technique de financement de projets qui permet à n’importe quel internaute dans le monde d’aider financièrement (sous forme de dons, de prêts ou d’investissements) un projet (startup, culturel, social, environnemental, etc.) à se réaliser.
Popularisée aux Etats-Unis avec le succès de plateformes comme Kickstarter ou Indiegogo, elle fait l’objet actuellement d’un large engouement dans plusieurs pays en raison de sa simplicité de fonctionnement et des difficultés que rencontrent certains créateurs à trouver des financements.
Au Maroc, le crowdfunding est encore méconnu du grand public et la plupart des financements réalisés pour des projets marocains ont été principalement financés de l’étranger (essentiellement France et USA).
Avec l’arrivée récente de nouveaux acteurs comme Smala&Co ou encore Cotizi, cette situation pourrait changer. Encore faut-il que des difficultés au niveau du cadre légal et des institutions bancaires soient surmontées pour que cette pratique devienne plus populaire et durable dans notre pays.
J’ai pu interviewer Arnaud Pinier, le directeur de Smala&Co, pour connaître son point de vue sur la situation actuelle et future du crowdfunding dans notre pays.
Bonjour ! Pouvez-vous décrire rapidement, pour les lecteurs du blog « Chroniques du futur », ce que fait Smala&Co ?
Smala&Co est la première plateforme web à avoir introduit le concept de crowdfunding au Maroc. Grâce à elle, plusieurs projets à impact social, culturel et environnemental ont pu être financés.
Nous sommes aujourd’hui une structure de financement participatif non profit, c’est-à-dire que nous permettons à des entrepreneurs et à des associations d’utiliser notre plateforme pour présenter leur projet aux internautes afin de récolter des fonds sans que nous leur prélevions de commissions.
Ce n’était pas le cas au début! votre business modèle a donc changé en cours de route ! pourquoi ?
Contrairement aux États-Unis et en France où la culture du crowdfunding est bien installée, le Maroc n’en est encore qu’au stade embryonnaire.
Au tout début de notre activité en 2013, nous avons consacré beaucoup de temps à la sensibilisation, à la formation et à l’accompagnement des projets pour qu’ils puissent aboutir en campagnes réussies.
Sur 100% du travail réalisé avec les porteurs de projet, seulement 20% avaient, en réalité, une chance d’aboutir. Sur ces 20%, environ 50% finissaient finalement par terminer leur campagne de levée de fonds ! Soit un taux de conversion final de 10%
Sachant que notre business modèle reposait sur une commission de 6% sur les projets ayant abouti, nous ne pouvions simplement pas tenir financièrement sur le moyen terme avec un taux de conversion aussi faible, à moins de faire beaucoup de volumes, ce qui est impossible vu que le marché marocain n’est pas encore mûr.
Quel est donc votre business modèle actuellement ?
Nous avons remarqué qu’il y’ avait un gros besoin au niveau de la méthodologie pour mener une bonne campagne de levée de fonds. Les porteurs de projets négligeaient souvent plusieurs aspects importants comme la préparation, la communication ou encore le temps consacré à la réalisation de leur campagne.
Avec l’expérience accumulée durant ces deux dernières années où nous avons pu travailler étroitement avec tous les porteurs de projets, nous avons développé un véritable savoir-faire dans la méthodologie d’accompagnement. A titre d’exemple, le taux de succès moyen d’une campagne est passé de 30% la première année (2014) à 60% la deuxième année (2015).
Nous proposons donc, depuis le mois de juin 2015, une prestation de conseil et d’accompagnement pour les projets qui veulent réussir leur campagne de levée de fonds sur notre plateforme. Les prix varient de 750 dhs à 8000 dhs selon les différentes formules et packs d’accompagnement souhaités.
Ceux qui sont déjà à l’aise avec le concept de crowdfunding peuvent en revanche utiliser gratuitement notre plateforme pour solliciter les aides des internautes afin de financer leurs projets.
Quels sont vos retours d’expériences par rapport aux campagnes qui ont marché et celles qui n’ont pas abouti ?
Deux éléments clés contribuent au succès d’une campagne : la nature du projet et la méthodologie de gestion de campagne.
« Les marocains sont, pour le moment, plus enclins à supporter un projet à fort impact social, culturel et environnemental qu’un projet de startup innovante. »
Je précise « pour le moment » car nous avons constaté dans les résultats de l’étude que nous avons mené en 2014 (→consulter le Baromètre du Crowdfunding) qu’il y’ avait une corrélation entre le degré de maturité du marché de crowdfunding et la nature des projets financés : Plus les entreprises et les startups utilisaient le crowdfunding plus le marché était mûre.
«Au Maroc, ce sont surtout les associations et les personnes physiques qui ont recours à ce type de financement. »
Au fur et à mesure que le marché se développe, le comportement des internautes devrait donc se modifier et tendre plus vers le financement de projets d’entreprises.
La méthodologie de gestion de campagne, comme je l’ai expliqué plus tôt, est l’autre facteur clé de réussite. Plus le porteur de projet va appliquer de bonnes pratiques dans sa gestion de campagne, plus ses chances de réussite vont être élevées.
La première année, sur 3 campagnes lancées, une seule seulement avait réussi et cela, à cause du manque d’expérience des porteurs de projets. La deuxième année, grâce à de meilleures pratiques, 6 campagnes sur 11 ont pu être financées avec succès.
Pouvons-nous avoir une idée du profil des contributeurs sur votre plateforme?
Au lancement de Smala&Co, la plupart des contributions (environ 80% ) provenaient de l’étranger. Cela s’explique par le fait qu’il fallait disposer d’une carte de paiement internationale pour pouvoir contribuer financièrement sur notre site. Les marocains résidents à l’étranger (MRE) étaient donc les principaux contributeurs avec aussi quelques étrangers qui avaient développé un lien particulier avec le Maroc.
Les rares marocains qui utilisaient notre plateforme payaient avec leurs cartes internationales réservées exclusivement aux achats sur Internet.
« Par la suite, nous avons mis en place un système de paiement par chèque qui a permis à plus de marocains de contribuer financièrement aux projets. »
Cela a immédiatement eu un impact sur le profil des contributeurs : aujourd’hui, 60 à 70% des donations sont réalisées à partir du Maroc !
Parlez-nous un peu des contraintes auxquelles vous avez du faire face au début, lors de votre installation, notamment par rapport à la loi publique relative aux dons qui restreint ces derniers uniquement aux associations…
Oui effectivement, il n’était pas possible pour une plateforme comme la notre ni pour un porteur de projet privé de réaliser un appel public au don sans respecter des règles très strictes et avoir l’approbation du Secrétariat Général du Gouvernement.
Cela allait considérablement compliquer notre business qui a besoin d’être très fluide. Nous avons donc dû baser notre siège social en France pour contourner ce problème.
Heureusement tout le travail de communication et de sensibilisation qui a été réalisé autour du crowdfunding a permis aux autorités publiques de se pencher sur cette problématique.
Un groupe de travail a d’ailleurs été mis en place pour mettre à jour le statut légal des appels aux dons et l’étendre aux entreprises et startups marocaines. On nous a assuré que d’ici l’année prochaine le problème devrait être réglé.
« Lorsque ce sera le cas, nous créerons une structure marocaine qui desservira directement le marché marocain et qui pourra ensuite être utilisée comme hub pour pénétrer le marché africain. »
Combien représente le marché du crowdfunding au Maroc aujourd’hui et comment voyez-vous son évolution dans les années à venir?
Le marché du crowdfunding va atteindre 5 milliards de dollars à l’horizon 2025 et nous comptons bien nous positionner en tant que pionniers du marché maghrébin et africain..
Au Maroc, nous sommes passés d’un marché de 1 million de dirhams en 2013 à environ 4,5 millions de dirhams en 2015, soit une croissance de plus de 450% en 3 ans !
Même si nous avons constaté un léger essoufflement pour 2015 et que les prévisions initiales pour 2016 qui étaient de 10 millions de dirhams ne seront certainement pas atteintes, nous restons optimistes quant à l’avenir du développement du crowdfunding au Maroc.
Lorsque le cadre légal sera assoupli, des partenariats stratégiques avec de grandes entreprises marocaines et une plus grande maturité du marché devraient rapidement « rebooster » ce secteur prometteur…
Omar Amrani.