Les émissions obligataires subordonnées, à durée déterminée ou perpétuelle, lancées par les trois grandes banques de la place interpellent à différent titre ! Tout d’abord, elles se comptent en milliards de dirhams et se font de façon concomitante. C’est dire que les banques concernées continuent à croître, tout particulièrement à l’international.
Par ailleurs, si les émissions obligataires d’Attijariwafa bank et de la Banque Populaire, parce qu’elles sont subordonnées à durée déterminée, s’adressent à tous les institutionnels, y compris les OPCVM, celle à durée indéterminée de BMCE Bank of Africa concerne plus spécialement ceux qui, de par leur activité, comme les caisses de retraite notamment, peuvent investir sur un très long terme vu le caractère perpétuel de ces émissions.
Interrogés sur leur choix d’y souscrire, certains ont relevé que si la rémunération est très intéressante, la prise de risque aux cotés des actionnaires des banques justifie leur hésitation !
Pourquoi et en quoi consiste ce risque ? Comment Bank Al-Maghrib et la réglementation bancaire protègent-elles les banques d’abord, les souscripteurs de ces émissions subordonnées ensuite ?
Telles sont les interrogations qui ont guidé l’enquête qui suit.
Bâle III, causes et conséquences ?
Le fil conducteur de nos questions au régulateur repose sur une interrogation simple : pourquoi ces banques ne recourent-elles pas pour financer leurs engagements et leur croissance externe à des augmentations de capital, comme la science de la finance le préconise ?
Les réponses à cette question se trouvent dans la réforme bancaire de 2013 et
la Direction de la Supervision Bancaire nous a donné des éclairages à partir de la réglementation édictée à cet effet.
En effet, la réforme de la réglementation prudentielle fait suite à la crise financière internationale qui a révélé que les fonds propres des banques se sont avérés insuffisants pour absorber leurs pertes.
Tirant les leçons de cette crise, le Comité de Bâle a en effet souhaité améliorer la quantité et la qualité des fonds propres des institutions bancaires, ceux-ci s’étant révélés d’un niveau trop faible et par nature insuffisamment en mesure d’absorber efficacement les éventuelles pertes.
Car l’objectif des fonds propres, qu’il s’agisse du capital ou des émissions obligataires subordonnées est d’absorber les pertes. Certes, le capital doit absorber la part la plus importante, mais les banques peuvent émettre des dettes subordonnées à durée indéterminée qui doivent assumer une absorption de pertes de deuxième rang dans le cadre de la continuité de l’activité de l’établissement bancaire. Pour leur part, les dettes subordonnées à durée déterminée, couvrent les pertes en cas d’insolvabilité de la banque.
Donc, si on a constaté, avec la crise financière internationale, que les grandes banques ne disposaient pas de fonds propres suffisants, les dettes subordonnées sont venues les consolider dans la nouvelle réglementation bancaire.
Et si certaines banques ont échappé à cette crise majeure, c’est surtout grâce aux matelas suffisants de fonds propres dont elles disposaient. En effet, une banque, dès qu’elle appréhende l’éventualité d’un franchissement à la baisse de son ratio de solvabilité en deçà du seuil réglementaire, doit arrêter de distribuer une partie ou la totalité de ses bénéfices.
Dès décembre 2010, le comité de Bâle a adopté un nouveau dispositif prudentiel mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires, dénommé « Bâle II I ».
Celui-ci préconisait, d’abord, la constitution par les banques des fonds propres de qualité. Ensuite, la mise en place d’un dispositif destiné à favoriser la conservation des fonds propre. Et, surtout, une harmonisation à l’échelle internationale de ces normes et recommandations.
Le fil d’Ariane de la Banque Centrale
BAM a transposé en 2013, les normes bâloises de fonds propres dans la réglementation applicable au Maroc tout en les adaptant au contexte national. Dans ce cadre, les fonds propres ont été structurés en deux catégories répondant pour chacune d’entre elles à des critères d’éligibilité spécifiques.
La première catégorie inclut les fonds propres de base comprenant essentiellement le capital social, les réserves et les résultats bénéficiaires. Dans cette première catégorie, on trouve également les fonds propres additionnels constitués principalement d’instruments perpétuels.
Les fonds propres de catégorie 2 incluent quant à eux des instruments dont l’échéance initiale est d’au moins 5 ans,
Les critères d’éligibilité retenus pour les fonds propres de visent à s’assurer de leur permanence, de la flexibilité des paiements qui leur sont attachés et de leur capacité d’absorption des pertes en toutes circonstances.
S’agissant des instruments de fonds propres additionnels, les dispositions les régissant ne doivent pas prévoir d’incitations pour l’établissement bancaire à les rembourser et ils doivent pouvoir être convertis en actions du capital social ou faire l’objet d’un mécanisme de dépréciation dès lors que la solvabilité atteint un seuil critique fixé par Bank Al-Maghrib.
En réalité le mécanisme d’absorption des pertes des instruments additionnels est déclenché par l’institution bancaire dès que le ratio des fonds propres de base atteint le seuil de 6%.
Encadré : Le ratio, fer de lance de la réglementation
L’approche prudentielle de BAM, inspirée du Comité de Bâle, a transformé la réglementation bancaire.
En effet, auparavant, les banques pouvaient avoir autant de fonds propres que de dettes, qui étaient déconnectés du volume d’activité.
A partir de 2013, la nouvelle réglementation a imposé un ratio de solvabilité qui stipule que l’objectif des fonds propres est de couvrir les risques.
Et donc pour chaque catégorie de fonds propres, elle a imposé un taux de solvabilité ou ratio de fonds propres sur les engagements des banques. Concrètement, pour les fonds propres de première catégorie, celui ci est fixé à 8% des actifs pondérés de la banque.
Il est de 1% pour les instruments additionnels perpétuels et de 3% pour ceux à durée déterminée. Au total le ratio de solvabilité imposé aux banques est de 12%.
Les 8 % appliqués aux capitaux propres de première catégorie se décomposent en 5,5% et 2,5%.
5,5%, représentent le ratio de fonds propres de base que les banques doivent respecter et en dessous duquel elles ne peuvent pas descendre. Et les 2,5% traduisent « un coussin de fonds propres ou coussin de conservation » que les établissements sont tenus d’avoir.
Le parcours fléché de la Banque Centrale
On comprend donc que l’approche prudentielle de BAM, transposée des standards du Comité de Bâle, a transformé la réglementation bancaire.
Les établissements bancaires doivent dorénavant présenter un ratio de fonds propres de catégorie 1 d’au moins 9 % et un ratio de fonds propres global d’au moins 12 %.
Ce dernier était de 8% jusqu’en 2007 et a fait l’objet de deux relèvements, le premier en 2010 à 10%. Cette décision était intervenue dans un contexte de hausse excessive du crédit. Le deuxième relèvement est intervenu en 2012 à 12%, soit son niveau actuel, pour renforcer la résilience des banques face à la montée du risque de crédit.
Au Maroc, la transposition de Bale III en 2013 a été mise en œuvre de manière progressive et graduelle. Aussi Bank Al-Maghrib a accordé un délai de 5 ans pour se conformer au nouveau dispositif dans son intégralité, à l’instar du calendrier retenu au niveau international .
Ainsi, la mise en œuvre de la réforme a débuté en 2014 et sera achevée en 2019. La progressivité de l’application donnera à Bâle III sa pleine effectivité. A travers cette réforme, les banques marocaines sont bien capitalisées car les garde-fous sont précis, clairs et imposants.
Séduire les investisseurs
Pourtant, malgré toutes les nouvelles dispositions pour les dettes subordonnées perpétuelles, y compris à l’échelle internationale, les banques continuent à avoir des difficultés à trouver des investisseurs disposés à s’engager dans des émissions subordonnées perpétuelles car ils doivent être conscients des conditions et des conséquences de leurs investissements dont la participation à la prise du risque bancaire et leur contribution à l’absorption des pertes.
Les investisseurs institutionnels doivent compter aussi sur le suivi rapproché de la Banque centrale à travers les contrôles et la surveillance qu’elle exerce sur les banques notamment via les reportings réguliers. Il est donc impossible qu’une banque tombe à 6 % par exemple de son ratio de couverture des risques du jour au lendemain !
Enfin, l’éventuelle et peu probable prise de risque des instruments additionnels de financement bancaire à durée indéterminée, est largement compensée par une meilleure rémunération comme le taux de l’émissions obligataire subordonnée perpétuelle de BMCE qui propose une prime de risque de 3,8%, soit un taux d’intérêt supérieur à 6%.
Le seul et unique problème auquel les institutionnels doivent faire face reste celui de l’impossibilité de sortir de cette forme d’engagement…
Afifa Dassouli