Par Afifa Dassouli
Le marché secondaire des obligations publiques ou bons du trésor, fonctionne selon ses propres règles pour la formation d’un prix, comme tous les autres marchés commerciaux. Ce dernier est aussi étroitement lié au marché primaire des Bons du Trésor où les acteurs sont les IVT, intermédiaires en bons du trésor, que sont les banques, elles-mêmes opérateurs sur le marché secondaire de ces titres.
Les taux de ces derniers sont déterminés par le Trésor sur le marché primaire, où il se finance par le biais d’adjudications hebdomadaires auxquelles participent les IVT, pour satisfaire au mieux le besoin du Trésor par ses levées.
Le marché secondaire traite les BT sur la base de leurs termes court, moyen et long, assortis à des taux d’intérêt qui sont généralement progressifs en fonction de la durée. Le niveau des taux est déterminant pour toute transaction sachant que les investisseurs cherchent naturellement la meilleure rémunération de leurs actifs financiers.
Sur ce marché, les taux sont tributaires de l’activité et sont donc déterminés en fonction de l’offre et de la demande. Il se dégage en conséquence sur le marché secondaire des obligations d’État une courbe des taux qui traduit des niveaux de taux pour les différents termes de ces titres financiers.
C’est cette courbe de taux du marché secondaire des obligations qui a été perturbée par le comportement du Trésor marocain en 2021 et 2022, compte tenu de l’augmentation de ses besoins. Ce dernier n’a, en effet, pas voulu acter que le poids de sa demande sur le marché entraine une augmentation des taux, certes pour ne pas aggraver la charge de sa dette, mais aussi parce que la gestion des taux revient à la Banque centrale. Ainsi, il a concentré ses émissions sur le court terme qui a connu des volumes importants pesant quand même à la hausse sur les taux qui se sont rapprochés de ceux du moyen terme alors que ceux du long terme stagnaient. En conséquence, la courbe des taux du marché secondaire des BT a perdu de sa régularité.
Dans ces circonstances, dès la première semaine de 2023, le constat que la courbe des taux ne représentait pas les conditions réelles auxquelles traitent les bons du trésor, a entrainé une réunion entre Bank Al Maghrib, l’AMMC, le Trésor, les IVT et l’ASFIM, (association des sociétés de gestion et fonds d’investissements marocains), en tant que membres observateurs. Les participants ont décidé de procéder à des modifications techniques pour améliorer l’efficience de la courbe des taux. Il faut savoir que l’utilité de celle-ci est nécessaire car les OPCVM valorisent leurs valeurs liquidatives sur la base d’une courbe publiée par Bank al Maghrib dont les taux ne doivent pas être arbitrables. La courbe telle que publiée par BAM prend en compte les cours des différentes levées du Trésor sur le marché primaire des adjudications et que la concentration de ces dernières sur le court terme a causé une distorsion de la courbe.
Les autres transactions qui affectent cette courbe étant celles du marché secondaire qui sont enregistrées par un algorithme, lequel datant de 2004 ne permet pas de capturer toutes les transactions. D’où les réunions des professionnels citées plus haut, qui sont destinées à en améliorer le fonctionnement pour lui permettre d’intégrer de mieux en mieux les opérations du marché secondaire. Les professionnels interviennent donc pour décider des opérations qui doivent intégrer l’algorithme de celles qui ne le doivent pas.
Il faut rappeler que BAM étant l’agent de calculs qui fait tourner l’algorithme et a tout intérêt à capturer toutes les opérations. Leurs interventions ont déjà donné des résultats sur la courbe des taux qui a déjà gagné en transparence, avec des taux qui sont de plus en plus proche de la réalité, soit 4,2% pour les bons du trésor à 10 ans et 3,9 % pour ceux à 5 ans, marquant ainsi une différence avec le court terme.
Les opérations d’injection de liquidités de BAM à travers le rachat de BT à très court terme à échéance en 2023, a créé de fait une liquidité au niveau du marché monétaire, mais aussi sur le marché secondaire qui en avait besoin en permettant aux banques de coter des titres à court terme, ce qu’elles ne faisaient plus à la fin de 2022.
De même, les investisseurs qui ne se positionnaient plus sur le long terme faute de visibilité, pourraient réadapter leur attitude après le virage de la politique monétaire de BAM avec les augmentations de son taux directeur, les taux longs qui se sont réajustés autour de 4%, un taux d’inflation actualisé etc…
En clair, le marché obligataire incarne la règle suprême d’offre et de demande ! Le Trésor émetteur de BT, doit accepter les conditions des investisseurs pour financer ses besoins en attendant sa prochaine sortie à l’international.
Par ailleurs, il faut savoir que depuis 2013 où les taux avaient flambé avant de connaitre une chute libre en 2014, le Trésor se constitue un matelas de sécurité issu de la gestion active de sa trésorerie qui atteint 10, voire 15 milliards de dirhams. Ce qui lui permet de gérer les adjudications de façon plus serrée, même si le fait qu’il n’est pas sorti à l’international le rend plus vulnérable face au marché.
Ainsi, les injections de liquidités de BAM ont fluidifié en amont le marché primaire des adjudications permettant au Trésor de mieux se financer mais aussi le marché secondaire des BT en rétablissant la normalité de sa courbe de taux qui s’était inversée.
En attendant que le Trésor soit obligé de rembourser à BAM les BT qu’elle acquiert aujourd’hui par ses propres levées, pour mesurer la réelle efficacité de ces mesures exceptionnelles… Sans oublier que l’intervention de BAM ne peut être que transitoire car de par ses statuts qui prévoient son indépendance, elle ne peut en aucun cas financer le Trésor même indirectement.
Afifa Dassouli