Mme Radia Chmanti Houari a été durant de longues années dans le top management de grandes entreprises pharmaceutiques.
Aujourd’hui, elle entame une seconde carrière dans le conseil en stratégie et le management.
Une position idéale pour porter des réflexions saisissantes de pertinence sur le « troisième âge » et les capacités intellectuelles, l’expérience et le savoir-faire accumulés par ces « jeunes-âgés » qui peuvent encore offrir au pays des années d’activités performantes au service de la collectivité nationale.
Au moment où la Commission Spéciale pour le Modèle de Développement poursuit sa mission investigatrice, l’article de Mme Chmanti Houari ouvre des perspectives qui mériteraient fortement d’être prises en compte tant elles sont actuelles et nécessaires pour le Maroc d’aujourd’hui et de demain.
Après avoir dirigé au Maroc des multinationales leaders dans l’industrie pharmaceutique pendant plusieurs années, j’ai décidé de me lancer de nouveaux défis et d’entamer un nouveau chapitre dans ma vie professionnelle,
Pendant la quête du comment, je me suis mise au service de la communauté, je suis partie à la rencontre des gens de différents horizons, différents milieux au Maroc et à l’étranger, participer à des forums , organiser des conférences, servir en tant que présidente de l’association des Alumni MBA Ponts Maroc ou dans le Rotary club, IMA, WIB…, j’ai apprécié le monde académique à travers l’enseignement, le tutorat le mentoring, et j’ai découvert le monde de l’entreprenariat en créant mon cabinet de conseil en stratégie et management Bright&Partners.
J’ai pris le temps d’écouter les gens et d’observer attentivement les changements dans notre société.
Dans ce processus de découverte et de réflexion, j’ai réalisé qu’autour de moi, il y avait des professionnels ayant des expertises pointues, jeunes, actifs et en bonne santé, ayant encore plusieurs années de productivité devant eux, mais en «veille» car en retraite ou en pré-retraite.
J’ai réalisé également qu’au sein des organisations, on forme les collaborateurs à être performants dans leurs fonctions en interne, mais on ne les prépare pas à réussir et à s’intégrer en externe.
Au sein de cette population de retraités « jeunes âgés », il y a un pool de compétences diverses et très riches, un cumul d’expertises, de savoir-faire et de sagesse émanant de différents métiers et de différents secteurs d’activités : Des intellectuels, des dirigeants, médecins, ingénieurs, managers, enseignants, techniciens…
Une ressource précieuse à forte valeur ajoutée et à fort potentiel de croissance, mais qui reste sous exploitée, et donc un manque à gagner pour notre économie.
C’est une réalité qui m’a interpellée et à laquelle j’ai décidé de m’intéresser, et je me suis posé la question, comment peut-on capitaliser sur cette ressource dans le cadre de notre nouveau modèle de développement économique ?
Dans mon périple de découverte et de questionnements j’ai rencontré Anita HOFFMANN, écrivaine et exécutive coach, basée à Londres.
Anita a écrit le livre : Purpose & Impact « How executives are creating meaningful second carreer », fruit d’une étude qu’elle a mené pendant 3 ans à la Crainford University et dans laquelle elle a interrogé 92 Exécutives à la retraite .
J’ai invité Anita au Maroc pour partager le résultat de ses recherches, toutes les deux passionnées par ce sujet, nous avons passé une semaine ensemble, intense, riche d’échanges et de partage.
Anita a apporté des réponses à mes questionnements et m’a fait découvrir le monde de la longévité, mais pas seulement …
Grâce à l’évolution de la médecine et l’hygiène de vie, notre espérance de vie est passée de 45 ans en 1960 à 75 ans aujourd’hui, nous avons gagné 30 ans d’âge, grâce à la longévité, on vit plus longtemps, on vieillit jeune, actif et relativement en bonne santé.
Après leur départ en retraite, entre 50 et 75 ans les retraités «jeunes âgés», ont plus de vingt-cinq ans de vie active à combler et à financer.
Nous assistons à une transformation démographique où le curseur de l’âge de la vieillesse a évolué.
En 2025, pour la première fois dans l’histoire, le nombre des plus de 65 ans va dépasser le nombre des moins de 13 ans*.
La longévité est un sujet qui préoccupe les chercheurs et les autorités dans le monde, certains pays sont plus avancés que d’autres en termes de mesures d’accompagnement de cette population,
Au Maroc, selon le HCP, le vieillissement de la population est en accentuation, les personnes âgées de 60 ans ou plus verraient leur effectif s’accroître à un rythme soutenu de 3,3% par an en moyenne entre 2014 et 2050.
Cette population serait multipliée par plus de 3 fois, passant de 3,2 millions à 10,1 millions. Elle représenterait 23,2% de la population totale alors qu’elle ne constituait que 8,1% et 9,4%, respectivement en 2004 et 2014.
Le taux des retraités est amené à croitre, une tendance qui va s’accélérer par 3 phénomènes :
• La tendance du vieillissement de la population
• Le rajeunissement des organisations, qui suite à la transformation digitale, la révolution technologique et à la conjoncture économique remplacent par des jeunes les seniors perçus moins agiles ou plus chers.
• Les départs en retraite précoce vont s’intensifier vers 2030 avec l’émergence de nouveaux métiers et la disparition de certains métiers actuels.
Pourtant, c’est une population qui souhaite continuer à être active, mais qui trouve beaucoup de difficultés à se convertir, à cause de la discrimination liée à l’âge, l’incapacité d’entamer une nouvelle carrière, le manque d’opportunités suite à la conjoncture économique et la peur d’échouer après une brillante carrière
Les conséquences du manque d’activité physique et cérébrale peuvent être néfastes sur la santé. D’après les chercheurs de l’université de Zurich, partir à la retraite plus tôt augmente de 13,4% les chances de mourir à 67 ans.
Pour préparer sa retraite, il ne suffit pas de souscrire à une bonne assurance pour préserver sa santé ou avoir une bonne pension pour vivre décemment, il faut aussi trouver une occupation pour rester actif afin de préserver sa santé physique et sa santé mentale, être sain de corps et d’esprit et préserver ainsi son indépendance
A moment où la réflexion est en cours sur un nouveau modèle de développement pour notre pays, il est important de tenir compte de cette ressource et de capitaliser sur son impact potentiel sur l’environnement économique et social.
Il est important de noter que cette génération «sortante» a bénéficié d’un enseignement de grande qualité et égalitaire, d’une éducation fondée sur les valeurs, une réussite basée sur le travail et la méritocratie et pour laquelle l’ascenseur social a bien fonctionné.
Quelques propositions et pistes de réflexions pour capitaliser sur les compétences et expertises des retraités
Les impliquer dans la mise en place du nouveau modèle de développement.
La réussite d’un plan dépend de l’efficacité de son exécution, et de son pilotage à savoir : le suivi des actions qui en découlent, l’évaluation des résultats et la correction des écarts en cours de route. Cette ressource disponible a les compétences qu’il faut pour réussir cette mission.
Créer le pont entre senior et Juniors : Enseignant, tuteur, coach mentor …
Injecter les experts retraités dans l’écosystème économique et social en tant que catalyseurs et accélérateurs de développement.
Assurer la réussite de leur reconversion
RSE : Dans le cadre de la RSE, avoir un programme dédie à la préparation des retraités pour la reconversion, (Plan de carrière, formation, mission, sensibilisation, plan d’accompagnement à travers le coaching …) ;
Valoriser les métiers du grand âge ;
Changer la perception qu’une personne en retraite ne peut plus contribuer et doit vivre les jours qui lui reste dans l’attente de son heure. Nos seniors doivent se sentir utiles, vivre mieux, heureux, indépendants et apprécier chaque instant de leur vie.
Préparer le futur
Recherche et développement : Mon ambition, c’est qu’en collaboration avec les acteurs créer un « agelab » à l’instar de ce qui se fait au MIT sous la direction de Joseph Coughlin, lancer des recherches qui consistent à faire un état des lieux, focaliser sur la réalité marocaine et apporter des solutions adaptées, impliquer les jeunes car, s’ils ont de la chance, ils seront les seniors de demain et vont bénéficier de ces solutions.
La prévention : il est important que le ministère de la santé inclue dans son plan stratégique, la prévention pour que les citoyens vieillissent en bonne santé. Ceci permettra de faire des économies de santé sachant que les personnes âgées sont poly médicamentés et consommateurs de soins.
La gériatrie à développer, car n’est pas une priorité aujourd’hui.
Conclusion
Aujourd’hui, une prise de conscience s’impose au niveau des autorités et au sein des organisations pour que ces jeunes âgés restent en bonne santé, qu’ils soient préparés, accompagnés et réinjectés dans le circuit économique et social.
La contribution de tout un chacun compte et toute ressource est la bienvenue pour aider dans le développement de notre pays.
Il est primordial de capitaliser sur la longévité, l’enrichir et la préserver pour qu’elle soit un levier de développement et source de revenus et non pas devenir une source consommatrice de budget de santé publique et un fardeau pour les proches.
Radia Chmanti Houari