Membre de la communauté des analystes et chercheurs du Policy Center For The New South, le socialiste Fathallah Oualalou présente sa propre réflexion sur ce qui est important à tirer d’une crise mondiale dite Covid-19. Une contribution proposée cette semaine par le Policy Center dans le cadre des analyses de ses membres sur le Covid-19.
Dans sa contribution, l’ancien ministre de l’Économie, souligne que 2020 restera dans l’histoire l’année du Coronavirus, bien sûr, mais, surtout, celle de l’ébranlement de nos certitudes. Le choc économique provoqué par la pandémie a révélé l’extrême vulnérabilité de la mondialisation, présentée jusque-là comme triomphante.
Si nous sommes encore loin de la sortie de crise, nous savons déjà que la mondialisation n’en sortira pas indemne : elle ne sortira pas indemne de la révision radicale du fonctionnement de l’économie, des remises en cause des politiques publiques, des systèmes politiques et sociétaux et, même, des rapports entre les Etats qui se profilent déjà. Il y aura désormais l’avant Covid-19 et l’après Covid-19.
La crise économique et financière de 2008 avait déjà ébranlé la mondialisation et sa dynamique, provoquant un début de redéploiement des rapports de force dans le monde. Alors que les incendies qu’elle a allumés ne sont pas encore tout-à-fait éteints, voilà qu’un petit virus vient replonger le monde dans une crise nouvelle, d’une ampleur et d’une intensité inouïes, sans précédent, à la mesure de la pandémie qu’il a provoquée.
Covid-19 a mis en lumière les limites de l’ultralibéralisme et de l’individualisme. Les règles du marché ne peuvent plus, seules, diriger le monde : l’Etat, que l’on veut désormais protecteur, aura la mission stratégique d’en redresser les dérives qui se mesurent en termes de détérioration de l’environnement (dimension écologique), d’accentuation des inégalités (dimension sociale) et, maintenant, d’apparition d’épidémies (dimension sanitaire). Car, de ces dimensions dépend l’avenir de l’humanité. Xavier Ragot, économiste français, a, d’ailleurs, écrit que « l’essence de l’Etat est la survie des individus ». Comme en temps de guerre.
Et les victimes du Covid-19 ne seront pas mortes pour rien, selon M. Oualalou. La mise en valeur de l’interdépendance entre les pays et les marchés qui marquera, donc, la fin de la logique de l’égoïsme (America first) et des nationalismes/populismes, se décline en plus de coordination régionale et internationale organisée à tous les niveaux : au niveau du G2, Etats-Unis – Chine, entre les deux superpuissances mondiales, au niveau du G7, groupe des pays les plus développés dont fait partie l’Europe, entre les membres du P5, membres permanents du Conseil de Sécurité – lequel ne s’est jamais réuni depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – et au niveau du G20, créé récemment pour responsabiliser les grands pays émergents.
Dans le cadre de la mondialisation avancée, il est bien sûr important que toutes ces instances prennent en compte les conséquences de cette nouvelle crise mondiale pour les pays les plus démunis et les pays en développement, note l’ancien ministre. La chute de l’activité économique mondiale, qui sera particulièrement dure pour eux, constitue une menace réelle pour les populations les plus pauvres (500 millions). D’où les appels à l’annulation des dettes des pays africains.
Dans ce post-2020, ce sont les systèmes les plus cohérents qui renforceront leur rayonnement. Le big data sera un atout pour ceux qui le produisent et le maitrisent. Les plus efficients feront le monde de demain, comme les superpuissances d’hier ont imposé leur marque dans le cheminement de l’histoire du monde depuis 1945. Ils avanceront dans la construction des sociétés post confinement à travers l’investissement dans les nouvelles infrastructures informatiques à très haut débit et dans la formation qui se fera de plus en plus à distance. Daniel Cohen annonce, en effet, l’émergence d’un nouveau capitalisme dominant, celui du numérique.
« La vulnérabilité que le Covid-19 a révélée, nous interpelle nous, Marocains, Maghrébins, Sud-méditerranéens et Africains », écrit M. Oualalou. Et d’ajouter qu’elle doit nous conduire à prendre conscience de la valeur du voisinage comme un bien commun, à ouvrir nos frontières, créer les bases de réconciliation et de rapprochement, pour renforcer notre position de négociation dans la gestion de la mondialisation post-2020. Elle doit nous conduire à promouvoir les partenariats nécessaires pour réduire notre dépendance vis-à-vis du reste du monde, dépendance que nous devons à nos seules défaillances.
Si, à court terme, la crise actuelle a brisé les liens économiques et les réseaux de production à l’échelle mondiale, elle n’en favorise pas moins les solidarités régionales. Les initiatives de l’Inde de créer une conférence regroupant les pays sud-asiatiques pour élaborer une stratégie de lutte contre le virus dans un cadre régional ou, encore, du roi Mohammed VI de suggérer aux pays africains de mettre en place une plateforme de partage des bonnes pratiques dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire actuelle, en sont la preuve.
Elles constituent les prémisses de la promotion de solidarités et d’interdépendances à l’échelle régionale et du renforcement du partenariat Sud-Sud. Car, après 2020, les chaines de valeur régionales pourraient se substituer aux chaines de valeur mondiales. La proximité prendra sa revanche sur le lointain.
« Nous devons, dans cette approche, interpeller l’Europe voisine qui doit, désormais, s’unir et tendre la main à sa proximité, l’aire Sud-méditerranéenne et l’Afrique pour construire avec elles un nouveau pôle de rayonnement et asseoir les bases d’une mondialisation nouvelle, plus équilibrée et partagée », affirme l’ancien ministre.
Dans notre région afro-euro-méditerranéenne, c’est à l’Europe de tirer les leçons de cette crise sanitaire et économique : réduire sa dépendance au niveau des chaines de valeur mondiales avec le lointain et créer des interdépendances solides avec sa proximité au Sud. Promouvoir la relocalisation des activités industrielles pour les intégrer dans une logique régionale qui intègre l’aire afro-méditerranéenne permettant, ainsi, de redonner à la Méditerranée sa centralité en tant que mer européenne et Africaine.
H.Z avec Policy Center