La Nouvelle Tribune: M. Cheddadi, comment lier les investissements des institutionnels à la situation économique actuelle et à ses besoins en la matière
M. Khalid Cheddadi: Il faut comprendre qu’un institutionnel a besoin d’investissements sécurisés, transparents, et rentables.
Il y a les obligations, celles de préférence garanties par l’État ou de grands émetteurs qui rapportent un rendement sécurisé et sans risque de non-remboursement à terme, grâce à la solvabilité des émetteurs.
Pour ce qui est des actions, les institutionnels préfèrent les actions cotées parce qu’elles sont liquides et qu’elles sont valorisées par le marché qui en fixe en permanence le juste prix.
Les actions cotées présentent également le grand avantage d’être surveillées par la Bourse et l’AMMC qui garantissent le respect d’une certaine transparence et de règles de gouvernance fixées par la loi.
Nos choix vont vers les actions qui sont liquides, sont correctement valorisées, délivrent un bon rendement ou ont de bonnes perspectives de développement.
Ceci étant, nous restons prudents et examinons de près notre exposition au marché boursier. D’autant que l’on a déjà fait le tour des valeurs cotées et que nous détenons de bonnes participations dans celles qui sont les plus attractives.
Ces alternatives restent toutefois limitées par rapport aux possibilités d’investissements des institutionnels.
A la CIMR, en valeur comptable dans notre portefeuille, les obligations et les actions ont pratiquement le même poids, mais en valeur marché, les secondes sont bien supérieures. Quant aux obligations, elles offrent aujourd’hui des rendements faibles, soit 3,32% pour le 10 ans.
Et alors, comment faites-vous pour mieux diversifier vos choix ?
Vu les alternatives que nous venons d’égrener, vous comprenez bien que l’éventail reste restreint et qu’il faudrait ouvrir aux investisseurs l’option du financement des infrastructures.
D’autant que le Budget de l’État ne peut pas faire face à tous les besoins d’investissements en même temps. L’équation à résoudre est de savoir comment rapprocher les capitaux disponibles chez les institutionnels des projets qui demandent des capitaux, compte tenu des capacités forcément limitées du budget de l’Etat, qui ne peut pas satisfaire tous les besoins d’investissements du pays en même temps.
La solution qui s’impose, c’est de faire participer les institutionnels qui sont des acteurs économiques qui peuvent investir sur le long terme et qui peuvent prendre des engagements stables dans le temps, au financement des projets publics.
A priori tous les investissements d’infrastructure peuvent intéresser le privé, il s’agit juste de trouver la bonne formule. Mais en partant du principe qu’il y a une catégorie d’investissements qui, intrinsèquement, ne peuvent pas être rentables.
Prenons l’exemple d’une autoroute. Il est clair qu’avec le foncier qu’elle exige, le coût des travaux pour sa réalisation, les délais de réalisation, les expropriations qu’elle nécessite, le privé ne peut supporter tout cela sous peine de proposer des tarifs hors de portée des usagers.
La formule appliquée un peu partout dans le monde, réside dans la mise en concession, par l’État, de tronçons d’autoroute finis et prêts à l’utilisation, avec un cahier des charges précis. Ce dernier impose le tarif à appliquer au public et fixe également les conditions d’entretien ainsi que les investissements qui s’imposent en conséquence. En contrepartie, les concessionnaires doivent verser à l’État des redevances annuelles pour l’exploitation de l’investissement public.
On fera déjà le constat que cette première formule n’existe pas chez nous alors que notre réseau autoroutier est de plus en plus dense.
Ce qui est dommage pour l’Etat aussi qui pourrait faire économiser à la société ADM les investissements d’entretien et en profiter, grâce aux redevances, pour financer d’autres projets. Les institutionnels marocains, qui ne sont pas des spécialistes de la gestion des autoroutes, pourraient investir en direct au côté des concessionnaires spécialisés, dans le cadre de consortium, sous forme d’une sorte de partenariat public-privé au final.
Par contre, d’autres investissements en infrastructures peuvent être directement rentables par concession directe au privé.
Par exemple, un marché municipal, comme il est nécessaire d’en avoir dans une ville, constitué de boutiques et qui créé par essence des revenus.
L’Etat peut apporter le terrain, le privé en construire les murs et les louer aux commerçants. La formule type existe aujourd’hui dans l’énergie avec TAQA qui exploite plus d’un millier de mégawatts et fonctionne selon ce schéma.
TAQA a fait un gros investissement contre une concession de l’État marocain sur 30 ans.
Elle revend sa production d’électricité à l’ONEE à un tarif défini dans le cahier des charges tout en réalisant des bénéfices pour rémunérer ses actionnaires.
Donc, cette formule pourrait être totalement appliquée pour le financement des gares, aéroports, ports ou encore écoles et hôpitaux ! Des petits aux grands projets, l’État peut associer le privé à ses propres conditions, dans des investissements publics en lui laissant prendre le relai pour alléger ses propres investissements.
Il dégagerait ainsi les moyens de mener plus d’investissements à travers le pays, éviter de laisser des projets dormir dans les cartons et de concentrer son intervention dans certaines régions au détriment d’autres.
Le Partenariat Public-Privé se manifeste notamment dans de gros projets publics comme TMSA. Est-ce le cas de la CIMR ?
En effet, il s’agit là d’un modèle de collaboration financière vraiment réussi !
Les institutionnels dont la CIMR, ont fait l’apport de la moitié des capitaux initiaux, ce qui a introduit une dynamisation de la gouvernance par la présence des actionnaires privés dans le fonctionnement de l’institution. Le conseil d’administration de TMZ fonctionne en symbiose parce que chaque projet mis sur la table respecte à la fois les exigences de l’État et donc l’intérêt public imposé par l’actionnaire public TMSA, mais aussi la rentabilité en prévoyant un retour sur investissements dans l’intérêt de tous les actionnaires. C’est ainsi que l’État lui-même permet de pérenniser l’investissement. Car, en dégageant des résultats, un investissement rentable augmente la capacité de réinvestir de l’Etat.
Ce genre de partenariat devrait bénéficier à des projets d’investissements pour améliorer les villes à tous les titres et permettre leur développement rapidement.
En outre, dans un second temps, les entreprises créées à cet effet pourraient s’introduire en bourse afin d’attirer d’autres capitaux, ceux des épargnants en l’occurrence.
Les institutionnels ne pourraient-ils pas exprimer leur intérêt envers le financement des projets publics ?
En effet, j’ai personnellement souvent eu à regretter que les institutionnels ne soient pas plus systématiquement invités à participer au financement des grands projets publics. Mais, surtout, j’insiste sur le fait que nous pouvons tout financer au côté de l’État, des petits projets à ceux structurants pour le développement des villes.
Je crois que la CDG commence à s’intéresser à ces nouveaux modèles de développement. Comme d’habitude, la CDG peut être un acteur novateur et se lancer dans ce type de financements en associant les institutionnels, permettant à l’Etat de concevoir des projets attractifs pour les investisseurs et les associer à un développement du pays plus rapide.
Pour favoriser le PPP et l’investissement, ne faudrait-il pas assouplir la réglementation telle qu’appliquée par l’ACAPS ?
Les investissements financés en partie par les institutionnels se traduiraient par des investissements immobiliers locatifs, une catégorie qui existe déjà dans la nomenclature de l’ACAPS qui permet aux institutionnels d’aller jusqu’à 30 % de leurs engagements.
Même TMZ qui se classe aujourd’hui dans le non coté peut être reclassé dans cette catégorie. Sachant qu’aujourd’hui, l’obligataire et les actions constituent l’essentiel des portefeuilles des institutionnels.
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli