La Cour suprême des Etats-Unis examine mardi son dossier le plus politique de l’année: le refus de Donald Trump de livrer ses documents financiers au Congrès et à un procureur new-yorkais au nom d’une vision très large de son immunité présidentielle.
Les neuf sages de la haute cour interrogeront les parties à partir de 10H00 (14H00 GMT) lors d’une audience téléphonique qui sera retransmise en direct selon un modus operandi exceptionnel lié à la pandémie de nouveau coronavirus.
Leur décision, attendue d’ici fin juin, permettra peut-être de lever le voile avant l’élection présidentielle de novembre sur les affaires de Donald Trump, qui contrairement à tous ses prédécesseurs depuis les années 1970 refuse de publier ses déclarations d’impôts.
Le milliardaire républicain, candidat à sa réélection, a fait de sa fortune un argument de campagne, mais son manque de transparence alimente les spéculations sur l’étendue de sa richesse, sur ses relations avec le fisc ou sur de potentiels conflits d’intérêt.
Au-delà de cet enjeu pour Donald Trump, la décision de la haute juridiction aura également de profondes implications à long terme sur l’équilibre des pouvoirs aux Etats-Unis.
Les avocats du président soutiennent en effet qu’il jouit, pendant l’exercice de son mandat, d’une immunité totale et que celle-ci est nécessaire pour qu’il puisse se concentrer sur son travail sans être « harcelé » par des procureurs ou des parlementaires.
Ils ont donc saisi la justice pour empêcher l’ancien cabinet comptable du milliardaire et deux de ses banques de transmettre toute une série de documents financiers, portant sur ses affaires de 2011 à 2018, réclamés par des commissions du Congrès et un procureur de Manhattan.
– Un « terrible » compromis –
Les tribunaux ont rejeté leurs arguments en première instance puis en appel. Si la Cour suprême, qui compte deux juges nommés par Donald Trump, ne s’était pas saisie du dossier, le cabinet Mazars et les banques Deutsche Bank et Capital One auraient dû remettre leurs archives.
En acceptant d’examiner le dossier, la haute cour a semblé indiquer qu’elle pourrait infléchir ces décisions.
Dans le premier volet de l’affaire, qui porte sur les injonctions émises par trois commissions de la Chambre des représentants aux mains des démocrates, elle a demandé aux parties de lui livrer leurs réflexions sur la nature politique de leur désaccord.
Si elle devait conclure que la question est par nature politique et non juridique, elle pourrait juger que les tribunaux ont eu tort de s’en mêler. Cela invaliderait les décisions précédentes sans donner raison à Donald Trump.
Concrètement, les trois institutions financières seraient libres de transmettre les documents au Congrès ou de refuser.
Cela pourrait passer pour « un compromis », mais ce serait « terrible pour la séparation des pouvoirs », a estimé le professeur de droit Stephen Vladeck dans une tribune. « Cela priverait le Congrès de mécanisme pour faire respecter ses injonctions » et affaiblirait ses pouvoirs d’enquête, a-t-il expliqué.
– Actrice de films X –
Ce scénario n’est pas envisagé dans le second volet de l’affaire, qui porte sur une requête adressée par le procureur de Manhattan au cabinet Mazars dans le cadre d’une enquête sur une possible violation des lois new-yorkaises sur le financement des campagnes électorales.
Le démocrate Cyrus Vance cherche à obtenir des informations sur un versement effectué en 2016 à l’actrice de films pornographiques Stormy Daniels pour acheter son silence sur une liaison présumée avec le milliardaire, et qui ne figure pas dans ses comptes de campagne.
Cette fois, les avocats du président assurent que la justice ne peut pas s’intéresser à lui tant qu’il est à la Maison Blanche. Lors de la procédure, ils ont même été jusqu’à déclarer qu’il pourrait tuer quelqu’un en pleine 5e avenue à New York sans être inquiété dans l’immédiat.
De nombreux juristes, notamment d’anciens fonctionnaires du ministère de la Justice, ont écrit à la Cour pour souligner qu’un président en exercice ne pouvait pas être inculpé dans l’exercice de ses fonctions, mais que cela n’interdisait pas les enquêtes.
Ils rappellent que le temple du droit américain a obligé le président républicain Richard Nixon à remettre des enregistrements dans le cadre du scandale d’espionnage du Watergate et autorisé la poursuite d’une procédure civile pour harcèlement sexuel contre le démocrate Bill Clinton.
LNT avec Afp