Entretien avec Lahsen Sbaï El Idrissi, au sujet de son dernier livre
Lahsen Sbaï El Idrissi a effectué toute sa carrière à la Trésorerie générale du Royaume. Dans un livre prenant et « qui accroche », il y livre toutes ses années passées au sein de la TGR, l’expérience acquise mais aussi des tranches d’une vie bien remplie. A lire sans modération.
La Nouvelle Tribune : Pourquoi ce livre ?
Lahsen Sbaï El Idrissi :
Ayant passé toute ma carrière à la Trésorerie Générale du Royaume, il m’a semblé utile de partager mon expérience, d’abord par reconnaissance envers cette institution, et ensuite pour informer le public de ce que font les fonctionnaires du Trésor, dans le « back office ». Mais ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans l’encouragement, le soutien et l’appui de Monsieur Noureddine Bensouda, Trésorier General du Royaume.
La restitution de mon parcours professionnel rend compte d’une expérience de près de quarante ans, se rapportant à ma carrière professionnelle et à ma vie spirituelle et sociale.
Le destin a, en effet, voulu que j’intègre la Trésorerie générale du Royaume et la Tariqa Qadirya Boudchichya presque en même temps, le 16 décembre 1980, pour la première, le 27 janvier 1981 pour la seconde.
Et pour informer les lecteurs, mais aussi pour intéresser davantage professionnels et spécialistes, j’ai procédé d’une approche romancée où j’ai donné libre cours à ma mémoire, revenant sur ma vie personnelle et familiale, depuis l’enfance.
Il s’agit donc d’une autobiographie ?
Je dirais que ma démarche se rapproche davantage des mémoires que de l’autobiographie. Les deux genres étaient rares dans la culture arabo islamique. En occident, le premier écrit de ce type, les Confessions, fut l’œuvre, au IVème siècle, de saint Augustin, dans la cité de Dieu.
Plus tard, à la fin du XVIIIème siècle, Rousseau écrit également ses Confessions, première véritable autobiographie au sens moderne du terme.
Au XIXème siècle, d’autres grands auteurs suivront, notamment Chateaubriand, avec les Mémoires d’outre-tombe.
Dans le monde arabe, avec al Ayam, le livre des jours, le grand Taha Hussein produira l’une des meilleures œuvres arabes, voire mondiales, de cette nature.
Le dénominateur commun entre tous ces auteurs est qu’ils furent des écrivains de renom. De grands hommes politiques leur ont emboité le pas, (le General De Gaulle, Winston Churchill, Nelson Mandela et d’autres).
Mais il est rare qu’un fonctionnaire se livre à cet exercice, le plus souvent parce qu’on considère, à raison ou à tort, qu’on n’a pas grand-chose à apprendre aux autres. Mais, dans mon cas, j’ai été agréablement surpris par les commentaires d’amis et de collègues qui m’ont confié qu’ils se sont retrouvés dans mon livre. Tout simplement parce qu’il n’est pas centré sur ma modeste personne, mais sur l’environnement social, culturel, politique et bien sûr administratif dans lequel j’ai évolué.
A vous lire, on ressent ce rapport passionnel au politique d’abord, puis au religieux. Mais avouez que votre parcours est atypique. Il vous a mené du militantisme au soufisme, de la modernité à la tradition. Le cheminement normal serait plutôt d’aller de cette dernière vers la première.
Cela dépend de la norme à laquelle on se réfère. J’ai fait de la politique dans des conditions très particulières. Je m’y suis impliqué à fond, comme tous les militants de ma génération. Mais, à un moment donné, ça ne passait plus. Ma vision des choses s’est heurtée à une réalité que je ne pensais pas aussi sordide.
Mais au lieu de continuer la lutte, vous avez choisi de rebrousser chemin. Qu’est ce qui a motivé cette rupture avec la politique ?
Ecoutez, j’ai quitté la politique, pas le politique. N’est pas membre de la communauté des croyants quiconque ne s’intéresse pas aux affaires de la cité, nous enseigne un hadith du prophète Sidna Mohammed.
Le soufisme fut alors une alternative pour vous ?
Il devrait l’être pour tous les hommes. Mais la sagesse divine a voulu qu’il en soit autrement. Dimension intérieure et spirituelle de l’islam et cheminement initiatique, le soufisme transcende le politique. Il nous permet de rechercher la perfection non seulement dans le verbe, le discours ou même l’action, mais dès la formation de l’intention première. C’est pour cela qu’un éminent soufi, Abou Talib al Maki, l’a qualifié tantôt de science des cœurs, tantôt de nourriture des cœurs.
Et la TGR dans tout cela ?
Permettez-moi de citer un passage de la préface du livre de Robert Lion, « l’Etat passion », édité chez Plon, très éloquente à ce propos. Cet ancien responsable au Trésor français écrit : « Après trente ans de service public, ce livre pourrait être un rapport, un compte rendu de mission. Je l’ai voulu compte rendu de passion. Le secteur public m’a mordu, si morsure signifie envoûtement, plaisir, blessures. J’ai vécu avec lui une longue affaire de cœur. Une de ces histoires brûlantes qui tissent la trame d’une vie ».
Ce fut un peu mon cas aussi. On ne peut pas être militant authentique si on ne porte pas son pays dans son cœur. J’ai horreur des gens qui s’enflamment devant leur poste TV lors des matchs de foot de l’équipe nationale, mais qui ne gardent pas cette fibre lors de l’exercice de leurs activités quotidiennes.
La TGR facilite cet exercice à ses responsables, cadres et agents, car on y est toujours en rapport direct avec les gens, de différents milieux sociaux, avec les institutions du pays, avec des organismes internationaux, les entreprises, etc.
Qu’est-ce qui différencie alors le Trésor des autres administrations ?
La Trésorerie Générale du Royaume, et de manière générale le Ministère des Finances, se distinguent des autres administrations.
C’est une véritable école. Elle est au cœur tout à la fois du système financier et de l’administration publique. Grâce à ses services centraux et à son réseau, elle assure la perception des recettes fiscales et non fiscales, le contrôle et le règlement des dépenses de l’Etat ainsi que la gestion des budgets des collectivités territoriales et des dépôts au Trésor. Ses attributions lui permettent de produire l’information comptable relative à toutes les opérations de l’Etat et des collectivités locales.
Je n’oublierais jamais ce jour où on venait de débarquer à la Trésorerie Principale, au mois de mai 2002. De mon bureau j’entendis des cris de protestation provenant du hall. Ce furent des retraités de l’armée qui protestaient parce qu’ils n’avaient pas reçu le virement de leurs pensions à leurs comptes postaux.
Je suis allé vers eux pour leur demander de choisir, parmi eux, des interlocuteurs avec lesquels je voulais trouver une solution. J’ai ensuite invité ces derniers à partager ma table de réunion, le plus normalement du monde. Le plus âgé parmi s’est alors levé pour me dire que le seul fait que je les reçoive de cette manière leur avait réchauffé le cœur, me demandant d’activer la recherche d’une solution à leur problème, chose qui a été faite le lendemain.
Je cite beaucoup d’opérations de ce genre dans mon livre, mais aussi d’autres actions, plus stratégiques, où j’ai eu affaire à de grands dirigeants de la TGR, du Ministère des Finances, de Bank al Maghrib, mais aussi d’autres Ministères et institutions, notamment la Banque Mondiale.
Propos recueillis par Fahd Yata
Lahsen Sbaï El Idrissi, LE TRÉSOR PUBLIC MAROCAIN,
Une histoire, une vie
Publié aux Éditions La Croisée des Chemins
Prix : 115 Dirhams