Mortaki, DG, (a.i), CNSS
Entretien avec M. Abdellatif MORTAKI, DG par intérim de la CNSS
Tous les préalables pour le déploiement de la couverture sociale et médicale assurées par la CNSS au profit des travailleurs domestiques sont remplis !
En effet, la Caisse Nationale de Sécurité Sociale a pris toutes les dispositions nécessaires à l’affiliation des employeurs et l’immatriculation des « gens de maison », y compris dans ses dimensions communicationnelles.
Sauf que le décret d’application n’ayant pas encore été publié, elle ne peut passer à la phase de l’exécution de ce nouveau dispositif pour les employés domestiques.
C’est ce qu’explique M. Abdellatif MORTAKI, Directeur général par intérim de la CNSS, dans l’entretien qui suit.
La Nouvelle Tribune :
M. Mortaki, parmi les chantiers en cours de la CNSS, figure la couverture sociale et médicale des travailleurs domestiques, pouvez-vous nous en parler ?
M. Abdelatif Mortaki :
La couverture sociale des travailleurs à domicile a été prévue par la Loi du 27 juillet 1972 qui se rapporte à la couverture sociale des travailleurs salariés du secteur privé. Ceux-ci sont donc intégrés dans le régime général de la sécurité sociale.
Mais cette loi, dans son article 2, lequel définit les personnes assujetties au régime, conditionne la mise en œuvre de cette couverture à la publication d’un décret d’application devant définir les modalités de déploiement de cette couverture.
Ce décret n’a jamais été élaboré pour une raison relativement simple, c’est que la relation de subordination entre l’employé et son employeur n’a jamais été définie dans ce domaine.
C’est aujourd’hui chose faite après l’entrée en vigueur depuis le 02 octobre 2018 de la Loi 19-12, qui a normalisé le rapport de travail entre l’employeur et l’employé de maison et l’extension de la couverture sociale aux travailleuses et travailleurs à domicile est devenue ainsi possible. Et, le décret en question a été élaboré et soumis à l’examen du Conseil de Gouvernement.
Pour l’instant il ne reste que sa publication au Bulletin Officiel pour que la couverture des travailleuses et travailleurs a domicile soit effective.
Pouvez-vous nous nous exposer ce qu’apporte cette loi ?
En fait, cette loi est un code du travail spécifique à la domesticité, définit et liste le travail domestique, les conditions d’emploi, de congés, etc.
Il s’agit donc de l’exposé des droits et obligations des salariés domestiques et de leurs employeurs.
Parmi les éléments importants de cette loi, la concrétisation du rapport employé-employeur qui doit systématiquement passer par l’élaboration d’un contrat signé entre les deux parties et déposé auprès de l’Inspecteur du Travail.
D’ailleurs, l’un de ses deux décrets d’application, du 31 août 2017, définissait les modalités du contrat.
Donc, ce « code du travail domestique » a la particularité que la subordination entre l’employé et l’employeur doit être obligatoirement régie par un contrat.
De même, la loi en question définit le salaire minimum de cette catégorie de travailleurs et le fixe à 60% du SMIG du secteur de l’industrie et du commerce, soit à peu près 1 542 Dh actuellement sachant que le SMIG est désormais à 2 570 dirhams mensuels
Par ailleurs, l’employé de maison doit avoir au minimum entre 16 et 18 ans, mais cela ne vaut que pour une période transitoire de cinq ans permettant l’emploi d’un mineur se situant dans cette tranche d’âge, sous condition de la signature d’un contrat entre les deux parties.
Le second décret, 17-366, définit quant à lui les emplois qui sont interdits aux mineurs âgés de 16 à 18 ans.
L’étape suivante étant l’immatriculation de cette population de travailleurs à la CNSS, y êtes-vous préparés ?
Permettez-moi de vous dire que l’on n’en est pas là ! Le décret devant expliciter l’immatriculation des travailleurs et l’affiliation de leurs employeurs à la CNSS a bien été élaboré et même examiné par le Conseil du Gouvernement, le dispositif mis en place, mais il subsiste l’étape de sa publication avant l’entrée en vigueur de cette couverture. Précisons que le décret en question fait obligation à l’employeur de s’identifier auprès de la CNSS, lui présenter le contrat de travail pour son affiliation et l’immatriculation de son employé afin d’enclencher le process de couverture sociale de cette catégories de travailleurs.
Pour éviter toute lourdeur administrative aux employeurs particuliers, la CNSS se basera sur le salaire déclaré dans le contrat, matérialisant un salaire récurrent.
L’employeur est donc exempté de produire chaque mois une déclaration de salaire sauf si entre temps le salarié domestique a bénéficié d’une augmentation.
Quitte à se répéter, si ce contrat de travail est désormais obligatoire, sans décret d’application le feu vert n’est toujours pas donné à la couverture des employés de maison.
Et s’il n’y a pas d’engouement pour le contrat de travail des salariés domestiques, c’est sans doute parce que cette formalisation a plus de contraintes que de bénéfices.
Les employés domestiques eux-mêmes ne veulent pas signer de contrats alors qu’ils sont censés être protégés par ce document, qui est destiné à préserver les droits du travailleur en premier lieu, avant ceux de l’employeur.
On constate en effet, que la réticence des employés domestiques tient au fait que le plus souvent, ils ne veulent pas se sentir liés par un contrat qui les engage à des obligations, même si cela les prive de certains droits et avantages.
Bien évidemment, la méconnaissance des dispositions du contrat est pour beaucoup dans ce refus.
De plus, la « carotte » de la protection sociale est pour l’instant inexistante du fait de la non publication officielle du décret l’organisant.
Il faut donc souligner que faute de cette publication, la protection sociale des salariés domestiques reste en attendant virtuelle !
Quels sont les taux de la couverture sociale de cette catégorie de travailleurs ?
Les taux de cotisation due pour la couverture des travailleurs de maison sont les mêmes que ceux dus au titre du régime général et l’assurance maladie pour les travailleurs du secteur privé.
A titre de rappel ces taux sont : de 6,37% pour l’AMO, 11,89% pour la retraite et la pension de vieillesse, 6,40% pour l’allocation familiale et 1,57% pour le court terme, (indemnités journalières maladie et indemnité de maternité et indemnité pour perte d’emploi).
Au total donc le prélèvement partagé entre l’employeur et le salarié sera comme pour le régime de base de 26,23%.
L’employé paiera 6,37%, soit 2,26% au titre de l’AMO, 3,96% pour la retraite, et 0,52% au titre des indemnités journalières.
Ce qui donne au total 6,74% sur la base salariale minimale de 1542 dirhams, soit un montant de sa cotisation sociale de 104 dirhams mensuels quand l’employeur contribue pour 400 dirhams.
Mais dans l’attente de l’opérabilité du dispositif de couverture sociale des salariés domestiques, la CNSS a-t-elle pris des dispositions pour son entrée en vigueur qui pourrait intervenir à tout moment ?
En effet, la Caisse a déjà mis en place les procédures, le système d’informations qui permet leur intégration dans le cadre général de la couverture sociale des salariés du secteur privé, avec quelques adaptations spécifiques, ainsi que la formation des agents qui seront dédiés à cette nouvelle tâche d’affiliation.
Tous les préalables pour déclencher l’intégration de cette nouvelle population comme l’affiliation des employeurs, l’immatriculation des employés, et le prélèvement des cotisations ont été accomplis.
La CNSS a même établi des conventions avec les banques pour prélever les comptes des assurés et virer les prestations pour les uns et les autres.
Là encore, la non bancarisation des employés de maison posera un autre problème, il va falloir y travailler afin de fluidifier la relation entre la CNSS et les nouveaux immatriculés.
La CNSS ne devrait-elle pas aussi communiquer pour faire adhérer les bénéficiaires à ce nouveau service ?
Tous les outils de communication sur ce dispositif de couverture sociale des employés de maison sont déjà prêts, presse écrite et digitale, spots télévisés, radiophoniques, etc.
Nous communiquerons sur la bonne nouvelle que représente l’extension de la couverture sociale aux employés de maison, et ce, dès la publication du décret !
En fait, le message avancé par la CNSS sera double. Il s’adressera à l’employeur pour souligner son obligation de souscrire à un contrat de travail avec l’employé domestique et au salarié pour lui signifier tous les avantages qui leur seront acquis en termes de couverture sociale, dans ses différentes dispositions et dont jouissent aujourd’hui les salariés du privé déclarés à la CNSS.
La Caisse nationale de Sécurité sociale compte-t-elle s’engager dans l’identification des employeurs de domesticité ?
La Caisse n’a pas les moyens d’interpeller et d’identifier individuellement des centaines de milliers de foyers.
De plus aucune loi ne permet de violer l’intimité des domiciles.
En fait, le point de départ, c’est la volonté des parties, employeur et salarié domestique, de nouer un contrat qui organise leur relation.
L’objectif de la CNSS, c’est de communiquer avec ampleur pour réveiller le sens civique de l’employeur et interpeller le salarié domestique lui-même.
Et d’ailleurs, la Caisse a mis au point un guide qui permet de familiariser les employeurs et les employés domestiques avec les procédures et les règles, permettent l’affiliation et l’immatriculation à la CNSS.
Il décrit avec précision et simplicité les différentes étapes à suivre, sachant que le contrat de travail type est téléchargeable sur Internet ou disponible dans toutes les Inspections du Travail du pays.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
L’autre chantier en cours de la CNSS : La couverture sociale et l’affiliation des travailleurs indépendants.
Les lois organisant la couverture sociale et l’assurance maladie des travailleurs indépendants ont été publiées durant l’été 2017. Les décrets d’application de ces lois ont été adoptés en décembre 2018 et publiés en janvier 2019.
Le dispositif réglementaire est pratiquement prêt et complet, mais il reste une étape à franchir et celle-ci peut être démultipliée de façon très importante.
En fait, les deux lois ont prévu dans deux articles que pour qu’une population, une profession ou un groupe de professions intègre la couverture sociale, il fallait produire un décret en concertation avec les professions concernées.
La Caisse a déjà rencontré les médecins, les professionnels de la Justice, ceux de la Santé, et prochainement les auto-entrepreneurs.
Et la concertation a déjà commencé avec les ministères ayant sous leur tutelle des professions indépendantes.
Mais un point bloque, celui de la cotisation.
Car, si l’on connaît les taux, pour la retraite et l’assurance maladie, 10% et 6,37%, l’assiette de la cotisation n’est pas connue.
La législation ayant prévu un revenu forfaitaire, la CNSS collabore, à sa détermination par catégorie professionnelle.
A.D