Une femme dans un magasin à Managua, le 29 juin 2018 au Nicaragua © AFP/Archives Inti OCON
Les touristes ont fui, les restaurants ont baissé le rideau et même les vendeurs de tortillas dans la rue sont désoeuvrés: l’économie du Nicaragua souffre de la vague de contestation populaire qui paralyse le pays depuis deux mois et demi.
Le pays le plus pauvre d’Amérique centrale est secoué par des manifestations d’une ampleur historique contre le président Daniel Ortega, ex-guérillero de 72 ans au pouvoir depuis 2007 après l’avoir déjà été de 1979 à 1990. On dénombre plus de 220 morts depuis le 18 avril.
La fermeture de nombreux commerces prive déjà d’emploi quelque 200.000 personnes et, sans sortie rapide de la crise, « 1,3 million de Nicaraguayens risquent de tomber dans la pauvreté », soit un habitant sur cinq, s’inquiète la Fondation nicaraguayenne pour le développement (Funides).
Pessimiste, la Banque centrale du Nicaragua a révisé fortement sa prévision de croissance pour 2018, de 4,9 à 1%.
« La situation est plus dramatique » encore, prévient la Funides: si la crise se prolonge jusqu’à août, l’économie chutera de 5,6% et le PIB perdra 1,4 milliard de dollars.
Déclenchées par une réforme de la sécurité sociale, vite abandonnée, les manifestations exigent désormais le départ de Daniel Ortega et de sa femme Rosario Murillo, vice-présidente, accusés de confisquer le pouvoir et brider les libertés.
– « Pas un seul visiteur » –
« Ortega n’a pas d’autre issue que d’organiser des élections anticipées » avant l’échéance prévue de fin 2021, comme le demande l’Eglise catholique, médiatrice du dialogue gouvernement-opposition, fait valoir à l’AFP Mario Arana, membre de la Funides et ex-président de la Banque centrale.
La violence dans les rues porte un coup dur au pays, qui séduisait de plus en plus les touristes par sa tranquillité: ils étaient plus d’un million à s’y rendre chaque année.
Mais aujourd’hui la touristique cité coloniale de Grenade et les plages du Pacifique sont vidées de leurs visiteurs.
Sur le Pacifique sud, l’hôtel Mukul Auberge Resorts Collection, qui avait hébergé des stars comme Michael Douglas et Catherine Zeta-Jones ou encore Morgan Freeman, a mis la clé sous la porte.
« Les touristes ont abandonné l’hôtel et les annulations se multiplient, à tel point que ces derniers jours, nous n’avons pas eu un seul visiteur », a reconnu dans un communiqué l’hôtel, propriété du milliardaire Carlos Pellas.
Ce dernier, homme le plus riche du Nicaragua, a lâché le président Ortega fin mai et plaide pour un scrutin anticipé.
Les chanteurs Carlos et Luis Enrique Mejia Godoy ont eux aussi jeté l’éponge et fermé leur célèbre hôtel, Casa de los Mejia, après 20 ans d’existence.
– Bars et restaurants fermés –
A plus petite échelle, Marcos, patron d’un hôtel bon marché à Managua, raconte que l’entreprise émettrice de cartes bancaires est venue vérifier l’état de sa machine à cartes: « Ils croyaient que l’appareil était endommagé car nous n’avons pas eu un seul client en deux mois ».
La désaffection des touristes est générale, avec plus de 90% des réservations annulées dans la pays, assure la présidente de l’Association nicaraguayenne de tourisme réceptif, Claudia Aguirre.
Les pertes dans ce secteur atteignent 231 millions de dollars, alors qu’il espérait générer 924 millions, selon la Banque centrale.
Selon la Chambre nicaraguayenne du tourisme, au moins 700 bars et restaurants ont fermé, ainsi que 400 hôtels. Le bilan en termes d’emplois est lourd, avec la perte de 60.000 postes.
« Je pensais que (la crise) passerait plus vite, mais elle s’est prolongée », confie à l’AFP la propriétaire d’une entreprise fabriquant des articles en plastique, qui préfère garder l’anonymat.
Les revenus de sa société ont chuté, empêchant de verser les salaires. « Cela me brise le coeur » de devoir renvoyer des employés de longue date, dit-elle, inquiète pour la survie de son entreprise, vieille de 50 ans et qui avait surmonté le terrible séisme de 1972, destructeur pour le centre de Managua.
A Masaya (sud), l’atelier artisanal de couture où travaillait Daysi Mercado « s’est effondré » faute de clients, raconte-t-elle. Elle a perdu son emploi mais admet qu’avec la crise, la priorité des habitants est d’acheter de la nourriture et non des vêtements.
LNT avec Afp