Le Roi Mohammed VI reçoit en audience M. Mohamed Benchaâboun, M. Abdelatif Jouahri et M. Othman Benjelloun
Le discours royal d’octobre dernier sur le Programme Intégré d’Appui et de Financement des Entreprises, s’est traduit la semaine dernière par des engagements solennels pris devant le Souverain, concrétisés par des actes écrits des argentiers du Maroc que sont le Ministre de l’Économie et des Finances, M. Mohamed Benchaaboun, le Gouverneur de Bank Al-Maghrib M. Abdelatif Jouahri et le Président du GPBM, M. Othman Benjelloun.
C’est un accord de place concret des banques commerciales pour élargir le financement de l’économie aux petits acteurs jusque-là insuffisamment considérés, qui est ainsi lancé, avec le soutien effectif de l’État et de la Banque centrale.
Un nouveau modèle de financement bancaire
Pour M. Brahim Benjelloun Touimi, Administrateur Directeur Général Exécutif du groupe BMCE Bank Of Africa, qui s’exprimait dans le cadre d’une émission spéciale sur le sujet devant les caméras d’une chaîne de télévision marocaine, il s’agit sans doute « d’un nouveau modèle de financement bancaire » qui ne peut que s’inscrire dans le nouveau modèle développement.
Et pour cause : ce n’est pas une réforme qui doit passer par une longue phase dans le circuit législatif, puis budgétaire et qui, au final, dépendrait de la réactivité gouvernementale ou ministérielle.
En effet, jamais une action d’une telle envergure n’aura été aussi rapide dans sa conception et sa mise en œuvre avec une telle mobilisation du Ministre de l’Économie et des Finances, du Wali de Bank Al-Maghrib et du Président du GPBM qui ont entrainé dans cette dynamique, plusieurs hauts responsables publics et dirigeants de banques.
La médiatisation de cet événement ne saurait se suffire d’émissions radiodiffusées, télévisées, ni d’une seule et importante conférence de presse tenue conjointement par les porteurs de ce grand projet pour affirmer leurs engagements nouveaux.
L’initiative royale doit conduire à une prise de conscience nationale.
En effet, elle marque un tournant dans le mode de fonctionnement économique au Maroc du fait de mesures d’exception auxquelles elle a conduit.
La première d’entre elle est justement l’impulsion et l’implication de SM le Roi. Ce fut d’abord à travers un discours dédié à la problématique majeure du financement des petits acteurs de l’économie.
Puis, le Souverain a donné ses orientations concernant le renforcement du dispositif d’appui et de financement des entrepreneurs dans le monde rural ainsi que la définition de taux maximum pour les crédits bancaires.
La nouveauté est donc dans la forme et la puissance de l’interpellation des banques, jamais faite ainsi publiquement, tout en qualifiant le secteur bancaire de solide, résilient et bien supervisé.
L’initiative royale vient souligner la priorité à donner au financement des auto-entrepreneurs et autres porteurs de projets ainsi que des toutes petites entreprises issues de toutes les régions du Royaume et à des conditions inédites.
Et c’est là où réside la seconde mesure d’exception ou nouveauté. Il y eut fixation d’un taux d’intérêt plafonné à 2% voulu par le Souverain pour les prêts contractés par ces petits entrepreneurs, voire à 1,75% pour les petits entrepreneurs dans le monde rural !
Ce taux est inférieur d’un point au taux directeur de Bank Al-Maghrib qui est de 2,25%. L’Etat lui-même, en tant que risque souverain, se finance à des taux plus élevés.
En conséquence, pour cette catégorie de nouveaux clients, les banques ne calculeront plus le taux de leurs crédits en prenant en compte leurs frais de gestion, le coût du risque ou la rémunération de leur capital.
Et pour faciliter ces concessions des banques, le taux de refinancement par la Banque Centrale des engagements bancaires auprès de ces catégories de clientèles a été fixé à 1.25%, soit un point de moins que le taux directeur.
L’accès des banques au guichet de refinancement de BAM sera d’ailleurs « illimité », comme l’a précisé le Wali de Bank Al-Maghrib, ce qui permet précisément de rendre soutenable ce taux plafond de 2%.
De même, la Banque centrale s’engage à diminuer les exigences en capitaux propres appliqués à ces crédits.
Et, la garantie des concours bancaires octroyée par la CCG, (jusqu’à 80% de couverture pour ces types d’engagements), permet dans une large mesure d’amortir les risques des banques.
La fixation d’un taux d’intérêt aussi bas pour les nouveaux clients visés, avec des contraintes réglementaires allégées, rappelle par leur caractère exceptionnel, les politiques non conventionnelles dites de « quantitative easing » adoptées par les banques centrales américaine et européenne pour lutter contre la crise financière de 2008, qui n’avaient jamais été utilisées auparavant.
A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels.
La troisième mesure d’exception de ce nouveau dispositif pour financer ces clients réside dans la structuration d’un fonds de soutien de l’entreprenariat qui apparaît davantage renforcé par rapport
ce qui a existé jusqu’à présent, notamment pour le soutien de la PME par la banque centrale.
En effet, c’est un fonds spécifiquement créé par l’État qui l’a inclus dans
la Loi de Finance 2020. Il sera doté à parts égales entre l’État et les banques, à hauteur de
6 milliards de dirhams sur trois ans.
S’y sont ajoutés deux autres milliards de Dirhams que le Souverain a instruit au Fonds Hassan II
d’apporter pour le financement des projets liés à la ruralité.
L’orientation du Fonds ainsi doté, semble ainsi mettre davantage l’accent sur les jeunes porteurs de projets, les auto-entrepreneurs, les toutes petites entreprises, TPE, notamment celles en cours de création.
Une autre mesure d’exception consiste en l’engagement pris devant le Souverain par les banques de mettre en place, un accompagnement non financier dans le cadre d’accords signés entre les banques, les Centres Régionaux d’Investissements, CRI, et Maroc PME.
Ces nouveaux financements doivent être packagés et aboutir à des produits ayant des caractéristiques financières et non financières.
Ainsi, le jeune entrepreneur sera financé et soutenu de façon globale. Il bénéficiera autant de financement que de conseil, de coaching ou de formation.
Autre mesure d’exception, les crédits en question, accordés à ces mêmes taux privilégiés, seront appliqués autant aux crédits de fonctionnement que d’investissement, ce qui n’est pas la norme en matière de financement bancaire.
Du côté des banques qui vont devoir assumer ces activités nouvelles, celle de financer des clients non structurés par définition et ne disposant pas de garanties, la CCG, qui gère le nouveau dispositif lié
au Fonds de 6 milliards de dirhams sur 3 ans, couvrira les concours bancaires à des quotités pouvant atteindre 80 % des engagements, donc bien au-delà des 60% en moyenne dont bénéficient les PME .
Sans compter que la CCG, qui exige habituellement des normes rigoureuses de gestion, de transparence et d’organisation, ne sera pas dans cette pratique envers les primo-accédant aux crédits.
Les caractéristiques spécifiques du produit CCG Intilak, et, sans doute, d’autres annonces devraient être dévoilées !
Toutes ces mesures exceptionnelles ne pouvaient s’exprimer en dehors d’une démarche royale qui s’apparente véritablement à un chantier de règne comparable à celui de l’INDH !
Car, il s’agit bien d’un nouveau modèle de financement bancaire qui concerne une partie du Maroc jusque-là peu adressée par le système bancaire.
Sa réussite réside tout particulièrement dans son aspect régional. Cette approche est fondamentale. En effet, il s’impose que les CRI et les réseaux bancaires collaborent étroitement pour accueillir et accompagner les personnes porteuses de projets finançables.
Un nouveau métier pour les banques
Les agences bancaires vont devoir structurer plus finement leur approche, dans chaque région, pour accorder à ce nouveau métier de la banque, une place entière, un nouveau canal qui s’adresse à des
gens qui ne répondent pas aux critères classiques. Des nouveaux clients auxquels elles n’imposeront plus de règles préalables, ni les mêmes taux.
C’est sans doute ainsi que les banques pourront convertir des petits acteurs évoluant dans l’informel, en les identifiant comme des auto-entrepreneurs. Ainsi, le vendeur ambulant qui va accéder à un crédit à taux réduit, devrait passer par ce statut.
Il s’agit de créer un écosystème constitué de formateurs, d’anciens banquiers, d’experts comptables à la retraite, afin de faciliter l’accompagnement non financier qui prendra une grande part dans ce nouveau dispositif.
De même qu’il conviendra de former des gens pour accompagner les nouveaux entrepreneurs. Le fonds d’appui et de financement des entrepreneurs est prévu de consacrer autour de 100 Mdhs, de son enveloppe globale à cet accompagnement fait de formation et d’assistance.
Des reportings périodiques seront établis par la banque centrale sur la mise en œuvre de ce dispositif. Il va être important de mesurer le taux de survie de ces entreprises au delà de 3 à 5 ans ainsi que
le nombre d’emplois qu’elles auront créés.
Le Président du GPBM, M. Othman Benjelloun, au nom des banques, a formulé devant le Souverain l’engagement « à faire réussir et à pérenniser ce système » au bénéfice de ce qui représente «un gisement important de créations d’emplois et de génération de revenus ainsi que d’inclusion du secteur informel au sein de l’économie marocaine ».
En définitive, on mesure pleinement à travers la richesse de ce dispositif que cette démarche prend à juste titre en compte le fait que l’économie marocaine est bipolaire, avec un pan moderne de l’économie et un autre qui ne l’est pas !
La nouvelle initiative royale engage le système bancaire à financer une partie de l’économie marocaine quasiment exclue jusqu’à présent des circuits classiques de financement.
Les banques vont devoir donc, « populariser » le financement de ’économie: elles s’adapteront mieux à la réalité marocaine où les TPME représentent 80 % du tissu productif.
Ce programme de financement est une démarche d’autant plus révolutionnaire, que les banques marocaines panafricaines et en réussissant à l’implémenter au Maroc, pourront le dupliquer dans
les pays africains.
On notera cependant que la seule question qui n’a pas été abordée pour accompagner les nouveaux entrepreneurs est d’ordre fiscal. En effet, aucun dispositif fiscal spécifique n’a été annoncé pour
ces nouveaux financements….
Afifa Dassouli