Photo prise sur le tronçon les provinces de Homs et de Hama, dans le centre de la Syrie, le 6 juin 2018 © AFP STRINGER
En Syrie, l’autoroute M5 traverse l’intégralité du pays en guerre, d’Alep dans le nord à la frontière sud avec la Jordanie. Ces 450 kilomètres de bitume racontent deux années d’une stratégie et d’offensives militaires du régime.
La « route internationale », comme l’appellent les Syriens, passe par quasiment toutes les régions reconquises par le pouvoir de Bachar al-Assad depuis 2015 et l’intervention de son allié russe, venu l’épauler face aux rebelles et aux jihadistes.
Avec ces gains du nord vers le sud, le régime est parvenu à reprendre plus des trois-quarts de la M5. En cas de reconquête de la province méridionale de Deraa, où il mène aujourd’hui une offensive, il sera maître de quasiment toute l’autoroute, à l’exception d’une petite bande où sont situés des postes d’observation russe et turque.
« La chronologie des combats révèle une approche militaire cohérente en vue de la reconquête de la M5 », estime Emile Hokayem, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies.
Après avoir repris fin 2016 le contrôle total d’Alep, deuxième ville de Syrie, les forces prorégime et l’allié russe ont reconquis la campagne environnante et des zones de la province voisine de Hama. En 2018, ils ont chassé rebelles et jihadistes de Damas et ses environs puis de la province centrale de Homs.
Dans le sud, l’autoroute passe par la province de Deraa et rejoint le stratégique poste-frontalier de Nassib, aux portes de la Jordanie.
« Les principales richesses, les zones industrielles et urbaines, les infrastructures, sont situées le long de cet axe », souligne M. Hokayem. « Le régime a toujours voulu garder le contrôle sur tous les nœuds » de la M5.
– « Syrie utile » –
Avant le début du conflit en 2011, la M5 était la principale route commerciale de Syrie, reliant Alep, ancien poumon économique près de la frontière turque, à la Jordanie. Un flot ininterrompu de camions empruntait cette autoroute.
Mais, dès 2011, les rebelles ont coupé l’accès à l’autoroute aux entrées de Damas et Homs, avant d’en saisir des pans entiers l’année suivante.
Pour l’expert Nawar Oliver, l’objectif de reconquérir l’autoroute a accompagné l’intervention de Moscou qui a changé la donne en faveur du régime.
« Depuis que le concept de +Syrie utile+ est apparu avec l’intervention russe, il est devenu clair que les alliés du régime visent à sécuriser cette route internationale ».
Par « Syrie utile », il entend les régions peuplées et les centres économiques.
La M5 permet également de relier plus facilement les bases militaires, « plutôt que d’utiliser l’aviation ou des routes secondaires », selon lui.
La reconquête de régions autour d’Alep et près de Hama, plus au sud, a permis d’ouvrir la voie à de nouveaux gains sur l’autoroute qui a surtout aidé à sécuriser la capitale et ses environs.
Malgré l’existence d’alternatives aériennes ou terrestres, la M5 « reste le principal axe d’approvisionnement pour et à partir Damas », reconnaît un responsable de la milice loyaliste des Forces de défense nationale (FDN).
Près de la capitale, 30 km d’autoroute passent par la Ghouta orientale et la banlieue sud, des secteurs sensibles repris il y a quatre mois aux rebelles.
« Les opérations de l’armée ont permis la réouverture de la route, désormais protégée de toute attaque » au niveau de la région de Damas, selon le responsable des FDN.
– Le noeud Deraa –
Mais pour rétablir librement le trafic, y compris international, dans les deux sens, le régime doit reconquérir le dernier tronçon situé dans Deraa.
« En un sens, Deraa est le dernier secteur qui n’est toujours pas sécurisé sur cette route », dit M. Oliver.
Si la reconquête de Deraa, berceau de la révolte de 2011, est symbolique, la reprise du poste-frontière de Nassib fermé depuis 2016 serait aussi importante.
« L’ouverture du poste de Nassib signifierait la réouverture de la route internationale et la relance économique », souligne Bassam Abou Abdallah, directeur du Centre de Damas pour les études stratégiques.
Une aubaine pour un pouvoir confronté à de graves difficultés économiques.
« Cela apportera un peu de répit sur le court-terme. L’assise populaire (du régime) a besoin de plus de revenus, ils ont des ressources très limitées », dit Joe Macaron, de l’Arab Center de Washington.
Selon des experts, une fois Deraa sécurisée, le régime pourrait s’intéresser au secteur de la M5 passant par Idleb (nord-ouest), où sont situés les postes d’observation, qui est « sécurisée » mais pas totalement sous son contrôle.
« Pour l’instant, ajoute M. Macaron, il a la main haute et contrôle les deux-tiers du pays -il peu survivre et en tirer plus de bénéfices, avant d’essayer plus tard de poursuivre sa marche ».
LNT avec Afp