Depuis son lancement en 2008, le Plan Maroc Vert (PMV) est salué pour ses ambitions de modernisation agricole et son rôle dans l’essor économique du royaume. Le projet a permis d’augmenter la productivité et de dynamiser les exportations agricoles du Maroc, tout en plaçant l’agriculture au cœur de la stratégie de développement national. Cependant, alors que la sécheresse devient une menace récurrente et que le Maroc fait face à un stress hydrique sans précédent, le PMV soulève désormais des critiques quant à sa durabilité environnementale.
L’une des grandes réussites du PMV est d’avoir impulsé une modernisation des systèmes d’irrigation. En particulier, le goutte-à-goutte, vanté pour son efficacité en matière d’économie d’eau, a vu son usage s’étendre de manière spectaculaire. D’après les chiffres du ministère de l’Agriculture, plus de 900 000 hectares de terres agricoles étaient irrigués via ce système en 2020, un chiffre en forte progression par rapport à l’avant-PMV.
Toutefois, cette modernisation ne concerne pas toute l’agriculture marocaine. Si les grandes exploitations, souvent orientées vers les marchés d’exportation, ont bénéficié des subventions et des aides pour moderniser leurs équipements, les petits agriculteurs ont, eux, souvent été laissé pour compte. Or, ce sont ces derniers qui se trouvent en première ligne face aux défis du manque d’eau.
De plus, si le système de goutte-à-goutte permet de mieux contrôler l’utilisation de l’eau, il ne résout pas pour autant le problème de la surexploitation des nappes phréatiques. Dans des régions comme le Souss-Massa, où les cultures d’exportation (avocats, agrumes, etc.) sont gourmandes en eau, les nappes phréatiques continuent de se vider à un rythme inquiétant. Une enquête récente a révélé que le niveau des nappes a baissé de plusieurs mètres ces dernières années, menaçant l’équilibre écologique de la région et l’avenir de ses habitants.
Si le Plan Maroc Vert a largement favorisé le développement de cultures à forte valeur ajoutée, notamment à destination de l’exportation, cela s’est parfois fait au détriment d’une gestion durable des ressources en eau. Des produits phares comme les tomates, les agrumes ou encore les melons, destinés aux marchés européens, requièrent des quantités d’eau considérables. Il est estimé qu’un kilogramme de tomates produit sous serre nécessite entre 70 et 100 litres d’eau, une quantité que certaines régions marocaines ne peuvent plus se permettre dans un contexte de raréfaction des ressources hydriques.
Paradoxalement, alors que l’agriculture marocaine a fait des bonds en avant sur le plan économique, le pays est aujourd’hui l’un des plus vulnérables au stress hydrique. Le rapport de la Cour des Comptes de 2018 a d’ailleurs pointé les failles du PMV en matière de gestion de l’eau, soulignant que l’expansion des cultures gourmandes en eau et l’absence de régulation stricte de l’usage des ressources hydriques menacent la viabilité du secteur agricole à long terme.
L’une des promesses du PMV était de réduire les inégalités dans le secteur agricole. Le deuxième pilier du plan, dédié à l’agriculture solidaire, devait notamment soutenir les petits exploitants dans les régions marginalisées. Pourtant, force est de constater que les résultats sont bien en deçà des attentes. Les petits agriculteurs, notamment dans les zones arides du sud et du centre du Maroc, continuent de souffrir du manque d’accès à l’eau et aux infrastructures modernes.
En l’absence de précipitations régulières, les agriculteurs dans ces régions se tournent vers les nappes phréatiques pour irriguer leurs terres, ce qui ne fait qu’accentuer la pression sur des ressources déjà épuisées. De plus, face à la baisse du niveau des nappes, les petits exploitants n’ont pas les moyens financiers ou techniques pour forer davantage ou investir dans des solutions d’irrigation plus économes en eau.
La dépendance de ces petits agriculteurs aux ressources naturelles est telle que certains ont été contraints d’abandonner leurs terres ou de migrer vers les centres urbains, alimentant un exode rural préoccupant.
Conscientes des critiques grandissantes et des défis hydriques qui se posent, les autorités marocaines ont lancé en 2020 le Programme Génération Green. Successeur du PMV, ce nouveau plan affiche des objectifs ambitieux de durabilité, avec un accent particulier sur la gestion rationnelle des ressources en eau. Le programme promet une transition vers des cultures moins gourmandes en eau, une meilleure reforestation et un soutien accru aux pratiques agricoles écologiques.
Cependant, ce nouveau programme devra faire face à une réalité complexe. Comment réorienter un secteur qui dépend en grande partie des exportations agricoles vers des pratiques plus respectueuses des ressources hydriques ? Le défi est immense, et les solutions ne seront pas seulement technologiques. Elles impliqueront également des réformes profondes en matière de gouvernance de l’eau, ainsi qu’un soutien plus équitable aux petits agriculteurs, souvent les plus vulnérables aux fluctuations climatiques.
In fine, le Plan Maroc Vert a incontestablement marqué un tournant pour l’agriculture marocaine, mais il a aussi montré ses limites face aux défis environnementaux. Alors que le stress hydrique devient un enjeu crucial pour le Maroc, la modernisation agricole ne peut plus se faire au détriment des ressources naturelles.
Il est urgent de repenser le modèle agricole marocain pour garantir à la fois sa soutenabilité environnementale et sa justice sociale. La question de l’eau, plus que jamais, doit être au centre de cette réflexion.
Ayoub Bouazzaoui