La culture au Maroc a toujours été le grand absent des stratégies et autres plans de développement. N’étant pas considérée par les politiques publiques comme un levier de développement et de croissance, elle est reléguée au second plan. Pourtant, de nombreuses études réalisées ces dernières décennies par des organisations internationales expliquent que la culture peut être un levier de développement économique et social.
Un rapport accablant
Il est à rappeler que le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), dans son rapport sur les « Contenus Culturels et Médias » réalisé en 2018, affirme que le champ culturel, ainsi que le système d’éducation et de formation, continuent de pâtir de déficits majeurs les empêchant de jouer pleinement leur rôle, alors qu’ils sont censés être les principaux vecteurs de développement des capacités et d’épanouissement de l’individu.
Si l’on se réfère aux études internationales en la matière, la culture a de nombreux effets directs sur le développement social et la structuration de la société.
Elle peut être un facteur de stabilité sociale. Le déploiement de certaines activités liées à la culture dans les milieux défavorisés, ou les régions rurales, éloignées, etc., contribue à l’élaboration d’activités créatrice d’emplois, et génératrices de revenus.
La culture peut également être considérée comme facteur de cohésion sociale. Dans un Maroc marqué par des fractures, la cohésion sociale est un besoin nécessaire qui peut passer par la culture.
Dans son document de contribution au chantier de réflexion autour du nouveau modèle de développement, le CESE a appelé à rendre à la culture sa place centrale au sein du système d’éducation et à en faire « la base qui servira au développement de la jeunesse et au renforcement de la cohésion sociale ».
Selon une étude réalisée par « The Cultural Learning Alliance », participer à des activités culturelles permet aux jeunes d’étendre leurs capacités de réflexion et d’adaptation, et de consolider leur estime de soi, ce qui, in fine, se ressent dans leur comportant mais aussi dans leurs résultats scolaires.
La même étude révèle qu’aux États-Unis, les établissements scolaires qui intègrent des activités artistiques à leurs programmes éducatifs obtiennent régulièrement des résultats moyens supérieurs aux établissements similaires qui en sont dépourvus.
Malheureusement, au Maroc, l’environnement scolaire, de même que l’environnement médiatique et institutionnel, n’est pas propice à l’épanouissement culturel de l’individu ni à l’éclosion de contenus culturels.
Ce constat du CESE s’explique par la faiblesse de l’industrie culturelle au Maroc, qui résulte du manque d’initiatives publiques et privées susceptible de proposer une offre culturelle adéquate et adaptée aux besoins de différentes franges de la population.
La culture contre l’exclusion sociale
Cependant, de nombreuses institutions sociales, établissements scolaires, etc., qui sont confrontés à des situations sociales «difficiles» arrivent à mieux «insérer» leur public à travers une démarche culturelle et créative.
Même si elles ne sont pas au nombre espéré, il existe au Maroc plusieurs associations qui utilisent la culture comme moyen de prévention et de réduction de l’exclusion sociale.
La Fondation Ali Zaoua, portée notamment par l’artiste peintre et auteur Mahi Binebine et le réalisateur Nabil Ayouch, est née d’une conviction de ce dernier que la culture est un outil d’insertion socio-économique et de démocratisation.
A travers cette fondation, Nabil Ayouch mise sur les arts et la culture comme moyen de développement. En 12 ans d’existence, la Fondation a pu développer plusieurs centres culturels à travers le Maroc qui offrent aux jeunes marocains des espaces d’expression, de dialogue et de découverte, afin de leur permettre de se réconcilier avec leur environnement social tout en favorisant leur réhabilitation psycho-sociale. Les différents projets de la fondation, tels que la Positive School of Hip-Hop, la Ligue nationale de l’improvisation théâtrale Noujoum, ou encore le programme de musique Dream up connaissent un succès auprès de milliers de jeunes des quartiers défavorisés que ce soit à Casablanca, Marrakech, Tanger, Agadir ou Fès. « Le Hip m’a sauvé alors que je me sentais perdu », témoigne un jeune diplômé bénéficiaire du projet « Positive School ». Un témoignage révélateur du rôle de la culture auprès de la jeunesse marocaine.
Si les quelques rares associations qui font de culture un moyen d’épanouissement social, connaissent un engouement auprès des jeunes, en revanche, la fréquentation spontanée des différents lieux de culture (bibliothèque, cinéma, théâtre, musée…) reste faible, selon le CESE. Ceci s’explique par plusieurs facteurs : le manque quantitatif de lieux de culture, la qualité de l’animation, la dégradation des équipements, la faiblesse de l’offre en termes de contenu et le manque d’intérêt des citoyens.
Pour faciliter l’accès des jeunes à la culture, plusieurs mesures peuvent être entreprises, à savoir des tarifs subventionnés, des cartes d’abonnement, des abonnements à tarif réduit ou encore la gratuité d’accès à certains endroits où manifestations culturelles, à l’instar de ce qui se fait dans les pays développés.
En effet, la Charte européenne par exemple recommande aux collectivités locales et régionales « d’apporter leur appui aux activités socioculturelles organisées – dirigées par des associations et organisations de jeunesse, des groupes de jeunes ou des maisons de quartier –, lesquelles, avec la famille et l’école ou le travail, sont l’un des piliers de la cohésion sociale dans une commune ou une région…».
Selon cette Charte, participation sociale et participation culturelle sont inextricablement liées.
Au Maroc, même si le budget du Ministère de la Culture a pu connaitre une augmentation ces dernières années, celui-ci demeure insuffisant pour répondre aux besoins et aux attentes.
C’est dans ce sens que le CESE a appelé, dans son document pour le NMD, à placer l’accès à la culture et aux sports en causes prioritaires en investissant dans les infrastructures, les équipements et la valorisation des talents.
L’influence du sport
Le sport, tout comme la culture offrent des opportunités d’interactions sociales qui permettent de développer les connaissances et attitudes nécessaires à une intégration sociale. Si l’impact économique du sport est quantifié, son impact social ne fait pas l’objet de beaucoup de recherches.
Une étude américaine énumère les impacts du sport comme suit :
– l’impact sur l’individu dans le sens où l’activité physique permet une bonne santé aussi bien physique que mentale, diminue la dépression, l’anxiété, etc.
– l’impact sur la société dans le sens où le sport renforce le lien social, contribue à l’amélioration de la cohésion communautaire, à l’augmentation des performances scolaires, à la réduction de la criminalité/de la récidive, à la réduction des besoins en soins de santé, etc.
Le sport est un moyen de rapprocher les personnes et les communautés. Il n’y a qu’à prendre l’exemple des équipes locales ou nationales qui sont souvent, multinationales, encouragées et supportées par des spectateurs de diverses origines.
En France par exemple, le sport est souvent utilisé pour nouer le dialogue avec les groupes vulnérables et marginalisés. Les travailleurs sociaux se servent du football de rue, le sport populaire par excellence, pour entrer en contact avec les personnes vulnérables, ou en situation d’exclusion sociale, dans les quartiers « chauds ».
Cette activité en particulier compte beaucoup de sportifs qui sont admirés pour leur parcours et qui sont une véritable source d’inspiration pour beaucoup de jeunes de par le monde.
D’ailleurs, plusieurs ONG internationales font appels à des personnalités du monde de la musique, du cinéma ou du sport pour promouvoir leurs activités et leur mission auprès des populations en rupture.
Parmi les actions proposées par le CESE pour le NMD, le développement des infrastructures sportives et l’amélioration des conditions de leur utilisation dans le cadre d’un partenariat entre les institutions publiques et les organismes sportifs. Le CESE appelle également à développer les compétitions et les manifestations sportives et élargir l’identification des talents à travers la généralisation des mécanismes de convergence et de partenariat entre les établissements scolaires, les associations et les clubs sportifs.
Le sport peut sans aucun doute contribuer à l’action sociale, reste à trouver la formule adéquate pour en faire un outil pertinent.
Asmaa Loudni
Retrouvez le sommaire de notre Spécial Été : Maroc, l’urgence sociale