Docteure Khadija Moussayer
La Docteure Khadija Moussayer est spécialiste en médecine interne et en gériatrie. Elle est présidente de l’Alliance Maladies Rares du Maroc (AMRM), et assure aussi la présidence de l’Association Marocaine des Maladies Auto-Immunes et Systématiques (AMMAIS).
Dans cet entretien, la Dr Moussayer tient à expliquer que l’expérience de la Covid-19 a permis de donner du sens à cette mission noble du corps médical, avec le sens du devoir accompli.
La Nouvelle Tribune : Question d’actualité. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui sur la situation pandémique au Maroc?
Mme Moussayer: La situation épidémique du Maroc a connu de nombreux rebondissements depuis le premier cas déclaré le 2 mars 2020. Il faut reconnaitre que la gestion politique et sanitaire de la pandémie a été d’une grande efficacité avec la mise en place dès le 9 mars de mesures pour contenir la propagation de l’épidémie.
Très rapidement, les vols à destination de plusieurs pays ainsi que les liaisons maritimes avec l’Espagne et la France ont été suspendues. La décision de la mise en place d’un confinement très strict qui allait durer trois mois a été rapidement prise.
De même que la fermeture des écoles avec l’instauration de la continuité pédagogique en dispensant les cours à distance. Par la suite, est venue la fermeture des espaces publics et la rupture des liaisons interurbaines pour renforcer davantage le contrôle de l’épidémie causée par ce coronavirus.
Néanmoins, le nombre de cas a commencé à augmenter de façon significative à partir de la dernière semaine du mois de Mars pour ainsi dépasser les cent cas journaliers dès le début du mois d’avril 2020.
L’épidémie a par la suite atteint un premier pic au mois de juin et a continué son ascension pour atteindre un deuxième pic au mois de novembre 2020 et par la suite emprunter une pente descendante, un phénomène que nous connaissons jusqu’à maintenant en ce mois de février 2021.
Parallèlement à la gestion de la crise sanitaire et économique, notre pays a participé activement à des essais cliniques pour l’élaboration d’un vaccin contre le coronavirus pour ainsi obtenir des vaccins en quantité suffisante et assurer le transfert du savoir afin de garantir une autosuffisance de production.
Actuellement, nous vivons une compagne de vaccination massive avec une très bonne adhésion de la population.
Comment vous avez vécu cette expérience de crise sanitaire qui a secoué le monde entier ?
Je pense que tous les professionnels de santé comme moi ont ressenti un sentiment de devoir et de responsabilité. On a voulu donner le meilleur de nous-
mêmes pour lutter contre cette épidémie. C’était au début très déroutant de se situer dans ces circonstances inédites. Tout était à apprendre : comment se transmettait la maladie, comment casser les chaines de transmission, comment traiter les patients…
Il fallait suivre sans relâche les actualisations de la maladie et lutter contre les «fake news» et les théories complotistes qui ont beaucoup circulé au début de l’épidémie sur les réseaux sociaux. Il faut souligner que les médecins ont fait preuve d’une grande solidarité et les moyens de communication y ont beaucoup participé ; il y a eu un grand partage des informations, des expériences et des résultats entre les collègues.
Sur le plan personnel, je me suis mobilisée activement dans cette période inédite. En tant que praticienne en cabinet privé, j’ai été confrontée comme tout le monde aux risques de contamination.
Il fallait gérer aussi à distance l’état de santé des patients qui ne pouvaient pas se déplacer pour venir physiquement consulter et en tant qu’actrice associative et intervenante médiatique, il fallait répondre aux différentes sollicitations des médias.
C’était une période très intense. Nous étions persuadés de l’importance d’apporter du confort et un soutien émotionnel à la population ébranlée surtout au début de l’épidémie.
Les conditions de travail étaient particulières et éprouvantes dans le contexte de l’épidémie pour tout le personnel soignant, à différents points de vue : intensité de la charge de travail et du volume horaire, port d’équipements de protection très inconfortables, mesures d’hygiène drastique…
Quelles sont les leçons à retenir de la pandémie Covid-19 ?
Les leçons données par cette épidémie ont été très édifiantes, en premier lieu elle nous a appris l’humilité et la nécessité de laisser une part de doute à nos convictions et à nos connaissances.
En effet, alors que beaucoup de scientifiques ont avancé la bénignité du virus et sa relative banalité au tout début, ce dernier s’est avéré plus dangereux pour certaines populations à risques. Cette épidémie nous a appris aussi l’importance d’un système de soins de qualité, la nécessité d’avoir des prestations de soins adéquates qui exigent un personnel en quantité et en qualité satisfaisantes.
Cette épidémie a mis en exergue aussi le fait que le personnel de la santé est l’élément moteur de tout progrès en matière de santé. La multiplication rapide de nombre de cas, phénomène qui a été l’essence même de cette épidémie accompagnée de l’augmentation du nombre de cas compliqués nécessitant une hospitalisation en soins intensifs ou en réanimation engendre un rythme soutenu de travail. Avoir un effectif suffisant de personnel médical, et de places dans les services hospitaliers est nécessaire pour faire face à l’afflux rapide et important de nouveaux patients, or au Maroc, nous souffrons encore d’un manque patent de personnel médical et paramédical ainsi que de structures hospitalières. Devoir investir plus dans le domaine de la santé, a été à mon sens, la grande leçon à tirer de cette épreuve.
A cette occasion du 8 mars, que pouvez-vous nous dire sur la place de la femme marocaine dans la médecine ?
La profession médicale n’a cessé de se féminiser au Maroc depuis les années 80. De manière générale, les femmes ont un enclin à se tourner vers des professions médicales, telles que sages-femmes et infirmières exercées presque exclusivement par des femmes.
Les femmes médecins sont respectées dans notre société et leur compétence est réellement reconnue. En tant que femme médecin, je peux témoigner que les femmes ne souffrent d’aucune discrimination ou toute autre inégalité dans l’exercice de leur métier.
À l’heure actuelle, la féminisation est croissante chez les médecins. Cependant, les femmes et les hommes se répartissent différemment selon les spécialités médicales. Les femmes sont surreprésentées dans les spécialités médicales telles que la gynécologie, la dermatologie ou la pédiatrie.
Par contre, elles sont sous-représentées dans les spécialités chirurgicales comme la chirurgie générale ou orthopédique. La confrontation à la maladie, à la souffrance humaine est émaillée de beaucoup de difficultés.
Les études de médecine sont encore trop centrées sur l’approche technique et hospitalière, alors que c’est notre part de féminité (y compris chez les hommes), qui nous aide à actionner d’autres leviers très utiles dans l’exercice pratique de la médecine comme l’empathie, la compréhension, la compassion ou l’écoute.
Par ailleurs, la relation patient/soignant qui s’appuie sur la féminité développe davantage la participation du patient, chose qui demande une maîtrise plus approfondie de la relation. Malgré l’abondance de nouvelles technologies, la médecine ne peut tout résoudre et elle n’est pas dénuée d’échec ou de risques.
Cet enracinement dans la réalité des choses est tout ce qu’il y a de féminin en nous. Par ailleurs, face à certaines exigences de prescription par exemple d’antibiotiques, un savant arbitrage s’impose entre rester fermes face aux demandes et le souci de satisfaction.
C’est ici que trouver un équilibre entre la féminité et la masculinité dans nos attitudes a toute sa pertinence : entre interaction participative et fermeté directive.
En tant que femme marocaine, espérez-vous que cette expérience va motiver plus de jeunes femmes à devenir médecins ?
Bien sûr, je l’espère que nous aurons plus de médecins qu’ils soient hommes ou femmes (elles sont déjà largement majoritaires parmi les étudiants). Les professionnels de santé se sont pleinement engagés dans la lutte contre la Covid-19, ce qui a mon avis a beaucoup valorisé la profession médicale et a tourné la population vers le souci d’avoir une médecine de meilleure qualité. Je pense que cet épisode que nous vivons va déclencher des vocations.
Un mot de conclusion ?
L’expérience de cette épidémie a été éprouvante, aussi bien physiquement que psychologiquement, pour tout le monde, Néanmoins, le vécu de cette épidémie a eu également un sens et des bénéfices pour le corps médical : ils se sont sentis fiers d’eux-mêmes, de leur courage et ténacité et de leur capacité à surmonter les épreuves et ont ressenti un sentiment d’accomplissement.
Elle leur a également permis de donner du sens à leur travail et à leur vie. Par ailleurs, l’épidémie les a poussés à réfléchir sur ce qui était important pour eux et à profiter de l’instant présent.
Entretien réalisé par Hassan Zaatit