Entretien avec M. Abebe Aemro Sélassié, Directeur du Département Afrique-Régional du FMI
Dans cette interview accordée à La Nouvelle Tribune, M. Abebe Aemro Sélassié, Directeur du département de l’Afrique sub-saharienne au FMI, partage son point de vue sur l’importance de la tenue des assemblées du FMI et de la Banque Mondiale à Marrakech. Il souligne que cet évènement représente bien plus qu’une simple réunion institutionnelle, car il témoigne de l’engagement du FMI envers ses pays membres dans la région en ces temps difficiles.
Propos recueillis par Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune: M. Sélassié, vous êtes Directeur du département qui couvre l’Afrique subsaharienne au Fonds Monétaire International (FMI). Selon vous, en quoi la tenue des assemblées du FMI et de la Banque Mondiale à Marrakech est un événement pour tout le continent africain ?
M. Abebe Aemro Sélassié: Les assemblées annuelles et de printemps du FMI et de la Banque mondiale s’adressent à tous les États membres de ces institutions. Mais leur tenue sur le continent africain pour la première fois depuis 50 ans en octobre a une signification particulière pour nous et témoigne que le FMI est au côté de ses pays membres dans la région en ces temps difficiles. L’organisation de ces assemblées annuelles au Maroc est une vitrine pour l’immense richesse culturelle de l’Afrique et une opportunité de promouvoir son potentiel économique. C’est une occasion de montrer que l’Afrique est bien ancrée dans le 21e siècle. Je parle d’Afrique en générale car nous voyons ces assemblées, au même titre que la zone de libre-échange continentale qui intègre les pays d’Afrique du Nord au Sud, comme un événement unique pour le continent dans son ensemble, et non pas juste pour le Maroc ou l’Afrique du Nord. C’est suivant cette logique que mon département et celui de Monsieur Azour qui couvre l’Afrique du Nord avons publié un rapport conjoint sur le potentiel économique de cette zone de libre-échange en mai et que le FMI publiera en octobre, pour la première fois de son histoire, des données agrégées sur les perspectives économiques non pas juste pour l’Afrique subsaharienne, mais pour tout le continent.
Nous avons discuté avec Monsieur Azour des perspectives économiques pour l’Afrique du Nord. En attendant la note conjointe que vous avez mentionnée, quelles sont les perspectives économiques pour l’Afrique sub-saharienne ? Quelles sont les locomotives qui dominent sur le plan du développement économique et de la croissance ?
M. Abebe Aemro Sélassié: Notre publication la plus récente (Avril 2023) sur les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne « la Grande pénurie de financement » entrevoit une baisse de la croissance en Afrique subsaharienne pour s’établir à 3.6 pour cent cette année 2023. Ceci dans un contexte marqué par l’essoufflement de l’activité économique au niveau mondial. Les risques sont notamment liés à une persistance de l’inflation, une aggravation de la guerre en Ukraine et une fragmentation encore plus grande de l’économie mondiale, et à la menace constante que fait peser le changement climatique.
Cela dit, la jeunesse représente un atout futur immense pour le continent, notamment en termes de main d’œuvre, étant donné que la moitié de la population est âgée de moins de dix-neuf ans. Bien que les économies africaines soient très différentes, un dénominateur commun des politiques publiques devrait être la mise en place de conditions visant à maximiser le potentiel du continent, y compris à travers le renforcement des institutions, la création d’emplois et l’investissement continu dans le capital humain, notamment par les dépenses d’éducation et de santé. La mobilisation des recettes intérieures, couplée à l’initiative du secteur privé et le soutien de la communauté internationale, seront aussi essentielles à la pérennisation des efforts des gouvernements. Ce siècle pourrait être le siècle du continent africain si le virage actuel est bien abordé !
Pouvez-vous expliquer le rôle du FMI en Afrique sub-saharienne à travers quelques chiffres sur le nombre de pays membres du FMI dans cette sous-région, et sur comment vous aidez financièrement les pays africains à faire face aux chocs actuels ?
M. Abebe Aemro Sélassié: 45 des 190 pays membres du FMI se trouvent en Afrique subsaharienne, la sous-région dont mon département est en charge au FMI. Les autres pays d’Afrique sont couverts par le département Moyen-Orient et Afrique du Nord dirigé par M. Jihad Azour. Notre appui financier aux pays de la région intervient généralement dans le cadre de programmes visant à soutenir des réformes de transformation des économies en cours dans les pays et à aider nos membres à faire face à des crises.
Pour vous donner des exemples de comment nous avons soutenu nos membres à faire face aux chocs récents comme la pandémie de la COVID-19, l’augmentation des prix à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ou le changement climatique, nous avons à cette date (juillet 23) des accords de financement avec 25 pays dans la région, dont 6 ont été finalisés au cours des 3 derniers mois. Et nous sommes en discussion avec d’autres pays. Aussi, entre 2020 et aujourd’hui, le FMI a décaissé plus de 50 milliards de dollars en faveur des pays d’Afrique subsaharienne, incluant une allocation de droits de tirage spéciaux. Le FMI s’adapte aussi aux besoins de ses membres. C’est pour cela que nous avons créé un nouveau fonds fiduciaire pour la résilience et de durabilité opérationnel depuis octobre 2022 (voir ci-dessous) visant à aider les pays à faire face au changement.
Cette aide est-elle seulement financière ? Ou supportez-vous les pays d’Afrique sub-saharienne d’une autre façon ?
M. Abebe Aemro Sélassié: Notre soutien aux pays membres est pluridimensionnel. Quoique plus connus par le public, les prêts aux pays membres ne représentent qu’un tiers des activités du FMI. Les deux autres services phares de l’institution sont la surveillance, où nous analysons chaque année la santé des économies de la région et donnons nos recommandations sur comment l’améliorer, et l’assistance technique. Ce dernier volet est particulièrement important pour les pays du continent avec par exemple la nécessité du renforcement des capacités des administrations des pays, y compris ceux en état de fragilité. À ce titre, le FMI a créé au fil des années des centres d’assistance technique à travers le continent afin d’assurer un service de proximité et de répondre ainsi en temps réel aux besoins techniques auxquels sont confrontés les gouvernements. Nous avons cinq centres en Afrique subsaharienne couvrant diverses parties du continent. Ces centres conseillent nos membres sur la gestion des finances publiques, la gouvernance et l’état de droit, l’administration fiscale et douanière, l’optimisation des dépenses publiques, la stabilité du secteur financier, et bien d’autres domaines.
Quel est le rôle du FMI en termes de lutte contre le changement climatique ? Comment pouvez-vous aider les pays africains ?
M. Abebe Aemro Sélassié: L’Afrique sub-saharienne est la région dont la vie quotidienne est la plus impactée par le changement climatique, alors que le continent est celui qui y contribue le moins. Cela est d’autant plus le cas du fait de la situation géographique des pays d’Afrique sub-saharienne, qui les expose à des températures beaucoup plus élevées, mais aussi parce que nombre d’entre eux ont une capacité moindre à gérer les risques climatiques en raison de fragilités telles que les conflits, le manque d’irrigation, ainsi que l’absence de moyens financiers et de capacité institutionnelle.
Une analyse en cours sur le climat menée par les services du FMI suggère par exemple que les États fragiles – dont beaucoup se trouvent en Afrique – sont plus exposés et subissent davantage de pertes économiques et humanitaires dues aux risques climatiques, et que certaines de leurs fragilités, telles que les conflits, sont amplifiées par les catastrophes naturelles. Comme mentionné auparavant, le FMI a récemment mis en place un nouvel instrument, un fond fiduciaire pour résilience et la durabilité, afin d’aider ses pays membres à affronter les défis liés au changement climatique et à catalyser le financement de diverses sources. Plusieurs pays africains, dont le Kenya, le Niger, le Rwanda, le Sénégal et les Seychelles, ont déjà eu recours à cette facilité et les discussions sont envisagées avec d’autres pays. Enfin, notre institution fournit également des conseils et une assistance technique sur la manière dont les gouvernements peuvent adapter leurs systèmes fiscaux et de gestion des finances publiques à ces risques.