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Sanaa Bousbai, co-fondatrice de Digit’all Institute et experte en transformation digitale et Intelligence Artificielle (IA), partage son parcours et son expertise sur l’évolution de l’IA au Maroc. Dans cet entretien, elle aborde les défis liés à l’adoption de l’IA, les initiatives mises en place pour accompagner les entreprises dans leur transition numérique, ainsi que les enjeux éthiques et les perspectives de développement pour le secteur en Afrique.
La Nouvelle Tribune : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans le digital et l’Intelligence Artificielle, et comment en êtes-vous arrivée à créer Digit’all Institute ?
Sanaa Bousbai : Depuis 2008, j’opère dans le domaine du digital. J’ai eu l’opportunité de travailler sur des projets de transformation qui m’ont permis de maîtriser tous les aspects des métiers du digital.
Avec double background en digital et en e-commerce, j’ai accompagné des organisations dans leur transformation digitale depuis 15 ans. Mon rôle a été celui d’évangéliste du numérique au sein de multinationales, principalement dans l’industrie FMCG. J’ai aidé ces entreprises à atteindre une maturité digitale et à s’acculturer aux enjeux stratégiques tels que l’accélération du e-commerce, l’optimisation des plans média omnicanal et l’advocacy marketing.
Pour réussir ces transformations, j’ai mis en place des programmes d’upskilling et de formation, permettant à toutes les équipes de monter en compétence sur ces sujets, à tous les niveaux de l’organisation. Mon objectif a été de promouvoir un mindset et une littératie digitale alignés avec les objectifs et les enjeux stratégiques des organisations.
Cette expérience m’a naturellement conduit à co-fonder Digit’all Institute, le premier organisme de formation au Maroc qui accompagne les organisations et leurs dirigeants à comprendre et anticiper les tendances d’aujourd’hui et de demain et d’échanger avec les acteurs les plus innovants et d’accélérer votre croissance et vos ambitions business.
Nous faisons ceci à travers nos offres de » corporate training » qui donnent accès à nos clients à un réseau mondial d’experts internationaux pour inspirer et former les équipes et les dirigeants aux dernières tendances en Intelligence Artificielle, DATA & IA, Marketing Digital, transformation digitale, Retail 2.0 et e-commerce
Selon vous, quel est l’état actuel de l’adoption de l’Intelligence Artificielle au Maroc ?
L’adoption de l’Intelligence Artificielle au Maroc est encore à un stade embryonnaire, bien qu’un intérêt croissant se manifeste au sein des entreprises et des institutions publiques. Actuellement, il n’existe pas d’études officielles mesurant précisément cette adoption, mais nous constatons une demande accrue pour des séminaires d’acculturation à l’IA, notamment auprès du top management. Cela traduit une prise de conscience progressive des opportunités offertes par l’IA, bien que son intégration à grande échelle demeure un processus nécessitant du temps et des investissements stratégiques.
Dans cette dynamique, le Plan Maroc Digital 2030 joue un rôle clé en structurant la transformation numérique du pays, avec des ambitions claires pour faire du Maroc un acteur de référence en matière de digitalisation. L’IA y est identifiée comme un levier stratégique pour renforcer la compétitivité des entreprises et moderniser l’administration publique.
Le Ministère de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration a également annoncé plusieurs initiatives pour accélérer cette adoption. Parmi celles-ci, un programme ambitieux vise à former 20 000 personnes aux compétences numériques d’ici 2026, puis 45 000 d’ici 2030. Par ailleurs, un dispositif de reconversion est prévu pour 26 000 talents par an à partir de 2026, avec une montée en charge à 50 000 par an d’ici 2030.
Un autre aspect fondamental de cette stratégie est l’attraction de talents internationaux spécialisés en nouvelles technologies, notamment via le Visa Tech, qui ambitionne d’attirer 6 000 experts en IA et data science par an d’ici 2030.
Certaines entreprises, comme Centrale Danone ou Axa Services Maroc, ont déjà intégré l’IA comme un levier de transformation digitale et ont défini des feuilles de route pour son adoption progressive. Toutefois, pour que l’IA devienne un véritable moteur de compétitivité au Maroc, il sera essentiel de poursuivre les efforts en matière de formation, sensibilisation et structuration des données au sein des organisations.
Ainsi, bien que l’adoption de l’IA soit encore en phase de démarrage, le cadre stratégique mis en place laisse entrevoir une montée en puissance dans les années à venir, portée par des initiatives publiques et privées visant à accélérer la digitalisation du pays.
Et quels sont les principaux défis auxquels les entreprises marocaines sont confrontées dans ce domaine ?
L’adoption de l’Intelligence Artificielle au Maroc est freinée par plusieurs défis structurels et organisationnels qui limitent son déploiement à grande échelle. Ces défis peuvent être regroupés en plusieurs axes majeurs :
- Un manque de maturité stratégique et une adoption encore timide
L’IA, notamment dans sa forme générative, reste un territoire encore peu exploré par les entreprises marocaines. Beaucoup d’entre elles peinent à structurer une stratégie claire pour l’intégrer efficacement à leurs opérations. Sans vision définie, l’IA demeure un sujet d’expérimentation plutôt qu’un véritable levier de transformation.
- Une pénurie de talents et de compétences spécialisées
Le marché marocain souffre d’un déficit en spécialistes qualifiés (data scientists, ingénieurs IA, experts en gouvernance des données), ce qui limite la capacité des entreprises à développer et déployer des solutions avancées. Attirer et retenir ces talents représente un enjeu majeur, d’autant plus que la demande mondiale pour ces profils est en forte croissance. Face à cette situation, les entreprises doivent renforcer leurs efforts en formation interne et nouer des partenariats avec des organismes spécialisés.
- Une gouvernance et une qualité des données encore insuffisantes
L’IA repose sur l’exploitation de vastes volumes de données. Or, beaucoup d’entreprises marocaines rencontrent encore des difficultés à structurer, nettoyer et gouverner efficacement leurs données. Une mauvaise qualité des données peut entraîner des erreurs dans les modèles d’IA et limiter la pertinence des décisions automatisées. Il devient donc essentiel de développer une culture de la donnée et d’investir dans des infrastructures capables de garantir des données fiables et exploitables.
- L’intégration dans les processus métier et la résistance au changement
Adopter l’IA ne se limite pas à l’acquisition d’outils technologiques ; cela implique une transformation en profondeur des méthodes de travail. Beaucoup d’entreprises hésitent encore à modifier leurs processus internes par manque de visibilité sur les gains concrets ou par crainte des perturbations organisationnelles. L’accompagnement au changement est un facteur clé pour favoriser l’adhésion des équipes et maximiser l’impact de l’IA.
- Les enjeux de cybersécurité et de protection des données
L’IA pose des défis importants en matière de sécurisation des données et de gouvernance. L’exploitation d’informations sensibles nécessite des garde-fous stricts pour éviter les cyberattaques ou les dérives liées à l’utilisation des algorithmes. Le respect des réglementations, telles que la loi 09-08 encadrée par la CNDP, est essentiel pour garantir une adoption éthique et sécurisée de l’IA.
Malgré ces défis, des initiatives stratégiques, telles que le Plan Maroc Digital 2030 et les efforts du Ministère de la Transition Numérique, visent à structurer et accélérer l’intégration de l’IA au Maroc. L’objectif est de former 45 000 talents d’ici 2030 et d’attirer 6 000 experts internationaux par an pour renforcer l’écosystème numérique.
Les entreprises qui anticiperont ces transformations, en misant sur la formation et la structuration de leurs données, seront les mieux positionnées pour tirer parti de la révolution de l’IA et gagner en compétitivité.
Digit’all Institute propose des programmes de formation sur-mesure en IA. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces programmes et comment ils aident les entreprises à intégrer l’IA dans leurs processus ?
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle ne se résume plus à une tendance technologique, c’est une révolution qui redéfinit la manière dont les entreprises opèrent et innovent.
Pourtant, l’adoption de l’IA suscite encore des interrogations, voire des réticences, au sein des organisations au Maroc. C’est précisément là que Digit’all Institute intervient : nous accompagnons les entreprises dans cette transition en levant les freins, en démystifiant l’IA, en apaisant les craintes et en la rendant accessible à tous.
Nos programmes de formation en IA générative sont conçus pour être à la fois immersifs, pragmatiques et rapidement actionnables. L’objectif ? Que chaque collaborateur puisse, dès le lendemain de la formation, intégrer l’IA dans ses tâches quotidiennes. Pour cela, nous nous appuyons sur une approche unique :
Un Diagnostic sur-mesure : Nous identifions les cas d’usage concrets de l’IA en entreprise, adaptés aux différents métiers et secteurs d’activité.
Des formations actionnables et immersives : Nos parcours sont conçus pour être ludiques, inspirants et directement applicables. Les participants apprennent à prompter, à utiliser efficacement les outils d’IA et à développer le bon réflexe d’adoption.
Une conduite du changement : Nous ne nous contentons pas de former, nous accompagnons les entreprises dans une véritable transformation en créant une culture IA où chaque collaborateur devient ambassadeur de cette technologie.
Sensibilisation et éthique : Parce qu’une adoption réussie passe aussi par une utilisation responsable, nous intégrons dans nos formations une réflexion sur la sécurité des données et l’éthique de l’IA.
Depuis plus d’un an et demi, nous avons formé plus de 1 800 cadres, couvrant 15 métiers différents, du marketing à la finance en passant par les ressources humaines et le juridique.
Notre méthodologie, déjà testée par plus de 70 grandes entreprises, constitue aujourd’hui un véritable levier d’accélération pour les organisations souhaitant intégrer l’IA de manière efficace et structurée. En ayant accompagné plus de 20 industries, nous avons pu observer un impact tangible : nos formations enregistrent un taux de satisfaction de 99%, et les entreprises formées constatent des gains de productivité supérieurs à 30%. Plus qu’un simple transfert de compétences, nous aidons les entreprises à structurer une stratégie IA cohérente, en transformant leurs collaborateurs en acteurs de l’innovation.
Quels sont, selon vous, les enjeux éthiques majeurs liés à l’utilisation de l’Intelligence Artificielle en entreprise, et comment les entreprises peuvent-elles les aborder de manière responsable ?
L’intégration de l’Intelligence Artificielle en entreprise soulève plusieurs enjeux éthiques majeurs.
Tout d’abord, l’usage responsable des données est un enjeu majeur, car l’IA repose sur la collecte et l’analyse de données personnelles, soulevant des préoccupations en matière de vie privée et de sécurité. Il est essentiel pour les entreprises de protéger les informations sensibles tout en respectant les réglementations en vigueur, comme la loi 09-08 régie par la CNDP, afin d’éviter toute dérive.
Ensuite, l’IA modifie en profondeur les métiers et les usages des métiers, ce qui impose une responsabilité sociale dans l’accompagnement des collaborateurs vers une adoption de l’IA. Les entreprises doivent prendre en compte ces impacts et envisager des stratégies pour accompagner les employés dans cette transition
Par ailleurs, la question de responsabilité en cas d’erreur ou de préjudice causé par un système d’IA est complexe. Les entreprises doivent établir des mécanismes de gouvernance clairs pour assurer une responsabilité adéquate
Les systèmes d’IA peuvent reproduire ou amplifier des biais existants dans les données sur lesquelles ils sont formés. Les entreprises doivent également veiller à limiter les biais algorithmiques afin d’éviter toute discrimination involontaire dans leurs processus automatisés, dans des domaines tels que le recrutement ou la finance.
Bien que l’adoption de l’IA présente des opportunités significatives pour les entreprises, elle s’accompagne également d’enjeux éthiques complexes. Les entreprises doivent former leurs employés à ces défis afin de garantir une utilisation responsable de ces technologies, en préservant des principes essentiels tels que la transparence, l’équité et le respect de la vie privée.
Quels conseils donneriez-vous aux professionnels souhaitant se spécialiser dans l’Intelligence Artificielle et contribuer à la transformation digitale de leurs organisations ?
Si vous vous demandez comment vous positionner face à l’Intelligence Artificielle, la réponse est simple : ne la subissez pas, adoptez-la.
L’IA ne va pas vous remplacer… mais un collaborateur qui l’utilise, si.
Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas technologique. C’est une question d’attitude. Ce qui fera la différence, ce ne sont pas les algorithmes, mais votre capacité à apprendre, à vous adapter et à intégrer l’IA dans votre quotidien.
Le CEO de NVIDIA, Jensen Huang, le dit lui-même : « Réussir à l’ère de l’IA n’est pas une question de technologie. C’est l’expertise de chacun qui fera toute la différence. »
Sur le terrain, nous le constatons chaque jour : les professionnels qui prennent le temps de comprendre l’IA et d’explorer ses possibilités deviennent non seulement plus performants, mais aussi des acteurs clés de la transformation digitale de leur entreprise.
En 2025, Il est essentiel de former tous les collaborateurs à l’IA , et je pense que ce processus d’apprentissage sera à la fois surprenant et agréable.
Alors, par où commencer ?
1️. Acceptez l’idée que l’IA est un atout, pas une menace. Il ne s’agit pas de croire que l’IA va tout remplacer, mais plutôt de voir comment elle peut compléter les compétences humaines.
2. Mettez les mains dedans. On ne comprend l’IA qu’en la pratiquant. Testez des outils, explorez le prompting, utilisez des assistants IA pour automatiser des tâches simples. La courbe d’apprentissage est rapide, et les résultats sont immédiats.
3️. Faites de l’apprentissage un réflexe. Comme toute révolution technologique, celle de l’IA va évoluer constamment. Ce que vous apprenez aujourd’hui vous ouvrira les portes de demain.
4️. Devenez un ambassadeur de l’IA au sein de votre entreprise. Ceux qui maîtrisent l’IA deviennent naturellement des référents et des accélérateurs de changement. En partageant vos découvertes, en formant vos équipes, vous jouerez un rôle clé dans la transformation digitale de votre organisation.
Chez Digit’all Institute, nous sommes convaincus que les compétences en IA d’aujourd’hui sont les opportunités de demain et les emplois d’après-demain.
Il ne s’agit pas d’être un expert en machine learning ou en codage. Il s’agit d’intégrer l’IA comme un levier d’efficacité, d’innovation et de performance.
Alors, la vraie question n’est pas « dois-je m’intéresser à l’IA ? » mais plutôt « combien de temps vais-je attendre avant de le faire ? »
Comment voyez-vous l’évolution du marché de l’IA en Afrique dans les prochaines années, et quel rôle les entreprises marocaines peuvent-elles jouer dans cette dynamique ?
L’Intelligence Artificielle (IA) est en passe de transformer profondément le marché de l’emploi en Afrique d’ici 2025. Selon l’étude « L’IA en 2025 : quelles implications pour le marché de l’emploi en Afrique ? », l’adoption croissante de l’IA sur le continent devrait entraîner une réorganisation significative des secteurs économiques, avec une automatisation accrue des tâches répétitives et l’émergence de nouveaux métiers axés sur la technologie.
Cette transformation présente des opportunités majeures pour les entreprises marocaines. En s’engageant activement dans le développement et l’intégration de solutions d’IA, elles peuvent non seulement améliorer leur compétitivité sur le marché local, mais aussi se positionner en tant que leaders régionaux dans le domaine technologique. Pour ce faire, il est essentiel qu’elles investissent dans la formation de leurs collaborateurs, favorisent l’innovation et établissent des partenariats stratégiques avec des institutions académiques et des centres de recherche.
Cependant, l’étude souligne également plusieurs défis à relever. Parmi eux, la nécessité de développer des infrastructures numériques robustes, de garantir un accès équitable aux technologies et de mettre en place des cadres réglementaires adaptés pour encadrer l’utilisation de l’IA. Les entreprises marocaines ont un rôle crucial à jouer en collaborant avec les pouvoirs publics et les autres acteurs du secteur privé pour créer un écosystème propice à l’innovation et à l’adoption responsable de l’IA.
L’IA offre au Maroc et à l’Afrique une opportunité unique de transformation économique et sociale. Les entreprises marocaines, en adoptant une approche proactive et collaborative, peuvent non seulement tirer parti des avantages de l’IA, mais aussi contribuer activement au développement durable et inclusif du continent.
Propos recueillis par Asmaa Loudni