Face à une croissance économique atone, il importe, dans le cadre de ce numéro spécial, d’évaluer la situation des banques au regard de la conjoncture actuelle. Inversement, pour jauger la hauteur et la dynamique des investissements, évaluer et analyser la demande du crédit peut nous éclairer…
De fait, le système bancaire subit l’absence de décollage de la croissance. En partageant ce constat avec des banquiers de la place, une réponse générique a été donnée qui énonce : « C’est une question qui nous interpelle tous, au même titre que les investisseurs étrangers qui ne comprennent pas pourquoi un pays comme le Maroc, ouvert et qui s’adapte plutôt bien aux réglementations mondiales, arrimé de surcroît à l’Europe, partenaire des États-Unis, présent en Afrique, connait une croissance aussi lente ».
Des moteurs en panne
Pour étayer leurs réponses, ils considèrent que la première explication est objective et qu’elle se démontre. Elle veut que la croissance des années 2000, autour de 5% l’an, était tirée par deux gros moteurs, la consommation des ménages et les investissements publics dans les infrastructures.
Aujourd’hui, le constat qu’ils ont atteint leurs limites s’impose. D’abord, parce que les investissements publics ont engendré un volume suffisant d’infrastructures, mais aussi parce que le pays a subi les chocs de 2009 et 2011 après lesquels les Budgets publics ont servi d’amortisseurs, en aidant les entreprises exportatrices, en améliorant les salaires des fonctionnaires, notamment les forces de sécurité dont les émoluments ont été doublés en 2011, etc…
De ce fait, le déficit budgétaire a plongé et il lui a fallu presqu’une décennie pour revenir à un niveau acceptable, à 3 %. Le deuxième moteur des 5% de croissance, la consommation des ménages est limitée par le pouvoir d’achat et la taille de la population ayant les moyens de consommer, le niveau de son endettement, mais aussi par l’obligation de maintenir les équilibres extérieurs car l’augmentation de la consommation engendre celle des importations. Cela, alors même que la classe moyenne consumériste est limitée numériquement ainsi que ses revenus du fait de la faiblesse générale de la création de richesses en soi. Donc, la croissance ralentit à cause de moteurs historiques saturés comme les investissements publics dans les infrastructures, et la consommation des ménages.
En conséquence, la demande de crédits ralentit également. Mais avec des effets amplifiés dus à un désendettement des grandes entreprises dans certains secteurs, notamment la promotion immobilière. Cela se voit aussi au niveau des ménages car ceux qui ont les moyens se sont équipés. Quant aux autres, soit ils ne sont pas en l’état de le faire, soit l’accès au crédit leur est impossible, tels ceux du secteur informel.
Les banques en situation tendue
Dans un tel contexte qui pourrait donc remplacer ces facteurs de croissance « fatigués » ? Devrait-on considérer que les industries exportatrices seraient susceptibles de constituer une solution de remplacement ? Certes, elles sont générées par l’investissement direct, mais la création d’emplois qu’elles génèrent sont largement insuffisantes.
Certes, elles ont soulagé les réserves de change du Maroc, mais cela n’a pas boosté la croissance parce qu’il n’y pas eu d’investissements d’accompagnement. Et en cela, le plan d’accélération industrielle souffre d’un manque d’effectivité au niveau du tissu industriel national. Et « les banques ne comprennent pas pourquoi il n’y a pas de demandes de crédits autour des industries nées des investissements étrangers », constate un grand banquier de la place. Preuve en est qu’entre 2012 et 2018, les crédits à l’économie n’ont crû que de +2,8% par an, soit à un taux inférieur à la croissance du PIB ajoutée à l’inflation, dont la moyenne est de 4,6% sur la période, (voir tableau).
Cette situation a impacté l’activité des banques, mais surtout la rentabilité de leurs fonds propres qui a baissé de 2 points, soit de 11% en 2012 à 9% en 2018, du fait de la baisse du taux de leverage et donc celle de la rentabilité de leurs actifs. Et ce, alors que le coût du capital pour le secteur bancaire est estimé aujourd’hui entre 9% et 12%, suivant les fondamentaux de risque et rentabilité des différentes banques de la place. Ainsi, pour le secteur bancaire, le rendement des Fonds Propres devient inférieur au coût du capital. La baisse de la rentabilité des actifs des banques s’explique, d’une part, par une baisse des marges d’intérêt qui sont passées de 4,3% en 2012 à 3,9% en 2018, soit 0,4 pt de baisse ou 10% sur la période. Et, d’autre part, par la dégradation du coût du risque sur ces six années, sachant que la rentabilité des actifs en question est tombée de 1,00% en 2012 à 0,84% en 2018, soit -15% sur la période. Ce qui prouve que si la concurrence est saine, les actionnaires des banques qui ne génèrent pas un rendement de leurs investissements supérieur au coût du capital, préfèrent ralentir leurs investissements !
Pas d’accompagnement…
Dans un tel contexte de morosité, la bonne nouvelle est que les banques s’orientent de plus en plus vers le financement des PME. À ce titre, il y a quelques bonnes initiatives comme celles de AWB, de la BCP, de BMCE Bank et d’autres, en faveur des PME (petites et moyennes entreprises) et TPE, très petites entreprises). Mais pour les banquiers, la grande interrogation relative à leur business concerne les « industries exportatrices ».
En effet, celles-ci se sont multipliées, et le Maroc a prouvé qu’il était compétitif au niveau mondial au moins dans l’automobile et l’aéronautique avec la présence de grands acteurs mondiaux. Sauf qu’aucune demande de crédits des entreprises implantées dans notre pays ne s’oriente vers les banques marocaines. C’est à croire que les nouveaux acteurs viennent s’implanter au Maroc avec leurs crédits en euros et font leurs dépenses dans cette monnaie, leur business étant complètement off-shore pour le Maroc. De même que peu de Marocains ont envie d’investir dans un tel contexte aux côtés de ces « délocalisés ».
Pourtant, ils auraient pu commencer petits et grandir avec les grosses structures situées à proximité, par exemple en devenant le sous-traitant d’un sous-traitant de Renault ! En somme, le concept d’écosystème n’a pas pris notamment parce que ce type d’investissements n’engendre pas une rentabilité de fonds propres de plus de 5%, ce qui est décourageant de fait ! Car, et c’est là où la réalité de notre économie interpelle, un investisseur marocain lambda continue à préférer acquérir des terrains agricoles à proximité des villes, attendre le temps qu’il faut pour qu’ils soient inclus dans des périmètres urbains, ce qui lui garantit une rentabilité de 15% l’an !
La rente et ses méfaits
Il s’agit d’une rente contre laquelle il faut lutter comme toutes les autres du genre, parce qu’elles sont le fruit d’une rentabilité anormale par rapport aux risques encourus et à une bonne allocation des ressources. Il faut créer « la bonne hiérarchie » entre risque et rentabilité.
Le Maroc n’a pas suffisamment d’hommes d’affaires entreprenants, ni de capital réparti pour que les uns et les autres fassent leurs calculs et investissent là où se trouvent de nouvelles zones. Et les banquiers s’accordent sur le constat que « cette mentalité de rente tarde à changer » ! La majorité des hommes d’affaires d’aujourd’hui a connu l’autre période, celle où elle a fait du business à l’abri des protections accordées par l’État. Et, celui-ci se concentre sur l’ouverture de l’économie aux investisseurs industriels étrangers pour en attirer le maximum. Il n’y a rien à redire à cela, mais si les porte-avions arrivent, les escadres d’accompagnement manquent toujours par manque d’investisseurs marocains accompagnateurs de ces projets.
En conclusion, pour construire de quasiment zéro une industrie, il faut penser à l’ensemble de la problématique de l’entrepreneur, et celle-ci ne se limite pas aux seuls avantages fiscaux. Pour déterminer quelles sont les difficultés au démarrage d’un investissement, il faut commencer par détruire les alternatives de placements et donc taxer fortement les rentes, donner toute l’information pour que la rente s’arbitre.
Quand le crédit est à plat
Partant de cette analyse, il importe d’appréhender comment le système bancaire traduit ces contraintes économiques. La réponse des banquiers est claire, le système bancaire les subit comme tout opérateur car les crédits d’investissements stagnent et toutes les autres catégories restent « flat », hormis le boost récent des crédits de TVA. Et, entre avril 2018 et avril 2019, la croissance des crédits globaux se situe autour de 4%, avec le retail pour la partie la plus dynamique.
De ce fait, les banques, pour des raisons de croissance et de rentabilité, privilégient les PME, sachant que la grande entreprise, (GE), continue de se désendetter. Assurant financer l’économie marocaine, elles privilégient à ce titre les PME structurées, transparentes, dirigées par des gens compétents. Elles ont grâce au système de scoring, récolté plus de données disponibles électroniquement, exploitables, notamment sur les comptes, sur les incidents de paiements, sur leur niveau d’endettement, qui leur facilitent la tâche. Mais, bien évidemment, les banques prennent plus de risques, tout en le facturant aux PME. En conclusion, les banques reconnaissent être passées par la phase de l’opulence de l’économie marocaine, quand la croissance venait d’elle-même, la rentabilité était relativement assurée, la concurrence ordonnée et gentille.
La fin d’un système
Mais, depuis la fin de la décennie 2000, c’est désormais la rudesse et la baisse de la rentabilité alors que la concurrence entre les banques sur le segment des grandes entreprises, qui ne sont pas si nombreuses, a fortement fait baisser les taux. A partir de ces constats, on peut conclure que le secteur bancaire se trouve face à une économie mature, en ce sens que les objectifs de financement ont été atteints pour un nombre déterminé d’acteurs économiques. Mais ce système est arrivé à son terme et a atteint ses limites. D’où la nécessité, relevée par le Souverain, d’un nouveau modèle économique qui serait plus inclusif. L’économie est dans une période de transition où s’exprime un vrai problème, celui de la PME intermédiaire qui reste est étranglée, sous-capitalisée, qui n’est pas dans une logique de croissance, mais de survie et d’exploitation par les entrepreneurs à des fins personnelles. Mais, « de son évolution dépend la croissance de demain », un constat partagé par les banquiers interrogés dont on comprend la discrétion, car elle s’impose …