L’annonce du report de la conférence de presse conjointe que le Ministre de l’Économie et des Finances, M. Mohamed Boussaid et le Wali de Bank Al-Maghrib, M. Abdellatif Jouahri, devaient tenir sur l’entrée en vigueur de la réforme sur la flexibilité du dirham, a fortement surpris.
En effet, ce report a visiblement été décidé « en catastrophe », quelques heures à peine avant la rencontre avec la presse.
Depuis, chacun se perd en conjecture et ni les explications du Ministre Mustapha El Khalfi, au sortir de la réunion du conseil de gouvernement le 29 juin, ni les « indiscrétions » susurrées à quelques supports n’ont vraiment convaincu les observateurs et les milieux financiers, adeptes de l’adage :
« Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages »…
Car, en vérité, l’annulation de la conférence de presse, pour surprenante et inattendue qu’elle soit, n’est pas une question d’importance.
Ce qui interpelle fortement, c’est plutôt la conséquence de ce rendez-vous annulé, c’est-à-dire le report, sine die vraisemblablement, de la mise en place de la flexibilité du Dirham elle-même.
On pensait pourtant que tout était prêt et les assurances de Bank Al-Maghrib confirmaient que le calendrier annoncé par le Wali Jouahri serait respecté, même si certains, (La Nouvelle Tribune essentiellement) avaient considéré que l’application de cette flexibilité contrôlée et bien encadrée, ne serait pas effective avant le mois de septembre prochain…
Quelles sont donc les raisons profondes de cette reculade ?
Plusieurs remarques pourraient expliquer ce « deux pas en avant, trois pas en arrière » de la Banque centrale et du gouvernement.
On constatera, tout d’abord, que l’économie marocaine, présentée en phase de reprise, du fait notamment d’un retour de la croissance dans les pays européens et à l’échelle mondiale, a été durement affectée ces dernières années.
L’un des résultats de ce marasme s’exprime aujourd’hui par la montée des mécontentements populaires et la nécessité de relancer la politique d’investissements publics, à la fois pour développer l’emploi et satisfaire les attentes sociales de plus en plus pressantes.
La vacance gouvernementale de six mois, qui a pris fin à la mi-avril 2017 a clairement affecté la capacité de l’Etat en tant que premier investisseur et opérateur du pays, mais aujourd’hui, chacun convient qu’il est urgent de mettre en œuvre la relance économique, et notamment dans une perspective « sociale ».
Bien évidemment, cette nouvelle donne, (amplifiée notamment par les échos d’Al Hoceima), ne devrait pas arranger les finances publiques, voire malmener quelque peu les grands équilibres macroéconomiques, si chers à nos « amis » du FMI et de la Banque Mondiale, bien calés dans leurs fauteuils à Washington…
Or, comme longuement expliqué par les services de BAM, ces grands équilibres figurent en très bonne place dans les prérequis exigés pour l’adoption et l’application de la réforme sur la flexibilité de notre monnaie nationale.
L’hypothèse d’une nouvelle dégradation de ces équilibres en raison des nécessités de la conjoncture pourrait donc expliquer le report de la mise en œuvre de cette réforme, pourtant ardemment souhaitée par le Wali Jouahri.
Autre raison qui expliquerait cette mesure, la situation de nos balances des paiements et commerciale, caractérisées par la dégradation de leurs soldes.Comment donc placer le Dirham en situation de flexibilité, même relative, dans ce contexte peu porteur ?
La prudence exigerait, en effet, que les responsables prônent le report dans l’attente de l’amélioration de la santé économique du Royaume. Il est vrai que mieux valent 4,5% de croissance du PIB escomptés pour 2017 que les 1,2% réalisés en 2016 !
Enfin, dernier élément, et non le moindre, qui a pu concourir à cette décision conjointe de l’Institut d’émission et du gouvernement, celui de la défiance des opérateurs qui s’est clairement manifestée tout au long du mois de juin par des demandes intempestives de couverture du Dirham auprès des banques de la place.
Une démarche qui a coûté plusieurs dizaines de milliards en devises en l’espace d’une vingtaine de jours, entraînant l’ire spectaculaire et publique du gouverneur de la Banque centrale…
Cette vague de panique par anticipation des milieux économiques a ainsi fait craindre, au plus haut niveau, le spectre d’une dévaluation de facto, laquelle aurait eu pour effet la relance de l’inflation et, ipso facto, une atteinte au pouvoir d’achat des foyers populaires…
Voilà pourquoi, in fine, il convient peut-être de clore cet article par le dicton bien connu « avant l’heure, c’est pas l’heure »…
Fahd YATA