Le 20 août, le Conseil du Gouvernement, sous la présidence du Roi Mohammed VI, a adopté le projet de loi N°44.18 relatif au service militaire. Depuis cette date, ce projet de loi a enflammé les conversations, les réseaux sociaux, et fait couler beaucoup d’encre. Chacun avait son mot à dire, et discussions constructives se sont mêlées à élucubrations, souvent basées sur de fausses informations. Ce qui est sûr, c’est que ce projet de loi aura été l’une des décisions socio-politiques les plus largement commentées au Maroc ces dernières années.
Retour sur l’histoire du service militaire au Maroc
En 1965, la 4ème année du règne de feu Hassan II a été marquée par une grave crise sociopolitique. Plusieurs émeutes entre citoyens et forces de l’ordre, causant nombre de morts, ont eu lieu dans plusieurs villes marocaines. Un an après ces événements, le Roi indique dans un décret l’institution, pour la première fois, du service militaire obligatoire, évoquant sa volonté de rendre «aptes» les Marocains «à prendre conscience des responsabilités qu’ils doivent assumer». Cela aura été aussi un moyen de « mettre au pas » les cadres de l’Union nationale des étudiants du Maroc, en leur inculquant une bonne dose de patriotisme.
En 1999, par Dahir, la durée du service passe de 18 à 12 mois, et en 2006, le Roi Mohammed VI met fin au service militaire obligatoire, en sachant qu’il était à ce moment déjà peu appliqué, officiellement pour des raisons budgétaires.
Pourquoi ce service ?
Il est généralement considéré que le service militaire remplit deux fonctions, sous sa forme moderne : cohésion et intégration sociales, et apprentissage du civisme. En effet, l’art de la guerre a atteint un tel degré de technicité qu’il ne peut être appréhendé que par des militaires professionnels, et 1 an de formation ne permet plus de créer des soldats réservistes « utiles ». Sur le premier point, l’idée est que tous les jeunes d’une même génération et de classes sociales différentes soient obligés de se mêler, de se côtoyer et de vivre ensemble. Mais les multiples possibilités de dispense qu’offrent les formes modernes de ce service, comme c’est le cas pour la loi N°44.18, qui prévoit notamment des exemptions en cas de « poursuite des études » ou de « soutien de famille », leur enlèvent cette forme d’universalité.
Il reste donc, comme conséquence positive, l’apprentissage du civisme, qui déjà, ne le cachons pas, serait grandement bénéfique à nombre de nos concitoyens (même les moins jeunes !). Sans le dire ouvertement, on comprendra alors que cette réinstauration d’un service militaire obligatoire est destinée avant tout aux jeunes Marocains et Marocaines sans éducation ni perspectives, qui se retrouvent laissés à l’abandon dans nos rues et cèdent à l’attrait de l’illégalité (crimes, drogues ou encore prostitution). Ce serait ainsi un moyen de les accompagner dans leur réinsertion dans la société, à la fois en leur inculquant discipline et organisation, mais aussi en leur prodiguant des formations nécessaires à l’accès au marché du travail. C’est ce que laisse entendre le directeur du Centre marocain des études stratégiques (CMES), Mohamed Benhammou, qui déclare « que ce passage serait un bon outil pour encadrer les jeunes et renforcer leur formation ».
Cette initiative pourrait dans ce cas être très positive, mais on peut se demander pourquoi la présenter comme la réinstauration du service militaire, plutôt que comme une action sociale visant à soutenir les jeunes en difficulté, tant ce service militaire a souvent une mauvaise image auprès des populations.
Une bonne idée, tant que je ne suis pas concerné
La semaine dernière, l’équipe de football de Corée du Sud a remporté les jeux asiatiques face au Japon. Au coup de sifflet final, les joueurs étaient tous en pleurs, se jetant dans les bras de leurs coéquipiers et hurlant leur joie. Fierté d’avoir fait honneur à leur patrie ? Oui, mais pas seulement. En effet, cet accomplissement sportif majeur permettra à tous les joueurs de l’équipe d’être dispensés des deux ans de service militaire obligatoire en Corée du Sud. Cette dispense est d’ailleurs très fréquemment mentionnée dans les messages de félicitations des supporters !
Dans un monde ultra-compétitif, le service militaire est souvent perçu comme du temps perdu dans la poursuite des études, ou d’une bonne carrière professionnelle, et donc comme une véritable punition. D’ailleurs, sur les réseaux sociaux marocains, les réactions sont très souvent négatives. « Encore un Maroc à deux vitesses, les riches ne seront jamais concernés », peut-on lire sur Facebook. Très fréquemment, on voit aussi de nombreuses questions autour de la possibilité d’être dispensé. « Si je vie en Italie, est-ce que cette c**** s’applique à moi ? », se demande sur Reddit un jeune MRE.
Et si cette mesure trouve du soutien, c’est souvent parce que la personne n’est, ou ne se sent pas, concernée. « Cela peut apprendre la discipline aux jeunes bouzebals qui ne font que fumer du haschich », « ce serait une chance pour les chômeurs de remettre de l’ordre dans leur vie », ou encore « bien, tous les jeunes sans emploi qui ne font rien de leur journée auront quelque chose pour les occuper » : de manière générale, si les gens soutiennent le projet, c’est parce qu’ils pensent qu’eux et leurs proches n’auront pas à s’y plier. Et du côté des jeunes chômeurs, on voit de nombreuses vidéos sur les réseaux sociaux où ceux-ci jurent de ne jamais aller à l’armée.
Du côté des milieux culturels, on s’insurge contre l’idée de laisser à l’armée le rôle de réinsérer les jeunes, et on demande souvent de mettre plutôt en place un service civique, culturel ou associatif, à l’image du service civique français.
Du pain sur la planche en octobre
Le projet de loi sera discuté au parlement en octobre, et les travaux promettent d’être lourds. Entre les nombreuses zones d’ombre à dissiper (Y-aura-t-il compensation financière, et si oui combien ? Va-t-on leur apprendre l’usage des armes ?), et un budget à établir qui promet d’être lourd (rappelons que si la France a supprimé le service militaire, c’est avant tout à cause de son coût), le Gouvernement a du pain sur la planche. Et par-dessus tout, il doit trouver les mots et les textes adéquats, pour que la loi n°44.18 soit perçue comme une porte ouverte aux jeunes en grandes difficultés, et non comme une corvée réservée aux pauvres…
Selim Benabdelkhalek