Amar Hamimaz
Pour définir la fraude, sans vouloir plonger dans les méandres de la littérature, on doit simplement la voir avec les yeux du commun des mortels, c’est-à-dire un acte malhonnête motivé par la course effrénée aux gains, à la richesse, au prestige, à l’orgueil.
Le consommateur est avant tout, et de plus en plus, préoccupé par des produits alimentaires de mauvaise qualité risquant de l’envoyer à l’hôpital et parfois au cimetière.
En ces temps où l’argent court plus vite que le droit, plus vite que la science, plus vite que l’émancipation des peuples, les risques sont grands.
Les groupes organisés de spéculateurs bâtissent leur fortune sur la misère physiologique et la tromperie continue de leurs concitoyens. Les traits négatifs du cerveau humain tendent malheureusement à l’emporter sur les traits positifs.
Dans les pays du Tiers-Monde lorsque les fraudes accompagnent main dans la main la corruption, en s’entraidant mutuellement, le risque de dilution des valeurs d’antan est à redouter.
Dans les pays industriels, les nouveaux fraudeurs sont ceux qui maîtrisent le mieux les techniques de l’innovation. Leurs laboratoires sont autrement plus efficaces que ceux de l’administration de contrôle. Ceci dit, nous n’avons nullement le désir de dénigrer pour le plaisir de dénigrer mais seulement et uniquement à faire en sorte que les écarts et dysfonctionnements constatés ne se renouvellent plus ou du moins qu’ils soient freinés. Il est vrai qu’on ne peut pas, ne pas dénoncer avec véhémence les insuffisances du système mis en place pour le contrôle des aliments. Le sujet est trop brûlant pour rester les bras croisés au moment où la fraude est décriée comme une maladie honteuse du marché.
Pour illustrer davantage cette maladie particulière, nous allons tenter de rentrer dans le cerveau du fraudeur à travers le choix de trois exemples significatifs.
- Nous assistons ces dernières années à un phénomène inquiétant, celui de l’alimentation des moutons pour la fête d’Aïd-el-Kebir à partir de déjections (fumiers) provenant des élevages de poulets. Elle se pratique au grand jour et sur grande échelle et sans faire bouger le moindre petit doigt de la part des associations de consommateurs censées défendre la santé du consommateur.
Les éleveurs délinquants connaissent bien les dangers auxquels ils nous exposent. Ont-ils oublié le drame de la vache folle ? Au Royaume Uni, afin de réaliser des gains faciles et rapides, des herbivores ont été nourris avec des produits à base de viande animale : « la vache mange la chair de sa sœur !!! ».
- Sur un autre plan, les consommateurs savent-ils que la viande à texture dure peut devenir tendre grâce à l’utilisation d’un appareil appelé attendrisseur pourvu de dents qui coupent et mâchent en profondeur les fibres ?
Cette machine si, elle n’est pas stérilisée avant et après chaque usage, présente le risque d’introduire dans la viande des germes dangereux. Cette pratique constitue en plus une tromperie sur les qualités substantielles du produit.
- Notre troisième exemple est effrayant. Il s’agit d’un véritable génie diabolique, féru de recherche scientifique. Il a été, sans doute, le seul au monde à fabriquer du poivre, cette épice recherchée, à partir de pâtes alimentaires dites Mhamssa, appelées aussi petits plombs. Avec une ingéniosité remarquable, il est arrivé à modifier la grosseur de chaque petit plomb pour répondre à ses exigences technologiques en termes de granulométrie. Pour colorer son « poivre » artificiel et le rapprocher de la couleur sombre du vrai poivre, il a déployé un savoir-faire satanique en faisant rouler le produit dans des huiles minérales usées de vidange de moteur. Il ne lui restait plus qu’à aromatiser sa mixture avec un additif de synthèse rappelant l’odeur du vrai poivre. Il a pu ainsi commercialiser plusieurs centaines de tonnes et se ramasser une florissante petite fortune. La loi finit par le rattraper et mettre fin à son rêve machiavélique qui devait mener à des intoxications graves de grande envergure pareilles à celles des huiles nocives de 1959.
Quittons maintenant ce domaine de l’alimentaire et du marché, pour essayer de voir de ce qui se passe ailleurs, dans des secteurs ou l’homme est également consommateur de produits culturels notamment.
On retiendra trois domaines :
- La fraude électorale basée sur l’achat des voix, des bulletins de vote. L’acte est méprisable aussi bien pour les acheteurs que les vendeurs de conscience.
Au niveau supérieur, celui du parlement, ce sont des sommes considérables qui sont dégagées afin d’influencer l’électorat. Des vivres, des vêtements, des moutons sont distribués ; des promesses d’aller à la Mecque sont annoncées ; des mosquées sont équipées, des festins organisés.
Une démonstration de puissance consiste à utiliser des convois de voiture pour soulever sur les pistes, d’immenses nuages de poussière visibles sur des dizaine de kilomètres.
La démocratie n’est pas un jeu de cache-cache ni un système de blocage de la société. Est-ce là la doctrine de Maurice Duverger « la démocratie est d’abord fondée sur une morale, une morale exigeante, fécondante à base de foi et de désintéressement ».
L’homme politique semble donner sa préférence à cette boutade de Chateaubriand « Un mensonge répété devient vérité ».
Que deviendraient à tous les niveaux nos assemblées représentatives si elles étaient composées en majorité de fraudeurs, de corrompus, de corrupteurs ? - La fraude est également présente dans le système d’enseignement lorsqu’un père et une mère aux ressources limitées, s’endettent pour soudoyer à droite et à gauche et tenter d’obtenir pour leur progéniture un diplôme de baccalauréat. C’est la médiocrité qui triomphe de la méritocratie. Dans ces conditions, quelle future élite prépare-t-on ? et quelle culture développe-t-on ?
Au Japon, la recherche permanente de la qualité, de la performance et de l’excellence est une composante essentielle de la culture.
Dans notre pays, lorsqu’on assiste aux mesures draconiennes prises pour contrer la fuite des sujets d’examen et l’impressionnant cordon sécuritaire dans et autour des classes, on se croirait face à des forteresses en état de siège. C’est tout simplement le spectre de la fraude qui créé tout ce remue manège. - Le domaine ou la fraude fait des ravages est celui de la fiscalité. Les gens fuient l’impôt comme on fuit la peste. Certains cherchent à payer moins à l’État, oubliant par-là que les pouvoirs publics assurent paix et sécurité pour tous. Comme dit l’adage : « à tout malheur quelque chose est bon ». Le virus de Corona a créé un élan de solidarité sans précédent de nos structures hospitalières qui, maintenant n’ont rien à envier à celles des pays développés. Cet élan a permis à SM le Roi, que Dieu le protège, de ne pas oublier d’autres pays confrontés à cette terrible maladie. Ce geste noble du souverain pour le continent est, pour nous marocains, source de fierté.
Il reste maintenant à réconcilier le contribuable et le fisc. C’est maintenant l’impôt qui a désormais besoin d’être protégé des manœuvres des falsificateurs des comptabilités des entreprises.
En guise de conclusion, on doit rappeler :
- Que le fraudeur est celui qui cherche à rendre son intérêt plus grand que grand et l’intérêt général plus petit que petit
- Le grand fraudeur est celui qui éprouve du plaisir, de la joie à voir son pays avancer à la vitesse de la tortue
- Les peuples, qui au cours de leur marche vers la démocratie, dans la culture et dans la fiscalité, ne respectent pas les lois, sont des peuples qui sont sur le sentier de la décadence. Qu’il nous soit permis de lancer ce cri d’angoisse : Consommateur défends-toi !