Ilan Benhaim, Président Endeavor Morocco
Ilan Benhaim est une figure emblématique de la Tech française après avoir co-fondé à l’âge de 24 ans la plateforme Veepee en 2001, qui génère aujourd’hui plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Enfant du pays, promoteur actif du « giveback » qu’il pratique dans le domaine associatif en tant que président des Alumnis de NEOMA Business School ou encore à travers le fonds M-FOUNDERS dédié à la diaspora marocaine, il préside depuis peu au Maroc la prestigieuse organisation ENDEAVOR Morocco, dont le réseau mondial est réputé pour sa capacité à faire émerger des champions nationaux dans la catégorie très prisée des licornes.
Dans cet entretien réalisé en marge de la tenue de la seconde édition du GITEX Africa à Marrakech, il nous explique son approche pour construire et accompagner le développement des startups et des entrepreneurs, et la portée internationale que peut offrir Endeavor au Maroc.
La Nouvelle Tribune : Compte tenu de votre parcours, quel diagnostic faites-vous de la situation des entrepreneurs et du secteur des startups au Maroc ?
M. Ilan Benhaim : Il y a une différence fondamentale entre une start-up et une PME. Une PME est très bien gérée, gagne de l’argent et progresse lentement. À chaque fois que je veux embaucher quelqu’un, je réfléchis. J’attends de croître. À contrario, une start-up embauche dix fois plus de gens. C’est un grand pourvoyeur d’emplois et en plus très inclusif, parce que pour recruter vite, on n’est pas sélectif.
La disponibilité prime sur la compétence ou l’expérience. C’est d’ailleurs un peu le piège dans lequel tombent beaucoup de start-ups qui sont complexées par le fait qu’elles sont jeunes. Elles pensent que dès qu’elles ont de l’argent, elles vont pouvoir acheter les compétences qu’elles n’ont pas en les payant. Moi, je ne pense pas. Je pense que pour qu’une équipe soit efficace, il faut un entrepreneur très impliqué. À un moment, l’entrepreneur, parce qu’il est impliqué, parce que c’est son bébé, parce qu’il connaît tous les sujets par cœur, en a quelque chose à faire. De mon expérience, à chaque fois qu’on s’est développé à l’international et qu’on a pris des salariés, même chassés dans les plus grands groupes, les recrues n’ont pas la motivation chevillée au corps de l’entrepreneur. C’est une posture de salarié qui prime instinctivement.
Au Maroc, il existe donc de nombreuses PME très bien gérées qui atteignent les objectifs de leurs dirigeants. Mais elles n’ont pas forcément la capacité financière à se développer ou même parfois la volonté lorsqu’elles ont atteint un niveau qui leur convient, une forme de sécurité.
Je pense que le problème est que très rapidement, on a utilisé la terminologie de start-up alors que ce dont on a besoin dans le système économique marocain, ce sont des PME plus solides, plus structurées et, d’autre part, d’accompagner une réelle génération d’entrepreneurs jeunes. Et cela nécessite des ajustements pour répondre à leurs besoins spécifiques.
Comment faut-il construire et accompagner leur développement ?
Le plus fondamental est la compréhension que l’ADN d’une startup, c’est d’aller vite. Si la subvention obtenue est disponible au bout de six mois, cela n’a aucun intérêt. L’entrepreneur va se mettre en « survival mode » en attendant d’avoir sa subvention. Il ne va pas être en mode rapide et investir l’argent. Lorsqu’on interroge un grand incubateur de la place au Maroc qui investit 3 millions de dirhams dans une startup, on nous explique que la priorité est de prendre des bureaux, d’embaucher des gens, de gérer les aspects administratifs. C’est antinomique comme approche par rapport au rythme que doit suivre une startup. Nous devons accepter le droit à l’erreur et encore plus venant d’un jeune. Si on lui donne 3 millions de dirhams, il ne faut pas nécessairement que cela soit dépensé magnifiquement, parfaitement.
En Californie, chez ceux qui ont inventé le capitalisme, on vous explique simplement que si vous faites dix investissements, vous pouvez faire dix succès comme dix échecs. En revanche, sur 100 investissements, vous n’aurez certainement pas 100 succès, mais pas cent échecs non plus. Donc c’est une question de volume. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que sur les 100 qu’ils ont financés avec 20% de leurs capacités, il y a peut-être 80 qui vont mourir mais les 20 qui vont se démarquer méritent 80% des fonds restants.
L’autre enseignement des Américains, c’est que quand une start-up demande 1 million de dollars, on lui en donne deux aux États-Unis. Le raisonnement est que le premier million de dollars va lui servir à apprendre à dépenser le deuxième million de dollars comme il l’a pensé dans son BP. Ce n’est pas encore la démarche suivie au Maroc où pour 1 million demandé, on donnera 500 000 en trois fois avec des jalons. C’est de la subvention, pas de l’investissement parce qu’il y a un décalage entre les bailleurs qui ont des attentes en termes de réalisations au lieu de voir la courbe d’apprentissage de la structure, par exemple. En somme, le Maroc doit jouer sur la loi des grands nombres.
L’autre challenge identifiable au Maroc est qu’il y a peu de confiance en « peer-to-peer ». Il n’y a que des tiers de confiance. Je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un donc je peux travailler avec lui, mais prendre un jeune et lui donner 100 000 € sans qu’il ait mis la maison de ses parents en garantie, ce n’est pas gagné. Le second challenge, c’est qu’on n’investit pas assez d’argent. Il faut développer l’écosystème pour y répondre. Le rôle du business angel, par exemple, est de jouer ce trait d’union, ce tiers de confiance qui va permettre au jeune de combler ce fameux « equity gap » tout en lui donnant accès à des structures de financement.
Le Maroc a un potentiel indéniable, en témoigne la chasse constante à l’étranger de cerveaux marocains hautement formés, comme dans les domaines de l’ingénierie. Mais il faut réussir à changer de paradigme. Pour que des fonds internationaux ou lointains japonais, américains, etc. s’intéressent au Maroc, les BP des entrepreneurs marocains doivent arrêter de se limiter à projeter 10 millions de dirhams dans les 3 ans sur le « petit » marché marocain.
Le marché, c’est le monde entier. La langue, c’est l’anglais, le français, l’espagnol aussi. Je pense qu’il ne faut pas investir dans les startups marocaines mais dans la startup Maroc.
Il faut redynamiser l’écosystème dans lequel, par exemple, certains fonds ont fait leurs cinq investissements et ne sont plus capables d’en faire un sixième parce qu’ils n’ont pas de sourcing. Surtout lorsque cela s’explique par une volonté de ne financer que des projets d’une certaine maturité en faisant l’impasse sur le financement des débuts à plus grande échelle.
D’autant que ce qui est occulté dans le raisonnement global, c’est que normalement une entreprise, née startup ou pas, à partir du moment où elle atteint une certaine taille, si elle veut retrouver de l’agilité, il faut qu’elle rachète des entreprises plus petites.
Elle ne rachète pas tant d’ailleurs des structures que des équipes. Elles vont stresser un peu l’organisation avec des idées fraîches, du sang frais et ramener un dynamisme et de la croissance. Au Maroc, cela manque encore à l’écosystème existant, il n’y a pas de liquidité. Il faut plus de success stories, plus d’exemples à donner à notre jeunesse, aux femmes pour les motiver à entreprendre.
Tout cela contribue au développement d’une Tech nation qui a le potentiel de produire de la valeur ajoutée au niveau du pays et de l’exporter.
En tant que Président d’ENDEAVOR Morocco, une organisation à but non lucratif qui a identifié et accompagné plus de 90 licornes dans le monde, quelles sont les perspectives que vous identifiez pour le Maroc ?
ENDEAVOR est le plus grand et prestigieux réseau mondial de mentors entrepreneurs. Lorsqu’une entreprise est labellisée ENDEAVOR, elle accède sans difficulté aux financements et est sollicitée pour son attractivité. En conséquence, le processus d’adhésion en tant que mentor est à lui seul extrêmement sélectif et se base sur une contribution qui a pour but d’entretenir le réseau et ses moyens. Cela garantit l’implication des mentors qui agissent comme lorsqu’ils investissent dans une startup. ENDEAVOR est présent dans 42 pays avec environ 800 employés et cible beaucoup les pays émergents. Pourquoi ? Parce que c’est là que le potentiel de croissance de licornes est le plus élevé, par opposition aux pays développés qui sont déjà des marchés mûrs, voire saturés.
À travers des antennes locales structurées autour d’un Président et d’un board, chaque pays membre est ainsi encouragé à développer l’émergence de ces fameuses licornes, des champions nationaux en quelque sorte. Toutes les entreprises candidates du Maroc ou d’ailleurs sont soumises au même processus de sélection, effectué en grande partie au siège de l’organisation à New York, avec des exigences élevées et des prérequis tels qu’un minimum de 5 millions de dollars levés par la structure et un chiffre d’affaires d’au moins 10 millions de dollars. C’est une fabrique mondiale de licornes et le Maroc a tout intérêt à accélérer son arrimage à ce type d’organisations, c’est l’ambition du nouveau board que je dirige en tant que Président d’ENDEAVOR Maroc.
Nous avons d’ailleurs organisé récemment notre premier « Local Selection Panel » depuis 2017 à Casablanca, un événement clé de l’organisation qui a pour objectif de sélectionner des entreprises pour représenter le Maroc aux International Selection Panels d’ENDEAVOR qui se tiendront à Nairobi, Dublin et Miami cette année. Trois startups marocaines s’y sont démarquées, VelyVelo, YolaFresh, Kinetix et ont convaincu un jury composé d’entrepreneurs ENDEAVOR égyptiens et de dirigeants marocains aux profils aguerris, qui ont évalué leur potentiel de croissance, leur stratégie commerciale et leurs qualités de leadership. Nous avons espoir qu’à travers ce type de sélection, le Maroc sera en mesure de briller à l’international à travers de belles success-stories.
Propos recueillis par Zouhair Yata
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