Par Afifa Dassouli
Pour les institutionnels, l’année 2022 n’aura pas été faste ! En effet, les rendements de leurs portefeuilles ont pris de gros coups tant sur les actions que sur les obligations. Ainsi, le principal indice de la bourse de Casablanca, le MASI, s’est déprécié de -18,8% en 2022, impactant les placements diversifiés qui ont perdu entre 14% et 20%. Quant aux obligations, tout particulièrement les bons du Trésor, ceux à moyen et long terme se sont dégradés également de 6 à 13% sur l’année en question.
Sur les marchés financiers, il faut rappeler que les placements boursiers dits risqués, se comportent en sens contraire des obligations rémunérées par des taux d’intérêts déterminés qui procurent des revenus fixes. Aussi, les investisseurs dans leur stratégie diversifient leurs placements en faveur des actions et des obligations sur la base du choix d’un niveau de risque, les actions étant censées être plus risquées mais plus rémunératrices surtout quand les taux d’intérêts sont faibles. Or depuis la crise financière de 2008 et sa généralisation, ce fut le cas dans tous les pays du monde, et donc les marchés boursiers ont connu une flambée de leurs indices.
Mais, depuis la guerre Russo-Ukrainienne et la forte inflation qu’elle a engendrée, le trend des taux d’intérêt s’est inversé, impactant à la baisse la valeur des titres obligataires qui ont corrigé fortement.
Au Maroc, les marchés financiers n’ont pas fait exception en la matière. Le marché secondaire obligataire, qui se constitue d’une très forte majorité d’obligations publiques, a fortement corrigé à la baisse touchant particulièrement les bons du trésor à moyen et long terme, engendrant un mini krach obligataire qui a endommagé les rendements obligataires des portefeuilles des institutionnels, compagnies d’assurances et caisses de retraite en particulier.
A l’origine de ce tournant des taux d’intérêts, il y a bien sur la politique monétaire des banques centrales qui après avoir été très expansionnistes et maintenu les taux à un bas niveau, ont dû faire face à l’inflation en augmentant leur taux directeur.
Bank Al Maghrib après avoir essayé de résister à cette obligation face à la faiblesse de l’économie, a fini par augmenter son taux directeur 2 fois de suite de 50 points de base à 2, 5% et pourrait aller à 3 ou 3,5%, mettant sous pression les taux des bons du trésor sur le marché secondaire obligataire déjà caractérisé par un manque de liquidités.
Dès la première appréciation du taux directeur, les institutionnels se sont engagés dans une course contre la montre pour transformer leurs obligations à moyen et long terme en court terme ou monétaire prévoyant que le tournant de la remontée des taux est engagé. Malheureusement, l’illiquidité du marché et le manque d’offres qui le caractérise a bloqué ce mouvement imposant aux institutionnels d’importantes pertes de rendement sur leurs portefeuilles obligataires. Et ce, malgré les interventions de BAM sous forme de rachats d’obligations en titres de dette publique, pour d’une part injecter des liquidités et d’autres part venir au secours du Trésor en donnant aux IVT la possibilité de se positionner sur le marché primaire afin de le financer tant qu’il n’a pas encore fait d’émission à l’international pour désengorger le marché domestique, sa seule source de financement actuelle.
La pression du marché obligataire sur les rendements des portefeuilles des institutionnels, a été d’autant plus forte qu’elle est intervenue en fin d’année, ne leur donnant ainsi pas le temps de lisser les pertes encaissées.
Résultat des courses, ces acteurs principaux du marché des capitaux, compagnies d’assurances caisses de retraites, OPCVM et banques, ont connu en 2022 la pire année cumulant des doubles pertes sur leurs actions avec un marché boursier dépressif et leurs obligations pour les raisons qui précèdent. D’autant qu’ils n’ont pas pu jouer des opérations de va et vient, sur leurs portefeuilles pour mieux valoriser ces derniers comme ils avaient l’habitude de procéder. Pour certains de ces institutionnels, ce sont des dizaines de milliards de dirhams qui se sont évaporés pesant sérieusement sur leurs santé et force financières.
Il s’agit maintenant pour ces derniers de procéder au provisionnement de leurs moins-values latentes que les règles imposées par l’ACAPS cernent étroitement, par deux règles parallèles. La première concerne les actions détenues en portefeuilles dont la moins-value est évaluée ligne par ligne en fin d’année mais n’est provisionnée que si elle dépasse les 25% considérant que les variations de cours caractérisent le marché bousier. Aussi, le portefeuille actions est par ailleurs évalué dans son ensemble et s’il dégage une moins-value nette elle est aussi provisionnée.
Article 58 du Code des Assurances concernant les provisions des moins-values
A l’exception des actifs vises à l’article 57 ci-dessus, les autres actifs mentionnés à l’article 39 de la présente circulaire, ainsi que les autres placements financiers et immobiliers sont évalués à leur valeur d’entrée. Toutefois :
- Les valeurs mobilières dont la moins-value à la date de l’inventaire est égale ou supérieure à 25% de leur valeur d’entrée sont provisionnées à concurrence de ladite moins-value. Cette moins-value est égale à la valeur d’entrée diminuée de la valeur de marché moyenne des trois derniers mois précédant la date de l’inventaire. Pour les actions non cotées, en cas d’absence de la valeur de marché, il est fait application du paragraphe b) de l’article 59 ci-après ;
- La valeur d’entrée des immeubles et des parts ou actions des sociétés immobilières non inscrites à la cote de la bourse des valeurs, est soit le prix d’achat ou le coût de revient ou, après accord de l’Autorité, la valeur déterminée des amortissements pratiqués. Le coût de revient des immeubles est celui qui ressort des travaux de construction et d’amélioration, à l’exclusion des travaux d’entretien proprement dits ;
- Les prêts sont évalués d’après les actes qui en font foi, déduction faite des remboursements effectués.
Pour les obligations, quand elles sont détenues en direct par un institutionnel, aucune provision de moins-values n’est à faire. Mais, comme pour les actions si le portefeuille obligataire donné en gestion aux OPCVM par un institutionnel, réalise dans son ensemble une moins-value, elle est provisionnée.
C’est ainsi que pour 2022, les provisions doivent être élevées pour couvrir la dépréciation des actifs financiers détenus par les institutionnels dans des circonstances inflationnistes par ailleurs, qui constituent par elles-mêmes d’autres causes de dépréciation des rendements en question…
Enfin, par de tels constats, il ne faut pas oublier que les OPCI avec un taux de rémunération de 6% ont dû contribuer à contrebalancer les pertes subies par certains institutionnels, ceux qui ont été sélectionnés pour y souscrire, sachant qu’ils constituent les « happy few ». Car les OPCI, à un taux si élevé dans la conjoncture actuelle, sont les seuls produits financiers à avoir performé en 2022. Sachant que plus de 90% de ces OPCI sont publics, on pourrait se demander si en offrant une telle performance aux investisseurs, l’État ne s’est pas fait concurrence à lui-même….