Le mouvement politico-religieux Al Adl Wal Ihssane, (AWI), connu pour ses idées conservatrices et passéistes, a réussi une belle démonstration de force dimanche 11 juin à Rabat. S’il ne faut pas prendre au sérieux l’affirmation outrancière d’une foule estimée par les adlistes à un million de personnes, la présence de plus de 15 000 marcheurs est largement suffisante en soi pour attester de ce succès, lequel, d’ailleurs, a prouvé également les capacités organisatrices des disciples de feu Abdeslem Yassine.
Mais qu’on se garde pourtant de jugements hâtifs, de constats péremptoires et de conclusions à l’emporte-pièce.
Les « frères » d’AWI, bien que motivés dans leurs marche et démarche par la situation à Al Hoceima, n’ont pas cherché en cette occasion une épreuve de force avec le pouvoir. Pas question, non plus, de s’appliquer à étendre cette contestation rifaine à la capitale du Royaume, même si les slogans scandés s’articulaient essentiellement sur la solidarité avec le Hirak.
AWI n’est pas une organisation révolutionnaire, ni même réellement contestatrice de l’ordre établi et ceux qui pensent que le 11 juin 2017 signifie le redémarrage du #FEB20, se trompent certainement.
La solitude du Makhzen
Les objectifs du mouvement dirigé par Mohamed Abbadi sont beaucoup plus subtils même si la tentation de surfer sur le mécontentement populaire est forcément présente chez les adlistes.
En fait, la solidarité avec les partisans de Zefzafi, la reprise des mots d’ordre d’Al Hoceima, la stigmatisation du gouvernement et de ses composantes partisanes ont plutôt servi de ciment et d’incitation à la mobilisation pour délivrer un message passablement subliminal, mais beaucoup plus fort, celui de l’absence de soutien populaire du « Makhzen » dans cette crise.
Al Adl Wal Ihssane, qui a choisi le moment idoine pour « sortir du bois », c’est-à-dire l’incarcération de Zefzafi et d’une centaine de ses compagnons, a voulu prouver au Pouvoir qu’il était désormais aussi seul qu’en première ligne face aux revendications populaires.
Et, il est sans doute vrai qu’il n’y a plus de « fusibles » aujourd’hui alors que se multiplient les appels en faveur d’une intervention royale…
Les partis politiques, gouvernementaux ou dans l’opposition, ne sont ni crédibles, ni même audibles en cette affaire. Ils en portent sans doute la plus grande responsabilité, mais ils ne sont pas les seuls parce que depuis plusieurs années, « on » s’est ingénié à les affaiblir, les diviser, et placer certains d’entre eux sous la botte d’individus forts en gueule, mais sans aura, ni compétences particulières…
Le résultat est là, visible d’abord au niveau de la faiblesse de la participation citoyenne lors des dernières élections (communales, régionales, législatives), mais aussi et surtout à l’aune de la mobilisation des citoyens d’Al Hoceima et de ses environs depuis plus de sept mois !
En cette affaire également, les élus, qu’ils aient rangs de parlementaires nationaux ou de représentants communaux ou municipaux, n’ont pas joué le rôle d’intermédiation et de représentation qu’on aurait dû légitimement être en droit d’attendre d’eux.
Les électeurs, du moins ceux qui ont voté lors des dernières consultations, ne se sont pas reconnus en eux et ces « représentants du peuple » vivent dans un superbe isolement parce que les citoyens n’ont jamais cru en leur efficacité ou même leur rôle, toutes étiquettes partisanes confondues, y compris les « deux grand », PJD et PAM.
Ce vide, sidéral, a donc produit des Zefzafi et consorts, très vite reconnus comme légitimes par les « masses rifaines »…
En cette affaire encore, la déresponsabilisation, l’attentisme, le manque de courage et l’absence d’esprit d’initiative ont été parmi les ressorts et les moteurs de l’explosion sociale qui a touché toute une région du Royaume.
« Courage, fuyons » !
Ces lacunes, insuffisances, tares et comportements aussi coupables que porteurs de déstabilisation ont été ceux des « responsables » sur une échelle qui comprend tous les niveaux, du fonctionnaire local au Wali, du gouverneur au ministre, du délégué régional à l’Administration centrale.
Al Hoceima, ignorée pendant des décennies, a souffert depuis la mort tragique de Mohssine Fikri, de cette terrible attitude commune à nombre de « décideurs », celle de fuir devant la responsabilité, et qui s’accompagne de l’attentisme et de l’inaction jusqu’au moment où « le centre » se prend à intervenir !
Et lorsque Rabat « s’est réveillé », il était pratiquement trop tard parce que les interlocuteurs institutionnels, les administrations, élus, les membres même du gouvernement avaient perdu la confiance de la population, qui a choisi de suivre les quelques dizaines d’activistes autoproclamés dirigeants du Hirak.
Tous ces constats énoncent donc de tristes vérités qui montrent le gouffre existant entre « les gens d’en bas », où qu’ils soient au Maroc et ceux chargés de les administrer, de les représenter, de les servir, de les satisfaire dans leurs légitimes aspirations.
Un proverbe bien de chez nous enseigne qu’ « une main seule ne peut applaudir » et c’est ce qu’a voulu démontrer, avec force, Al Adl Wal Ihssane dimanche dernier.
La marche de Rabat a suggéré, éloquemment, que tous les niveaux de représentation, de responsabilités, de gouvernance, avaient failli, illustrant par là même la solitude du Pouvoir.
Les partisans d’AWI ont, dans le même temps, prouvé à leurs frères ennemis du PJD et à ceux qui avaient cru qu’ils pouvaient servir de « rempart » lors du printemps 2011, que M. Abdelilah Benkirane, ses idées et ses troupes n’étaient pas LA solution.
Aujourd’hui, parce qu’il faut rapidement revenir à la normale, satisfaire les aspirations légitimes des Marocains qui souffrent, poursuivre dans les grandes réformes engagées, pérenniser l’action diplomatique et politique en direction de l’Afrique, etc., une évidence s’impose.
De nouvelles orientations pour le développement économique, la création de richesses additionnelles porteuses d’emplois, la relance de l’investissement dans des secteurs stratégiques comme l’Education, la Santé, le Logement, la Justice, exigent impérativement des décisions fortes et courageuses, des initiatives audacieuses.
Mais rien de tout cela ne sera possible sans les hommes et les femmes capables d’impulser cet élan, cette dynamique, cette relance qui font tant défaut aujourd’hui.
Adl Wal Ihssane, volens nolens, a envoyé un signal, un avertissement « sans frais »…
Espérons qu’il soit rapidement entendu car « la rue » ne doit pas être entre les mains de ceux qui s’opposent au progrès, à l’ouverture, à la tolérance, à la mixité, à l’égalité des genres.
L’immobilisme, la pleutrerie, l’incompétence tuent notre Maroc. Jusqu’à quand ?
Fahd YATA