Le Cabinet royal a émis un communiqué de presse indiquant que « Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Amir Al Mouminine, que Dieu L’assiste, a adressé une Lettre au Chef du gouvernement relative à la révision du Code de la famille ». Cette annonce marque le coup d’envoi d’une réforme annoncée par le Souverain à l’occasion de la Fête du Trône en 2022 et dont les propositions sont attendues dans un délai de six mois, avant l’élaboration du projet de loi que le gouvernement présentera au Parlement national.
C’est un pas historique une nouvelle fois qui va être franchi à l’occasion de cette réforme, comme avec la précédente Moudawana en 2004. Pourtant, malgré l’implication royale dans la voie de la réforme, les boucliers se dressent, dans un réflexe quasi-instinctif de préservation.
Comme il y a 20 ans déjà, les discours des paternalistes, rigoristes, conservateurs et tous ceux qui sont en charge des bonnes mœurs de leurs voisins, veulent nous rappeler à un devoir d’immobilisme au nom sacré de la religion ou simplement de la tradition marocaine. Le fait d’ailleurs que le Roi soit le Commandeur des croyants et que cela soit inscrit dans la Constitution, constitue le rempart ultime dans l’argumentaire des détracteurs de toute avancée ou réforme. Pourtant, cette même Constitution, initiée par le Souverain, grave dans le marbre l’égalité entre l’homme et la femme, et on en est encore pourtant bien loin.
Comme dans tout débat qui touche aux libertés, l’émotion risque de prendre le dessus tant les avis semblent tranchés et surtout diamétralement opposés. La caricature de ceux qui affirment l’arrivée à l’aube de Sodome et Gomorrhe lorsqu’on évoque la dépénalisation des relations hors-mariage est un exemple flagrant de l’exacerbation du débat sur des positions figées. Pourtant, la réalité est toute autre, et le Roi Mohammed VI n’a pas manqué d’en peser les enjeux en mandatant des institutions précises dont certaines sont très actives sur le terrain, pour mener les consultations sur cette réforme. Le Gouvernement, le ministère de la Justice, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et la Présidence du Ministère public sont invités à associer étroitement les autres instances suivantes : le Conseil Supérieur des Ouléma, le Conseil National des Droits de l’Homme, l’Autorité gouvernementale chargée de la solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, tout en s’ouvrant également sur les instances et acteurs de la société civile, les chercheurs et les spécialistes. Ces institutions sont au fait de la situation réel du pays parce qu’elles sont en premier front, sur le plan judiciaire notamment et ont une vision fine de l’usage qui est fait de la Loi, au-delà des beaux principes et de la piété proclamée. Le sujet n’est clairement pas pris à la légère, et ne sera pas traité comme tel.
En définitive, il y aura bien une réforme du Code de la Famille dans un horizon proche et elle apportera forcément des avancées. Mieux ou pire d’ailleurs, quelques soient l’ampleur et la réalité des avancées ou des progrès qu’apportera cette réforme, les détracteurs seront là, en nombre, obtus et ancrés dans leurs convictions, même face aux conclusions d’un panel de consultations larges, collégiales et plurielles.
Alors, plutôt que de se jeter dans la bataille des arguments et des contre-exemples, passer pour un mécréant ou un islamiste, un moderniste ou un conservateur, un féministe ou un misogyne ; une autre vue, d’une perspective différente, est possible, même si elle n’est pas pour autant réconciliatrice. La réforme initiée du Code de la Famille s’inscrit dans un mouvement continu, celui du Temps et de l’Histoire. Dans cette temporalité, le Maroc évolue, sa population, ses mœurs et donc ses lois aussi, comme l’humanité avance depuis toujours. Les partisans du statu quo ante, même de bonne foi, peuvent freiner des quatre fers, tous les freins s’usent éventuellement, il faudra s’y faire. Et, si le Maroc n’a pas cédé aux sirènes du wahhabisme oriental, ni à celles du wokisme occidental, il saura trouver ici encore la voie vers une réforme équilibrée entre son progrès et ses racines.
Zouhair Yata