Dans toute économie, la confiance se mesure à la dynamique des investissements ! Car pour un investisseur, la dimension du risque est importante et c’est la confiance qui permet de mieux le cerner. Bien sûr, il faut qu’en tout état de cause, la prise de risque soit assortie d’un rendement, et ce tout particulièrement pour le secteur privé ! Mais, justement, qu’en est-il des investisseurs privés marocains, pourquoi leur reproche-t-on de moins investir que l’État ? Dans quelle mesure le manque de confiance est-il à l’origine de ce comportement ?
Evoquer ce sujet, c’est d’abord prendre appui sur les montants des investissements privés réalisés ces dernières années pour en mesurer l’importance. Or, à ce niveau déjà, on se heurte à un mur, car aucun des organismes et institutions qui fournissent ce genre de statistiques (HCP, DEPF, Bank-Al Maghrib) ne disposent de chiffres précis. Autant le total des investissements publics annuels, qu’ils soient budgétaires, des entreprises publiques, des collectivités locales est connu, autant pour les investissements privés, on vogue dans l’inconnu ou l’approximatif. Et comme le montrent les tableaux ci-après, on a dû se contenter d’estimations pour aller plus avant dans notre enquête.
Un secret bien gardé !!!
En partant du montant du PIB national, qui a évolué sur les 5 dernières années entre 925 milliards de dirhams et 1100 milliards de dirhams et de la Formation Brute de Capital Fixe, FCBF, appréhendée depuis 2015, mais non disponible à ce jour pour l’année 2018 (!), et qui tourne autour de 300 milliards de dirhams, nonobstant le fait qu’elle ne traduit pas forcément la totalité des investissements, un premier constat a été établi. Il énonce que les investissements publics constituent plus de la moitié de cette dernière.
En effet, pour 2015, 2016 et 2017, les investissements publics ont tourné autour de 160 milliards de dirhams réalisés, soit au-delà de la moitié des investissements nationaux en se répartissant comme suit : – 67 MMDH pour les budgétaires pour 2017 et 2018 ; – 16 MMDH, modestes donc, pour les collectivités locales ; – 80 MMDH pour les entreprises publiques en 2016 avant de retomber à 60 MMDH les deux années suivantes.
Pour ce qui est du privé, le HCP donne chaque année les investissements des ménages, facilement calculables à partir des crédits qui les financent généralement. Ils tournent autour de 76 Milliards par an. Ainsi, en soustrayant du total de la FBCF, les investissements publics et ceux des ménages, on aboutit à une estimation des investissements des entreprises privées autour d’une moyenne de 65 milliards par an. Ces derniers, assimilables aux investissements privés globalement entendus, représentent à peine 25% voire 20% en proportion du total des investissements réalisés dans notre pays. Et 40% par rapport aux investissements publics. Ces estimations aboutissent, certes, au constat d’une relative faiblesse des investissements des entreprises privées !
Un tel constat prend toute son importance aujourd’hui que l’Etat est en manque de ressources suffisantes pour continuer à être le premier investisseur du pays. D’autant qu’après avoir assuré les investissements publics structurants, il doit s’attaquer aux investissements sociaux, devenus urgents.
A chacun selon ses moyens
Car, il faut reconnaître que le développement du pays a été largement financé par l’Etat sur les 20 dernières années et qu’il serait légitime que le privé soit plus dynamique pour l’accompagner afin d’améliorer le taux de croissance de notre économie !
Mais pour ce faire, la confiance est-elle la clé manquante pour que le privé investisse ? Ce n’est pas sûr aux yeux d’un investisseur pourtant lui même très dynamique. En effet, les investissements privés existants pourraient tout simplement correspondre à la taille du secteur privé lui-même.
Pour en apporter la preuve, il aurait fallu pouvoir se baser sur les cash flows des entreprises et en évaluer la partie qui est réinvestie par rapport à celle distribuée en dividendes ou encore celle attribuée au remboursement des dettes. Et si pour l’investissement privé, nous avons pu faire une estimation, pour continuer ce raisonnement, l’on ne peut que faire des suppositions !
C’est ainsi que si l’investissement correspond en moyenne au tiers des cash flows des entreprises, on pourrait en conclure que son montant correspond à la taille du secteur privé et que celui-ci investit en rapport avec sa taille. C’est peut -être le cas au Maroc et peut-être même qu’à un moment, on a trop investi notamment dans l’immobilier et le foncier, ce qui a créé une bulle qui a fini par éclater.
Donc sur la base de cette nouvelle approche, on aurait pu pouvoir affirmer que si les investissements privés tournent autour de 30% des cash flows, sachant qu’il faut que les actionnaires soient rémunérés et l’endettement allégé, on peut affirmer que le secteur privé investit à hauteur de ses moyens. Ce sont là des raisonnements concrets qui peuvent aussi démontrer, dans le cas contraire, que les investissements privés sont insuffisants et que les entreprises reversent plus à leurs actionnaires ou qu’elles sont, tout simplement, trop endettées.
Ainsi, somme toute, pour les 20 000 sociétés privées marocaines, cet effort d’analyse ne serait pas insurmontable et les résultats dégagés auraient été d’une grande efficacité pour notre quête. Par ailleurs, indépendamment de la création de richesse, les entreprises investissent pour répondre à un élargissement du marché. Partant, soit elles ne le constatent pas, soit elles ne veulent pas y aller, soit elles ne veulent pas croître sur d’autres marchés, à l’étranger par exemple. Pourtant, on sait que l’investissement à l’étranger est facilité par l’Office des Changes qui permet, sans autorisation préalable, de réaliser 100 millions de dirhams d’investissements par entreprise et par an en Afrique et 50 MDH ailleurs.
Au-delà de ces montants, il continue à accompagner volontiers les investissements à l’étranger. Et donc, c’est quand les entreprises disposent de telles ouvertures et qu’elles sont frileuses que se manifeste le manque de confiance, car investir est un acte de foi dans l’avenir. Mais pourquoi donc les entreprises manquent-elles de confiance ?
La chute de la demande
Une des réponses énoncées par ce même opérateur, notre interlocuteur, repose sur un fait établi selon lequel la croissance de la demande, depuis le Printemps arabe en 2011, a baissé de moitié par rapport à la décennie d’avant. Là où elle était de 5,5%, elle, est tombée à 3% de vitesse de développement en volumes, ce qui se traduit par une baisse significative. Le Printemps arabe a donc changé la donne en matière de consommation. Mais aussi, la gouvernance a évolué vers une nouvelle forme de gestion du modèle économique. La prise de décision est devenue plus lente, plus hésitante, de telle sorte que le modèle économique ne permet plus d’atteindre les mêmes objectifs avec la même efficience.
La compréhension des mécanismes économiques par le monde politique a changé. Or, le privé subit les conséquences de la rapidité de la prise de décision en politique. Les opérateurs économiques constatent par ailleurs que le gouvernement ne travaille pas en unisson, seuls certains ministres travaillent, chacun de leur côté, en faisant de leur mieux. Ainsi, une équipe chapotée d’un arbitre coordinateur, décideur final des priorités serait plus efficace, à l’image de l’Espagne où il y a un vice-Premier ministre en charge de l’économie. Ce poste permet de travailler plus vite avec les 5 ou 7 ministres techniques. Au sein d’un gouvernement politique, représentatif démocratiquement, il faudrait une telle cellule pour avancer. Quand le privé voit que le gouvernement est dynamique, qu’il annonce des choses claires et qu’il coordonne entre tous, il suit immanquablement. Dans le cas contraire, le pays va doucement…
Changement de cap
Par ailleurs, l’investissement public, certes élevé, doit être redirigé. Il a longtemps été orienté vers l’infrastructure de base, à hauteur de 50 milliards de dirhams par an au minimum. Une petite part, de 10 milliards de dirhams, allouée aux « meubles de l’économie », serait très efficace. Il s’agit des murs des hôtels, des usines et du foncier, qui alourdissent l’investissement du privé et retardent ses projets. D’autant que les investissements publics dans les routes, les aéroports, les ports, etc., sont définitifs, donc économiquement perdus, alors qu’en donnant en exploitation au privé ces constructions, on pourrait redynamiser l’économie.
Concrètement, l’État pourrait terminer la construction des huit stations touristiques entamées et dont le problème essentiel porte sur les murs, les financer et les donner en gestion à des opérateurs internationaux. Il faut savoir qu’en 2006 et 2007, les profits de l’immobilier finançaient ces murs. Mais, depuis la crise de 2008, il n’y a plus de profits dans l’immobilier. De ce fait, l’État devrait prendre la relève dans le tourisme, les zones industrielles, les louer aux opérateurs privés, en attendant que les OPCI prennent le relais. Il faudrait donc passer de l’infrastructure dite de base à une infrastructure de production qui produit des emplois. Cet investissement public « détourné » pour une dizaine de milliards par an, redynamiserait le privé en levant les barrières à l’entrée et en l’incitant à s’engager. Ainsi, l’État jouerait un rôle d’accélération, en s’occupant de l’infrastructure et le privé de la superstructure….