C’est non sans quelque impatience que l’on attend les premières réactions des chambres parlementaires à la suite de la présentation du projet de loi de Finances 2018 effectuée la semaine passée par M. Mohamed Boussaid, ministre de l’Économie et des Finances.
En effet, et comme l’explique parfaitement l’article d’ouverture de notre cahier Finances de ce numéro, sous la plume de Afifa Dassouli, ce texte soumis à l’examen des représentants de la Nation est porteur d’une nouvelle et double vision.
Le grand tournant
Il y a celle qui met au premier plan les questions et besoins sociaux, notamment dans les secteurs de l’Education, de la Santé, du monde rural, de la régionalisation, etc.
Il y a également des mesures effectives et positives en faveur des entreprises, afin de soulager leurs charges fiscales et leur permettre à la fois de dégager des ressources pour investir et créer de nouveaux emplois.
C’est incontestablement un nouveau départ dans des directions jusque-là insuffisamment empruntées et cela témoigne clairement d’une prise de conscience, salutaire bien évidemment, de la nécessité de promouvoir la richesse humaine et de centrer les efforts budgétaires de l’Etat sur des priorités que chacun connaissait mais qui avaient été minorées.
On en déduira, sans trop d’efforts, que les leçons des « péripéties » sociales du printemps dernier, avec la grogne manifeste des populations d’Al Hoceima et de ses environs, (stricto sensu et non du Rif, une zone géographique beaucoup plus large), ont été tirées et que la puissance publique, en plusieurs actions, a voulu et veut, avec un volontarisme positif, corriger les erreurs du passé.
Ce changement de cap, important et porteur d’espoir, sera-t-il correctement perçu par nos concitoyens alors que l’actualité est dominée par des questions « subsidiaires » mais qui agissent comme des chiffons rouges devant un taureau ?
Ainsi, devant la Cour d’Appel de Casablanca, le procès du Hirak va de report et report alors que son leader et quelques-uns de ses co-inculpés expriment violemment leur mécontentement d’être emprisonnés, préférant assurer le show médiatique et nourrir l’exubérance incontrôlée des réseaux sociaux, plutôt que de choisir la barre des accusés et le prétoire pour expliquer leur combat et convaincre de la justesse de leur action.
Mais ce comportement est peut-être le signe de leur immaturité politique, de la piètre qualité des conseils que leur prodiguent certains de leurs avocats, (qui ont leurs objectifs et agendas propres), et, surtout, de leur refus obstiné de comprendre que le Hirak appartient au passé, comme le prouve le calme qui règne depuis plusieurs mois à Al Hoceima.
Effets collatéraux
Car aujourd’hui, le projet Manarat Al Moutawassit, à l’origine des troubles sociaux dans cette ville, est bel et bien en cours de réalisation, à marche forcée, comme l’a reconnu le récent rapport de la Cour des Comptes.
Ce qui n’a pu se faire en plusieurs dizaines de mois, est en voie d’accomplissement en quelques semaines et c’est à travers ce prisme et uniquement ce prisme qu’il convient d’apprécier les sévères décisions royales de limogeage ou de désaveu public prises à l’endroit de plusieurs ministres et hauts fonctionnaires.
Certes, l’éviction d’un ministre-grand commis de l’Etat, au passé brillant de dévouement et d’abnégation dans de hautes charges publiques, comme M. Mohamed Hassad, a suscité des remous, à la fois dans la presse et au sein de l’opinion publique, parce qu’il jouissait d’une image positive.
Mais fallait-il pour autant l’épargner alors que sa responsabilité de ministre de l’Intérieur faisait de lui le coordinateur principal de toute l’opération Manarat Al Moutawassit ?
Certes, plusieurs voix se sont exprimées pour s’étonner que le couperet ne soit pas également tombé sur d’autres membres du gouvernement, dont ceux issus du RNI et du PJD notamment et dont les départements n’ont pas vraiment brillé par leur activisme durant la période incriminée…
Mais, comme l’indique clairement « le rapport Jettou », il y a eu plusieurs degrés d’incompétence, de laxisme et d’immobilisme. La sanction a donc touché les plus compromis.
Cette politique de reddition des comptes, qui a été globalement appréciée par l’opinion publique, a également eu pour effet de provoquer de sérieuses remises en question au sein de la classe politique. Et diverses formations partisanes en font aujourd’hui les frais.
Ainsi, sans être directement impliqué, le PJD, pourrait être une victime collatérale de ce « tsunami politique » déclenché par les décisions royales du 24 octobre dernier.
Non tant le parti lui-même que son leader actuel, M. Abdelilah Benkirane, qui brigue un troisième mandat, pour l’instant non prévu par les statuts du PJD.
« Primus inter pares » avant et au moment de la crise d’Al Hoceima, il porte une responsabilité incontestable dans le déroulement des faits, mais ce sont des ricochets qui l’atteignent et qui pourraient fort bien l’affaiblir lors du congrès de cette formation dans quelques semaines.
Retour aux sources ?
Le Mouvement Populaire également a subi de plein fouet le désaveu de plusieurs de ses anciens ministres et l’éviction de MM. Hassad et Bencheikh.
Mais cette formation, qui a pratiquement été partie de tous les gouvernements depuis l’indépendance, n’a pas l’habitude de ruer dans les brancards ou d’exprimer son mécontentement à l’égard des plus hauts cercles dirigeants.
Le MP a bu la coupe jusqu’à la lie, a fait le dos rond et désavoué ceux qui ont été punis, le tout pour préserver les chances de continuer à « faire partie du jeu » et offrir des places à leurs remplaçants qui, d’ailleurs, piaffent au portillon.
Car, comme le prouve la démarche du chef du gouvernement, M. Saad El Othmani le week-end dernier, la décision de limoger n’a pas été prise à l’encontre des partis politiques, MP et PPS en l’occurrence, mais a visé des hommes, responsables intuitu personae.
C’est, au demeurant, ce qui passe le moins bien au sein du Parti du Progrès et du Socialisme où le secrétaire général, M. Nabil Benabdellah, est objectivement diminué par cette « punition » qui le fragilise et remet au goût du jour une dynamique de refuznik qu’on croyait bien révolue…
Mais, Moulay Ismaïl Alaoui, le dernier sans aucun doute de ceux qui vécurent les malheurs avant les heurs aux PCM-PLS-PPS, n’a point hésité à contester la décision royale, avec un courage, une audace même que lui permettent son âge, son passé, sa réputation et son aura.
Avec plus de franchise qu’un Khalid Nacir sans doute, il a pratiquement récusé l’éviction de ses camarades et sous-entendu que le PPS pourrait rejoindre les rangs de l’opposition après la réunion du Comité Central prévue pour le 4 novembre.
Pour ceux qui connaissent le déroulement traditionnel des « plénums » d’un CC communiste, la décision la plus souvent adoptée est celle préconisée par le Bureau Politique et, plus précisément, énoncée lors du discours introductif du secrétaire général.
Cela sera-t-il le cas samedi prochain ?
Retourner dans l’opposition redorerait incontestablement le blason du PPS, mais quelle serait sa réelle posture au Parlement où ses représentants élus brillent par leur manque d’expérience politique, leur faiblesse en tant qu’orateurs, leur inappétence à exprimer haut et fort des positions tranchées d’une force d’opposition ?
Car aujourd’hui, incontestablement, plus personne au sein de ce parti n’est capable de reprendre, à la Chambre des Représentants du moins, le flambeau porté vingt années durant au Parlement par un homme comme feu Ali Yata…
Revenir aux années d’avant l’alternance consensuelle, c’est également renoncer à certaines facilités et autres avantages accordés aux partis de gouvernement, c’est, peut-être, se serrer la ceinture, se défaire de militants-salariés au siège du parti, remercier des permanents, etc.
Le PPS voudra-t-il réduire sa voilure actuelle au profit d’un retour sur le chemin de la militance anonyme, éprouvante, ingrate et peu rémunératrice, mais qui, on le sait, a fait la grandeur et l’honneur des Communistes marocains ?
La réponse sera connue samedi…
Fahd YATA