Le 16e Colloque International des Finances Publiques, organisé les 1er et 2 novembre à Rabat par le ministère de l’Économie et des Finances en partenariat avec l’Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP), a rassemblé des experts, universitaires, décideurs publics et représentants internationaux. Axé sur le thème « Vers une meilleure restructuration du modèle de la gouvernance financière publique au Maroc et en France », cet événement de deux jours a vu les intervenants débattre des réformes nécessaires pour adapter les systèmes de gouvernance financière aux défis modernes. On notera également qu’un hommage émouvant a été rendu à Marie-Christine Esclassan, grande économiste et amie du Maroc, et co-fondatrice de Fondafip, qui s’est éteinte au mois de mars 2023.
Décentralisation, déconcentration et coordination
Dans son discours inaugural, la ministre marocaine de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah, a souligné l’importance de trouver un équilibre entre décentralisation, déconcentration et coordination au niveau national. Elle a déclaré : « Il est impératif de trouver un équilibre […] pour que les ressources budgétaires soient utilisées d’une manière cohérente et en accord avec les priorités nationales. » Mme Fettah a insisté sur l’importance d’une approche rigoureusement planifiée pour éviter les pertes de ressources, et a rappelé le rôle crucial du Parlement dans l’encadrement des finances publiques depuis la mise en œuvre de la Loi Organique des Finances en 2015, qui a amélioré la transparence et le contrôle parlementaire.
La ministre a également mis en lumière la nécessité d’une gestion stratégique, capable de répondre rapidement aux imprévus, qu’ils soient sanitaires, climatiques ou économiques. Elle a ainsi souligné que le colloque constituait un moment privilégié pour échanger sur ces enjeux fondamentaux, afin d’aligner la vision à long terme des finances publiques sur une action immédiate et adaptable.
Intervenant dans ce même cadre, Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume du Maroc, a abordé l’évolution, les défis et les pistes d’amélioration de la gouvernance des finances publiques marocaines. Pour M. Bensouda, les décisions financières publiques, même si elles semblent souvent techniques, sont fondamentalement politiques car elles touchent aux bases mêmes de la société, notamment au pacte social qui sous-tend l’État. « Toutes les décisions en finances publiques, combien même elles peuvent paraître techniques, sont éminemment politiques en ce qu’elles portent sur le vivre ensemble », a-t-il affirmé. Ces décisions doivent donc refléter les objectifs de cohésion sociale tout en répondant aux priorités économiques.
Noureddine Bensouda a identifié trois grandes tendances dans la gouvernance des finances publiques au Maroc.
Tout d’abord, l’augmentation des dépenses publiques pour une meilleure répartition sociale. Depuis 2001, les investissements publics au Maroc ont été multipliés par plus de cinq, passant de 21,3 milliards de dirhams à 110,2 milliards en 2023. Cet effort, selon M. Bensouda, a permis de construire des infrastructures de base telles que des hôpitaux, des établissements éducatifs et des réseaux de transport. Les salaires dans la fonction publique ont également augmenté pour soutenir la cohésion sociale, tout en aidant à réduire le chômage et à renforcer le pouvoir d’achat des ménages.
Ensuite, M. Bensouda a mentionné l’intégration et l’interopérabilité des systèmes d’information. Il a mis en avant les efforts du Maroc pour moderniser ses systèmes de gestion et de recouvrement des finances publiques depuis les années 1990. Cette modernisation a permis d’accroître les recettes fiscales et d’améliorer l’efficacité des services publics.
Enfin, le déficit budgétaire et la soutenabilité. En dépit des avancées réalisées, le déficit budgétaire demeure un défi structurel, nécessitant des mesures pour une gestion plus efficace des ressources publiques et une réduction de la dette. Le Trésorier Général du Royaume propose de s’inspirer des partenariats public-privé et de renforcer les dispositifs d’intégration pour surmonter ce défi.
Pour M. Bensouda, la solution passe par une gouvernance cohérente et intégrée, en évitant le cloisonnement et en favorisant la convergence des politiques publiques. « Les politiques publiques doivent être hors des silos », a-t-il insisté, soulignant que la Trésorerie Générale du Royaume travaille activement sur des réformes, comme celle des marchés publics, pour intégrer des normes économiques, sociales et environnementales dans les processus d’achat.
La mutation des finances publiques
Michel Bouvier, président de FONDAFIP et professeur émérite à l’Université Panthéon-Sorbonne, a quant à lui abordé les défis structurels qui affectent les finances publiques en France et au Maroc. En retraçant l’histoire des systèmes financiers publics des dernières décennies, Bouvier a décrit un changement profond qui a transformé le rôle de l’État, fragilisant le modèle d’État-providence d’après-guerre. « Cet État, autrefois reconstructeur puis développeur, subit aujourd’hui une crise de ses finances et une crise de confiance », a-t-il expliqué.
Bouvier a rappelé que le modèle keynésien, qui avait dominé pendant les 30 années suivant la Seconde Guerre mondiale, a été remis en question par les crises économiques des années 1970 et par l’émergence de politiques libérales impulsées par des figures telles que Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Cette transition a favorisé une privatisation des services publics, une dérégulation des marchés et une décentralisation accrue, engendrant une fragmentation de la gouvernance financière publique.
Pour Bouvier, les transformations ont créé un modèle « inachevé » et « hétérogène », dont la cohérence demeure aléatoire. Il propose de mettre en place une « institution partenariale de régulation des finances publiques » pour coordonner les politiques financières publiques à tous les niveaux, et établir une programmation budgétaire pluriannuelle qui intégrerait l’ensemble des ressources et dépenses de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Cette institution pourrait, selon lui, garantir une meilleure allocation des ressources publiques et contribuer à renforcer la souveraineté des États.
Les perspectives et réformes pour une gouvernance financière durable
Ce colloque a également été l’occasion pour d’autres intervenants de partager leur vision sur les réformes nécessaires. Ahmed Reda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), a mis en avant les avantages d’une bonne gouvernance financière publique, soulignant qu’elle renforce l’attractivité pour les investisseurs, améliore la transparence, et permet une gestion plus efficace des ressources. M. Chami a plaidé pour une gestion rigoureuse et une meilleure allocation des ressources vers des investissements stratégiques, tout en intégrant les partenariats public-privé dans la stratégie budgétaire.
La programmation budgétaire pluriannuelle a également été abordée par Aziz Khayati, directeur du Budget, qui a expliqué que cette approche permettrait de garantir la soutenabilité des finances publiques, en instaurant un équilibre entre la rigueur budgétaire et la capacité de réponse face aux crises. M. Khayati a proposé de mettre en place une loi de programmation pluriannuelle pour l’État, les établissements publics et les collectivités territoriales, assurant ainsi une meilleure coordination des priorités budgétaires.
La dimension internationale a été mise en avant par plusieurs intervenants. Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc, a souligné l’importance de la coopération entre les administrations fiscales, en particulier dans le cadre des accords de libre-échange. Il a affirmé que cette coopération favorise la création d’un environnement économique attractif, tout en renforçant les liens entre le Maroc, la France et l’Europe, constituant ainsi une « véritable communauté enracinée dans la géographie, l’histoire et la démographie ».
Karim El Aynaoui, président exécutif du Policy Center for the New South, a quant à lui évoqué un « triangle de contraintes » qui influence les choix économiques dans le monde entier. Selon lui, les modèles de gouvernance financière doivent évoluer pour renforcer leur résilience face aux chocs externes, et faire face aux forces globales interconnectées qui affectent les politiques budgétaires des nations.
Une démocratie budgétaire renforcée
Le colloque a également été l’occasion de rappeler l’importance d’une gouvernance démocratique des finances publiques. Lahcen Haddad, parlementaire marocain, a préconisé le renforcement des capacités parlementaires pour garantir une gestion plus transparente et responsable. Il a proposé des investissements dans la formation des parlementaires, et la mise en place de partenariats avec des institutions académiques et des organisations internationales pour les former aux enjeux budgétaires. M. Haddad a également plaidé pour une plus grande implication de la société civile, pour assurer une meilleure transparence dans la gestion des finances publiques et renforcer la participation citoyenne.
Enfin, Jean-Pierre Camby, administrateur honoraire à l’Assemblée nationale française, a souligné que la continuité institutionnelle est une condition essentielle pour la démocratie budgétaire. Michel Bouvard, conseiller-maître à la Cour des comptes en France, a mis en avant l’importance de clarifier les compétences entre l’État et les collectivités pour pérenniser le modèle de décentralisation.
Le 16e Colloque International des Finances Publiques a permis de mettre en lumière les nombreux défis auxquels font face les systèmes financiers publics au Maroc, en France et ailleurs. Les discussions ont révélé un consensus sur l’urgence de réformes, visant à mieux coordonner les ressources, renforcer la transparence et promouvoir une gouvernance financière durable. Comme l’a affirmé Michel Bouvier, « sans une gouvernance financière publique solide, performante, [l’État] voit inéluctablement disparaître sa souveraineté », soulignant ainsi la nécessité de reconstruire un modèle financier adapté aux réalités contemporaines.
Selim Benabdelkhalek