M. Abdellatif Jouahri, Wali BAM
Quel dommage que le Conseil de Gouvernement ait mis « fin », (provisoirement ?), à la réforme du marché de change et au lancement de la flexibilité du dirham !
Mais surtout, que le chef du gouvernement, devant les deux chaînes nationales de télévision, n’ait donné aucune explication convaincante de ce choix et minimisé le travail de Bank Al-Maghrib en réduisant le rôle de la Banque centrale à un « accompagnement » !
Ce qui est également regrettable c’est que les journalistes qui l’interrogeaient n’aient pas demandé au Dr Saad Eddine El Othmani d’argumenter sa décision et de préciser ses orientations économiques pour notre pays.
Car il est anormal de ramener la grande et importante réforme du régime de change au Maroc à une seule acceptation ou un simple refus des responsables publics !
En effet, s’il est inutile de préciser que la décision de prendre ce grand tournant relève de la stratégie politique, revenons sur les deux ans de sa préparation par Bank Al-Maghrib.
La bataille des prérequis
Tout d’abord, M. Abdellatif Jouahri, son Wali, a engagé notre pays dans de longues et importantes concertations avec le FMI sur la nécessité de d’établir l’ouverture de l’économie marocaine dans tous ses droits et lever la contradiction entre une économie ouverte et un régime de change contrôlé, ce qui en soi constitue une contradiction.
Mais, pour autant, la Banque centrale a toujours pris soigneusement soin d’en mesurer les risques et notamment dans l’éventualité de chocs économiques et financiers.
De plus, le Gouverneur de BAM n’a jamais fait cavalier seul. C’est en pleine concertation avec le Ministre de l’Économie et des Finances, M. Mohamed Boussaid, qu’il a été décidé de lancer la réforme devenue incontournable sur la durée.
Durée qui d’abord a été celle de la préparation avec l’accompagnement du FMI et qui s’est étalée sur deux années au moins.
Dans cette première phase, partant de zéro, Bank Al-Maghrib a encore une fois joué l’incubateur. Elle a travaillé sur les prérequis imposés pour le passage du contrôle des changes à la flexibilité de la cotation.
Il s’agissait d’abord de renforcer les fondamentaux du pays en diminuant graduellement le déficit budgétaire et réduisant totalement le déficit ordinaire.
Il fallait également diminuer le taux d’endettement du Trésor par rapport au PIB, structurer la dette publique et en abaisser la charge pour l’Etat, tout en jonglant avec l’endettement extérieur et intérieur.
Il s’agissait aussi de veiller au grain pour conforter le solde extérieur de notre pays en stabilisant la hauteur de nos réserves de devises à six mois d’importations minimum, une véritable gageure dans un pays structurellement importateur comme le Maroc.
Et, avec la transformation industrielle de l’économie marocaine actuellement en marche, conforter les exportations sur le long terme, tout en bénéficiant de la baisse du prix du pétrole pour diminuer les importations d’hydrocarbures, lesquelles pesaient lourdement sur la balance commerciale.
Enfin, la stabilisation de ces prérequis économiques devait permettre à BAM de cibler un taux d’inflation à moyen terme sur la base duquel la valeur du dirham pourrait évoluer dans une fourchette déterminée.
BAM, pour un ciblage crédible de l’inflation, a dû mettre en place dans ses services des bases de données économiques précises, destinées à repérer tout dérapage inflationniste en suivant la consommation des ménages, les prix des denrées alimentaires et tout autres biens largement consommés pour mesurer le comportement du taux d’inflation, interne et importée, et en maîtriser la tendance par une politique monétaire finement « tunée ».
Le grand tournant
Aujourd’hui, la phase préparatoire de la réforme de change est considérée comme terminée et le Maroc est prêt à prendre ce tournant de la concrétisation d’une économie ouverte dans toute son ampleur, aux avantages incontestablement mesurables.
Partant, protéger l’économie marocaine contre les chocs extérieurs est l’un des objectifs premier de la réforme de change. Et Dieu seul sait combien l’on a subi de chocs qui ont affecté ou fait régresser notre économie.
Et, nul doute que seuls les esprits avisés savent combien celle-ci reste encore dépendante des crises économiques et financières, des prix des matières premières, (notamment celui du pétrole, mais pas seulement), mais également des possibilités de financement de notre pays sur le marché international des capitaux…
C’est pourquoi, il ne faut surtout pas enterrer la réforme de change minutieusement préparée par BAM depuis deux ans car on risque de le regretter au moindre prochain choc !
Espérons donc que M. Jouahri, de son côté, n’abandonnera pas aussi facilement.
Il sait, tout autant que M. Boussaid, ce que la mise en place de la réforme de change a coûté en temps, en réformes budgétaires, en efforts économiques. Ils ne doivent pas abandonner cette importante avancée pour notre pays !
Et Bank Al-Maghrib, qui a fait évoluer la loi bancaire pour accompagner les banques commerciales en Afrique tout en préservant leur solidité financière, appuyé les PME par un fonds de soutien, œuvré pour faciliter et fluidifier le financement bancaire de l’économie, ne peut être ramenée à un simple et seul rôle d’accompagnateur.
Bien au contraire, la Banque centrale a été un incubateur et grand acteur de réformes fondamentales pour l’économie et les finances de ce pays !
Pour toutes ces raisons, la réforme des changes, telle que préparée et conçue par M. Jouahri et ses équipes, doit se faire.
BAM n’a eu cesse d’organiser des road shows auprès des opérateurs, des associations professionnelles d’exportateurs et de tous les acteurs économiques concernés pour les sensibiliser à la forme et au fonds d’une cotation de change flexible.
Si certains n’ont rien compris et, de surcroît, ont été mal conseillés par les salles de marché qui les ont poussés à prendre des couvertures de changes, ce n’est qu’un incident de parcours.
L’important, c’est que notre Dirham devienne petit à petit une devise qui varie dans une fourchette maîtrisée par BAM et l’Office des Change pour un meilleur ancrage de l’économie marocaine dans le vaste champ de l’économie mondialisée.
Alors, de grâce M. Jouahri, ne lâchez pas et continuez ce combat. Les Marocains vous en sauront gré !
Afifa Dassouli