Mostapha BAHRI
Professeur, consultant économiste
L’article « Risques des ventes à distance, le consommateur marocain est-il réellement protégé ? », publié par la Nouvelle Tribune n°1199 du 8 février 2021, a abordé le phénomène des ventes de produits et de services via l’Internet. Depuis cette date, il a été constaté que ce type de vente ne cesse de se développer, au Maroc et ailleurs, d’autant plus que la pandémie Covid 19 n’encourageait plus les consommateurs à se rendre dans les lieux de vente, soit en raison du confinement ou par peur d’être affectés par le virus. En effet, selon la Fédération des Métiers de la Distribution des Produits de Grande Consommation qui a organisé, le 27 avril 2021, un webinaire sous la thématique « E-Commerce au Maroc, Actualité et Perspectives », le e-commerce se développe rapidement. En 2019, plus de 1000 sites d’e-commerce fonctionnels ont été enregistrés et environ 500 sites ont été créés. A cette date, 65% des Marocains étaient connectés à internet, 31% équipés d’un ordinateur ou tablette et 76% possédaient un smartphone. Par ailleurs, les internautes marocains sont de plus en plus confiants dans les sites de e-commerce et ont moins de réticences à faire leurs courses en ligne et à facturer leurs achats via leur carte bancaire[1].
En outre, la commodité des achats en ligne amène des consommateurs à migrer vers ce type de transactions. C’était également une opportunité pour certains vendeurs de mettre en place de nouvelles démarches proactives pour proposer leurs produits et services aux consommateurs, soit à travers des vidéos postés sur YouTube et Instagram ou en recourant à d’autres réseaux sociaux. Ces pratiques ont accéléré cette transition vers le virtuel.
L’accélération conjoncturelle de ce commerce en ligne n’a pas manqué d’attirer des arnaqueurs. En effet, et comme l’a signalé le magazine français 60 millions de consommateurs, « de nombreux consommateurs ayant voulu acheter en ligne des masques ou du gel hydro alcoolique en ont eu pour leurs frais : produit jamais reçu ou non conforme à la commande, service client injoignable, site web soudain introuvable… Mais ce genre de déconvenue concerne tout type de produit[2] ».
Ces arnaqueurs prédateurs recourent à tous les moyens pour soutirer l’argent aux consommateurs. D’ailleurs et comme l’a souligné un article de l’association des banques canadiennes : « Les escrocs conçoivent des applications et des sites d’achat en ligne qui ressemblent aux applications et aux sites des vrais détaillants, avec leur logo et leur nom. Ces sites Web ne sont qu’une façade pour que ces criminels puissent voler les données des cartes de crédit et les renseignements personnels importants des clients ainsi leurrés. Aussi, les cybercriminels mettent, sur les plateformes mobiles, de fausses applis qui, ils l’espèrent, seraient téléchargées. Si vous en téléchargez une, la fausse application mobile placera un maliciel sur votre appareil, ou accédera à vos renseignements importants lorsque vous utiliserez votre appli bancaire mobile[3] ».
Le suivi de ces cybers commerçants au Maroc, a permis de distinguer cinq catégories de vendeurs :
- La première est constituée des sites de réputation comme les plateformes de vente, structurées, qui mentionnent dans la page de garde du site, le numéro du registre de commerce, l’identifiant fiscal, etc. Ces sites affichent leurs conditions de vente et offrent des garanties ainsi que le droit de rétractation. Malheureusement ces sites, d’après une petite enquête menée, n’envoient pas de contrat et ne délivrent que des bons de livraison au lieu des factures. Ces bons de livraison, en plus des informations que doit contenir une facture, consacrent une partie en bas de la page tel un formulaire de retour du produit avec un certain nombre d’informations relatives aux différents types de retour. Ce type de documents envoyés aux consommateurs, jouant le rôle « de facture » et de « formulaire de rétractation », n’est pas conforme à la loi. Il reste cependant, que ces sites ont une réputation qu’ils cherchent à préserver lorsqu’il s’agit du droit de rétractation et/ou du remboursement du prix du produit au cas où il est retourné au vendeur. Les modalités de paiement exigées sont soit le versement ou le virement bancaire du montant dans leur compte avec l’envoi de l’image du reçu ou le paiement du livreur (livraison contre remboursement).
- 2. La seconde catégorie concerne les grandes plateformes de commercialisation d’électroménager ou de matériel en d’autres produits qui sont implantées dans plusieurs villes du pays et qui, avec la pandémie, proposent leurs produits aux consommateurs au niveau de leurs sites et également à travers des réseaux sociaux. Ce type d’achat s’opère auprès des magasins qui ont une grande réputation sur le marché national et appliquent les mêmes règles que lors des achats au sein de leurs lieux de vente et avec tous les services après-vente.
- La troisième regroupe des cybers marchands qui disposent de locaux de commerce avec une adresse qui, avec la pandémie et ses conséquences sur le trafic dans leurs magasins et la baisse des ventes, exposent leurs produits sur la toile, à travers les réseaux sociaux en affichant les prix. Parmi ces vendeurs, certains exigent le paiement avant l’envoi du produit en versant le montant dans un compte, ou en procédant à un virement bancaire ou encore en recourant à un opérateur de transfert d’argent ; alors que d’autres ne demandent d’être payés qu’à la livraison. Là aussi, aucun document n’est délivré au consommateur. Signalons que le paiement avant livraison constitue un risque et le recours en cas de non-respect de l’engagement de la part du vendeur peut ne pas aboutir. Dans ce cas, la meilleure assurance est de payer à la livraison et après avoir vérifié les produits achetés.
- La quatrième englobe ce qu’on peut appeler le « secteur informel virtuel », vu que ces vendeurs n’affichent qu’un numéro de téléphone et que le consommateur ne peut joindre le vendeur que par WhatsApp ou des fois par téléphone portable (aucun téléphone fixe, ni adresse). Ces derniers constituent, à mon avis une nouvelle forme d’informel, du fait qu’ils ne sont pas identifiés. Certains n’affichent pas les conditions de vente. Ils exigent le paiement en espèce à la livraison et parfois lors de la passation de la commande, et ne délivrent aucun document justifiant la transaction. Ces revendeurs ressemblent à ceux qui étalent leurs produits sur la voie publique, et que l’administration considère comme appartenant au secteur informel.
- Une dernière catégorie de consommateurs procède à des achats sur des sites étrangers soit aux États-Unis, en Chine ou en Europe. Le paiement se fait par carte bancaire en devises. Les risques d’utilisation de la carte bancaire comme moyen de paiement n’est pas à écarter bien que ces sites rassurent les acheteurs sur la sécurité du paiement. A ce niveau, toute la transaction dépend du sérieux des responsables des sites. D’ailleurs, la réputation de ces sites est due au respect de leurs engagements. Cependant, il faut signaler qu’en cas de problème, c’est la réglementation de leurs pays qui doit être appliquée.
A rappeler dans ce cadre, que la loi n° 31-08 de 2011 édictant des mesures de protection du consommateur a été élaborée et mise en œuvre pour protéger les consommateurs des pratiques malhonnêtes de certains fournisseurs. Cette protection couvre aussi bien les transactions habituelles opérées dans des lieux destinés au commerce ou autres par démarchage, que lors des achats effectués en ligne auprès de professionnels.
Est-ce vraiment le cas ? Cette loi protège-t-elle le consommateur marocain lors de toute opération d’achat ?
Le consommateur est-il informé sur ce genre de commerce qui se développe à une grande vitesse ?
Est-il outillé pour se protéger lors de la commande du produit ou du service ?
Connait-il tous les risques encourus à travers les modalités de paiement ?
Est-il au courant des procédures à suivre en cas de litiges ?
Cherche-t-il à s’informer sur l’identité exacte du vendeur et sur les conditions de l’offre ?
Le suivi de ce commerce, dont le développement est irréversible dans tous les pays du monde, nécessite une mobilisation de l’administration et des associations de consommateurs pour orienter, conseiller, et avertir les consommateurs des pratiques malhonnêtes. Le recours aux mêmes supports de communication s’avère, de plus en plus, une priorité. De même, des émissions télévisées doivent être programmées pour orienter et conseiller les consommateurs.
Plusieurs aspects du cyber commerce doivent être expliqués en détail aux consommateurs. Il s’agit des volets suivants :
- La protection qui est assurée par la loi pour les achats en ligne à l’instar des acquisitions effectuées dans un lieu destiné au commerce.
- Les informations que le consommateur doit exiger avant toute opération d’achat, telles celles relatives à l’identité du professionnel, aux caractéristiques essentielles des produits ou services proposés, à la disponibilité des pièces détachées lorsqu’il s’agit de l’achat d’un bien électroménager, électrique, électronique, etc.), aux prix avec précision des frais de livraison, à la garantie et au droit de rétractation.
- L’importance du contrat que le consommateur doit recevoir, soit avant la livraison, soit au moment de la livraison sur un support durable en plus de la facture.
- L’information sur les modalités de paiement : quand faut-il payer, avant ou après la livraison ? Quel moyen utiliser ? Lequel de ces moyens est-il sûr ? (le chèque, en espèces ou la carte bancaire, etc.).
- Les conseils sur la procédure à suivre ainsi que sur les éventuels recours au cas où le produit n’est pas disponible dans les stocks des fournisseurs ou en cas de problème de livraison ou encore en cas de livraison d’un produit défectueux, etc.
Néanmoins, l’orientation, le conseil et l’appui du consommateur ne peuvent être menés que par une administration dotée de ressources humaines compétentes et bien formées à ce genre de commerce. Les associations de consommateurs doivent être formées et appelées également à jouer ce rôle. Il convient également de consacrer une édition spéciale de la journée nationale du consommateur aux achats en ligne et aux problèmes engendrés par ce type de commerce, en vue de sensibiliser les associations de consommateurs à ce phénomène et formuler des orientations.
A côté de ces deux structures il s’avère plus qu’indispensable de mettre en place une structure indépendante en charge du dossier de la consommation qui sera appelée à élaborer des études, à assurer des formations des membres des associations de consommateurs et à communiquer avec les consommateurs à travers les réseaux sociaux. Cette institution devra mettre en place un fichier central des revendeurs en ligne avec un fichier des sites défaillants, à l’instar, pour les chèques, du fichier des incidents de paiement. Elle aura également comme mission la mise en place d’une ligne téléphonique (gratuite ou au prix d’une communication locale) et/ou une adresse mail à même de répondre à toutes les interrogations des consommateurs.
Il est à rappeler encore une autre fois que l’e-commerce gagne de jour en jour du terrain, aussi bien au Maroc qu’ailleurs et ce, grâce au développement de l’internet et de son débit et à la popularisation des smartphones, vu la tendance à la baisse de leurs prix. De même, les opportunités offertes par ce type de commerce sont innombrables à travers le gain de temps, les possibilités de commander à tout moment sans se déplacer, les livraisons à domicile ou au lieu de travail, les offres de choix multiples, etc.
Si l’administration ne mobilise pas les moyens tant humains que matériels, ce phénomène risque de mener à une prolifération d’arnaqueurs sur la toile. La victime sera bien sûr le consommateur non avisé et ignorant les failles de ce type de commerce.
Conseils aux consommateurs :
- Renseignez-vous au préalable sur les sites de vente et n’hésitez pas à demander conseil à vos proches, camarades et amis ;
- Optez dans toute opération d’achat pour les sites qui sont connus et qui ont une réputation ;
- Dans le cas où vous optez pour les achats auprès des vendeurs non identifiés, il faut exiger le paiement à la livraison. Il ne faut pas oublier de vérifier les achats avant le paiement (quantité, qualité, etc.). Et s’il s’agit d’un achat lié à une livraison par une société de messagerie contre remboursement, le risque n’est pas à écarter. La presse numérique « Rue 20[4]» a relaté l’histoire d’une dame de Fès qui a fait les frais de ce choix. Cette consommatrice a découvert, après livraison d’un colis et règlement du montant de la transaction à la société « Amana », que la caisse envoyée contenait des détritus, au lieu d’habits pour enfants achetés auprès d’un vendeur de Meknès ; celui-ci exposant ses produits sur Facebook. Le montant de la facture d’achat s’élevait à 1800 dhs.
- A signaler toutefois, dans ce cadre que plusieurs vendeurs ont eu également, des surprises avec certains clients qui n’honorent pas leurs engagements. Situation qui a amené certains revendeurs soit à exiger le paiement au moment de la commande ou alors le versement d’un acompte avant l’exécution de la commande (il convient de prendre des précautions dans ces cas).
- Faites très attention aux publicités alléchantes, présentant des produits avec des prix très bas ;
- Informez-vous auprès de votre banque sur les mesures de sécurité à prendre lors de l’utilisation de la carte bancaire pour le paiement des achats effectués auprès d’un site à l’étranger ;
- Apprenez à comparer les prix, notamment des produits ou services à acheter pour la première fois et dont les niveaux sont élevés ;
- Méfiez-vous et faites attention aux messages du type « stock limité » ou « il reste seulement X minutes pour profiter de ce prix », ou encore « c’est la dernière démarque» ; c’est une méthode utilisée pour provoquer rapidement les achats.
- S’assurer du contenu des colis envoyés contre remboursement
[1] https://panorapost.com/post.php.
[2] Reflexes indispensables avant d’acheter en ligne, https://www.60millions-mag.com du 02/07/2020.
[3] Association des banques canadiennes, https://cba.ca/, le 25/02/2021.
[4] Rue 20, du 29 avril 2021.