Le nouveau sénateur Raymond N'Dohi Yapi, du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, a voté à Cocody, dans un district d'Abidjan. Photo : AFP/Getty Images/Sia Kambou
Ayant organisé, le 24 mars, les premières élections sénatoriales de son histoire, la Côte d’Ivoire se dote d’un nouveau contre-pouvoir fort. L’opposition, pourtant, ne l’entend pas de cette oreille, et profite de la mise en place de ce nouvel instrument démocratique pour dénoncer… le caractère non-démocratique des élections. En pratiquant la politique de la chaise vide, c’est pourtant cette même opposition qui semble refuser de s’inscrire dans le jeu démocratique.
Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) a remporté une victoire écrasante lors des premières élections sénatoriales organisées en Côte d’Ivoire, samedi 24 mars. En l’absence de l’opposition, qui avait décidé de boycotter le scrutin, la coalition au pouvoir a remporté 50 des 66 sièges en jeu, selon des informations fournies par la Commission électorale indépendante (CEI).
Deux jours avant le scrutin, la coalition d’opposition Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) avait appelé à une marche pour protester contre l’organisation des élections, dont elle conteste le principe. « Un Sénat n’est pas nécessaire [en Côte d’Ivoire]. Dans le contexte actuel, le pays n’en a pas besoin. Comment comprendre que l’on préfère dépenser plusieurs milliards de francs CFA pour la mise en place de cette institution alors que le coût de la vie des Ivoiriens ne fait qu’augmenter ? », questionnait dans les pages du Monde Stéphane Kipré, directeur de l’Union des nouvelles générations (UNG) et gendre de l’ex-président Laurent Gbagbo.
Le Sénat ivoirien a en effet été créé par la Constitution de 2016. Prévue pour 2017, son instauration a dû être repoussée en raison des mutineries survenues en début d’année. Le 14 février 2018, souhaitant accélérer la mise en place des nouvelles institutions, Alassane Ouattara a pris une ordonnance qui « répond à un impératif de temps (la rentrée solennelle de l’Assemblée nationale étant prévue en avril 2018) et de parallélisme des formes ».
Pour le gouvernement ivoirien, la prise de cette ordonnance était « tout à fait possible », les coûts liés à la mise en place et au fonctionnement du Sénat ayant été prévus dans le cadre du budget 2017.
Progression qualitative
Des explications qui ne satisfont pas les membres de l’opposition, qui se posent également des questions sur la réforme de la CEI et la révision de la liste électorale. Pour Stéphane Kipré, « cette CEI est forclose. Et les Ivoiriens doivent se tenir loin de toutes les élections que celle-ci organisera, car elles ne seront pas démocratiques ».
Nouvelle accusation infondée, selon le gouvernement : « La composition de la CEI a connu une progression qualitative grâce au dialogue politique, avec l’appui et l’arbitrage de partenaires techniques internationaux, notamment le National Democratic Institute (NDI) ». En effet, si dans les années 2000 elle était principalement composée des institutions de la République et des membres du gouvernement, la CEI est devenue, à partir de 2014, une institution « respectant les équilibres, plus politique et technique, traduisant la normalisation de la vie politique ». Une mutation qui « procédait de la volonté du gouvernement de maintenir la confiance des acteurs politiques et des organisations de la société civile dans le processus électoral », selon un communiqué.
Mais les critiques énoncées par Stéphane Kipré atteignent des sommets de mauvaise foi lorsqu’il s’en prend au bilan du président en fonction, notamment sur le plan. Les principaux arguments en faveur d’Alassane Ouattara et son équipe sont en effet d’ordre économique. Le 6 mars dernier, le président ivoirien s’est vu remettre le prix de l’excellence par la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon. Il a également reçu le titre de docteur Honoris Causa « en récompense de ses efforts pour accélérer le développement de la Côte d’Ivoire ».
Stratégie néfaste
La première économie d’Afrique de l’Ouest a ainsi enregistré un taux de croissance de 7,6 % en 2017, soit « l’un des plus élevés au monde » selon la Banque mondiale. Ces dernières années, l’institution financière internationale s’est à plusieurs reprises félicitée du « succès économique remarquable » que connaît le pays d’Alassane Ouattara. Un succès « illustré par une croissance rapide du PIB qui a fait reculer la pauvreté ».
Et si des efforts restent à faire en matière de redistribution et d’inclusivité, le gouvernement multiplie les mesures pour combattre les inégalités et réduire la pauvreté. Alors qu’il a promis de conduire son pays à l’émergence à l’horizon 2020, le chef de l’État met l’accent sur l’éducation, l’énergie et la filière du cacao, des secteurs que la Banque mondiale estime « essentiels à une croissance plus inclusive ».
L’absence de l’opposition n’explique pas, à elle seule, le résultat des élections sénatoriales. Les succès économiques de ces dernières années y sont sans doute pour beaucoup. Or, en poursuivant leur politique de la chaise vide, les affidés de Laurent Gbagbo sous-estiment ces succès et ce qu’ils représentent pour les Ivoiriens. Une stratégie qui pourrait s’avérer politiquement néfaste.
En refusant de participer aux élections, l’opposition risque de se décrédibiliser. Alors même qu’elle dénonce l’attitude selon elle non-démocratique du pouvoir, elle tente de torpiller l’effort entrepris pour créer un parlement bicaméral, et donc un contre-pouvoir fort, gage d’une démocratie plus saine. Mais les proches de Laurent Gbagbo ne sont pas à un paradoxe près.
LNT