Le constat est presque unanime du côté des spécialistes et des professionnels du secteur agricole. En effet, dans une conjoncture où le stress hydrique, les changements climatiques, la pression accrue des nouveaux ravageurs et la recrudescence de maladies des plantes font partie des nouveaux axiomes des dernières décennies, l’agriculture au Maroc se trouve aujourd’hui forcée de faire face à plusieurs menaces en 2024. Précisément, on explique qu’elle est confrontée à trois défis concomitants, de sorte qu’elle est contrainte de réussir sa transition vers des systèmes alimentaires plus durables, d’une part, et de réduire l’insécurité alimentaire d’autre part, en plus de maintenir la compétitivité́ du pays en tant que partenaire commercial majeur de plusieurs marchés internationaux. En somme, concilier la durabilité économique, sociale et environnementale de façon viable s’impose alors comme le vrai challenge des années à venir.
Pour en savoir plus, CropLife Maroc et CropLife Afrique Moyen-Orient, viennent d’organiser une rencontre sous le thème : « Promouvoir la transition de l’agriculture marocaine vers des systèmes alimentaires durables : de la théorie à l’action ». Plusieurs parties prenantes de la chaîne de valeur alimentaire, des secteurs publics et privés, ont été invitées pour échanger autour des défis qui s’imposent à l’agriculture au Maroc, mais surtout des opportunités d’assurer la transition vers des systèmes durables localisée tout en garantissant la sécurité alimentaire nationale.
Bon nombre d’intervenants ont souligné qu’aujourd’hui, la pérennité des exportations agricoles marocaines vers l’Europe est confrontée aux mesures du Pacte Vert de l’Union Européenne qui ont entraîné une pression considérable sur la production et le commerce des produits agro-alimentaires au Maroc, notamment en imposant des restrictions sur l’utilisation de certaines substances actives des produits phytopharmaceutiques. Par conséquent, les agriculteurs marocains se voient désormais dans l’incapacité d’utiliser plusieurs produits phytopharmaceutiques pour les cultures destinées à l’exportation vers l’UE. Cette situation réduit leur éventail de solutions et les laisse seuls face aux défis climatiques spécifiques du pays. Pendant ce temps, des dérogations sont régulièrement accordées à certains pays de l’UE.
En effet, entre 2019 et 2022, des dérogations ont notamment été octroyées pour des produits phytopharmaceutiques interdits (57 dérogations pour le thiaméthoxame, 48 pour le diquat, 30 pour le 1,3 dichloropropène, etc.). Force est de constater que toute décision de retrait de substances actives des PPP prise au niveau de l’UE entrainait une prise de position similaire au Maroc, mais le système de dérogation n’existe pas au Maroc. Par conséquent, l’effectif des substances actives homologuées a connu une réduction de 10,5% . Entre 2017 et 2023, il est passé de 326 à 292 dans notre pays.
Dans cette lignée, des ex-professeurs chercheurs, à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, ont mené une étude sur l’impact du retrait des produits phytopharmaceutiques sur l’agriculture marocaine. En se basant sur les superficies, les rendements et les consommations actuels, les retraits actuels et éventuels de produits phytopharmaceutiques laissent présumer des impacts importants en termes de pertes envisagées. Il en ressort que celles-ci peuvent atteindre 5% pour les céréales, 53% pour les légumineuses, 20% pour le sucre et 30% pour l’huile d’olive. Ces altérations ont été d’ailleurs matérialisées en 2023 par la pastèque, par exemple, où beaucoup de productions n’ont pas atteint leur maturité ou le calibre souhaité à cause d’infestations exceptionnelles de pucerons et de viroses dans la région du Loukkos. Le second exemple est celui de la pomme de terre dans la même région, où les attaques du mildiou en mars 2023 ont engendré des pertes estimées à 25% dans les semis précoces et une hétérogénéité de calibres.
A l’heure où l’insécurité alimentaire touche en moyenne 32% de la population marocaine, selon un rapport récent des Nations Unies pour la période de 2019 à 2021, les retraits soudains des PPP ont donc des conséquences palpables sur le potentiel de production des cultures au Maroc. Par ailleurs, les retraits des PPP ont conduit certains utilisateurs à se tourner vers des commerces illicites et à expérimenter diverses méthodes de remplacement, faute de solutions alternatives disponibles. De plus, il existe des menaces persistantes et grandissantes, notamment dues à l’introduction de nouveaux bioagresseurs des cultures au Maroc, ce qui risquerait d’aggraver la situation, alarment les spécialistes de l’IAV et pour qui ‘‘ en l’absence de nouveautés ou d’innovations de protection, toute substance active retirée peut impacter le contrôle des bioagresseurs et occasionner plusieurs répercussions, notamment une protection phytosanitaire partielle ou absente, des pertes de rendement (5 à 70%), une dégradation de qualité, une augmentation des charges (5 à 30%), et une baisse de la rentabilité des productions agricoles’’.
C’est dans ce contexte que la lumière a été jetée sur le Cadre de Gestion Durable des Pesticides (‘Sustainable Pesticide Management Framework’, ou ‘SPMF’) lancé par CropLife Maroc en 2022, et qui s’inscrit dans le droit fil de la réalisation des objectifs du ‘Plan Génération Vert 2020-2030’ du Royaume du Maroc. Visant à protéger la santé humaine, sauvegarder l’environnement et optimiser la productivité, le SPMF s’articule autour de trois piliers majeurs que sont la réduction de la dépendance à l’égard des pesticides hautement dangereux, l’encouragement de l’innovation et enfin, la promotion de l’utilisation responsable et raisonnée des phytopharmaceutiques.
Grâce à son approche localisée, le Cadre de Gestion Durable des Pesticides permet une transition vers des systèmes alimentaires durables tout en contribuant à la sécurité alimentaire du Maroc. L’objectif est de faire de la vision d’une agriculture durable une réalité vivante dans le pays, en mettant l’accent sur l’innovation, la recherche et la coopération public-privé. Pour atteindre cet objectif, l’engagement et la coopération des partenaires locaux et internationaux, des agences gouvernementales, des académies, des agriculteurs et de l’industrie, s’avèrent de plus en plus une priorité….
H.Z