Dans l’interview ci-dessous, Mme Nezha Hayat, Présidente de l’Autorité Marocaine des Marchés de Capitaux, AMMC, a bien voulu partager avec nos lecteurs sa vision de propulsion des sociétés cotées au niveau des benchmarks internationaux, précisant que « les investisseurs sont plus regardants sur les aspects extra financiers de l’entreprise tels que ses impacts environnementaux, ses relations sociales et son système de gouvernance ».
De même qu’en s’associant à la bourse des valeurs, l’AMMC démontre qu’elle s’inscrit dans la même démarche, tenant au respect de valeurs communes des « Sustainable Stock Exchanges » qui réunissent 60 bourses de par le monde.
La Nouvelle Tribune :
Mme Hayat, après le guide pour les « Green Bonds », l’AMMC, avec la Bourse de Casablanca, publie un « Guide sur la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et le reporting ESG (Environnement, Social et Gouvernance) ». Le concept du guide est-il une nouvelle démarche de l’autorité des marchés pour régulariser ou imposer certaines pratiques de management dans les sociétés cotées ?
Mme Nezha Hayat :
Le régulateur a toujours prôné une démarche d’accompagnement et d’encadrement des émetteurs et la publication des guides s’y inscrit parfaitement, car ils permettent de répondre aux questions fréquemment posées par les parties prenantes concernées, tout en abordant les thématiques sous un angle simplifié et didactique. Cette culture de publication de guides est bien instaurée au sein de l’Autorité, puisque plusieurs thématiques importantes, outre celles citées, ont été abordées par le passé à travers des guides dédiés, telles que la communication financière, les IPO, la participation des actionnaires aux assemblées, etc.
Toutefois, le changement majeur en la matière réside dans le choix des thématiques traitées. L’Autorité adopte désormais une approche proactive visant à identifier les nouvelles tendances et meilleures pratiques sur les marchés internationaux, pouvant constituer des leviers de développement de notre marché. Celles-ci sont ensuite adaptées aux spécificités locales puis diffusées à travers des guides, à la fois didactiques et pratiques, permettant d’impulser leur adoption par les acteurs du marché. Cette approche permet également de préparer graduellement le marché à l’instauration de futures exigences réglementaires.
La manière de concevoir et de diffuser lesdits guides a également évolué pour devenir plus inclusive. En effet, le feed-back des acteurs du marché est recueilli plus en amont à travers l’organisation de conférences de présentation, puis de consultations publiques sur les projets de guides avant leur adoption définitive.
Il s’agit donc d’une approche plus participative, permettant d’assurer une plus large diffusion et appropriation des guides que publie l’AMMC.
Lors de la conférence, vous avez abordé un contexte de parution spécifique et précisé que ce les recommandations de ce guide faisaient partie des engagements du Maroc en faveur du développement de la finance durable. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Il faut rappeler que notre pays, hôte de la COP7 et de la COP22, a marqué un engagement fort qui se manifeste aussi bien sur le plan institutionnel qu’au niveau des grands projets développés au sein du Royaume.
Le secteur financier n’est pas en reste et après la création en 2014 de deux OPCVM, qui intègrent explicitement la notion d’investissement socialement responsable dans leurs stratégies d’investissement. Les Green Bonds ont fait leur apparition sur le marché marocain en 2016, tandis que la Bourse de Casablanca a adhéré à l’initiative « Sustainable Stock Exchanges » (SSE) des Nations Unies qui compte plus d’une soixantaine de Bourses à travers le monde.
Plus récemment, les régulateurs et acteurs institutionnels du secteur financier marocain ont élaboré et adopté les feuilles de route de l’alignement du secteur financier marocain sur le développement durable et celle visant le développement de la finance durable en Afrique.
Le guide RSE-ESG présenté aujourd’hui contribue à l’intégration du secteur financier aux objectifs de développement durable et vient répondre aux engagements pris par le secteur financier marocain en la matière.
Comment s’articulent le guide RSE et le reporting ESG? Quelles sont les obligations qui s’imposent aux sociétés cotées en la matière ? L’AMMC en contrôlerait-elle l’exécution ?
Le guide a été conçu pour promouvoir la culture de la RSE auprès des sociétés faisant appel public à l’épargne et il en détaille les meilleures pratiques.
La transparence étant un principe fondamental dans toute démarche RSE, le guide explique en quoi le reporting ESG constitue le canal d’information privilégié en la matière, et comment il doit être bâti pour permettre d’informer efficacement sur les dispositifs RSE mis en place, les moyens alloués pour les suivre et, lorsque cela est possible, sur leur contribution à la performance économique et financière. Enfin, le guide fournit une série de recommandations et de bonnes pratiques pour l’élaboration du rapport ESG.
En quoi les performances du management constitueraient-elles une condition de performance du marché et renforceraient-elles son attractivité ?
La performance et l’attractivité d’un marché sont tributaires, entre autres, de la performance et de l’attractivité des valeurs qui y sont traitées. Toutefois, il est impératif de bien communiquer sur ces performances pour qu’elles se reflètent à l’échelle du marché.
Aujourd’hui, il est avéré que les performances purement financières ne sont plus suffisantes pour apprécier correctement le profil de risque et de rendement d’un émetteur donné ; les investisseurs sont plus regardants sur les aspects extra-financiers de l’entreprise tels que ses impacts environnementaux, ses relations sociales et son système de gouvernance.
Pour améliorer l’attractivité de notre marché, nous devons donc améliorer la performance de nos entreprises sur l’ensemble de ces registres par l’encouragement de l’adoption de la RSE, et surtout bien communiquer sur ces performances à travers le reporting ESG.
Il est certain qu’aujourd’hui, les petits porteurs et les institutionnels recherchent de nouvelles opportunités de placements et d’investissements en bourse. Comment concilier cet impératif avec la mise en valeur de déterminants qui ne sont pas exactement financiers ?
L’exigence d’informations extra-financières permet aux investisseurs de disposer d’une information plus complète sur les réalisations, les perspectives et les risques des différents émetteurs. Ils peuvent ainsi prendre des décisions d’investissement mieux fondée.
Aussi, l’introduction du reporting extra-financier permet une meilleure différentiation entre les émetteurs de la place, favorisant ainsi des valorisations plus justes des dits émetteurs.
Enfin, le reporting extra-financier permet aux investisseurs de s’assurer que les investissements qu’ils réalisent répondent effectivement à leurs objectifs particuliers, par exemple dans le cadre d’approches d’investissements socialement responsables ou verts. Ainsi, l’introduction du reporting extra-financier est susceptible de favoriser l’émergence et le développement de nouveaux segments du marché tels que les fonds ISR, Investissement Socialement Responsable.
Vous avez annoncé lors de votre récente conférence de presse la prochaine publication du Règlement Général de l’AMMC au Bulletin Officiel. Quand pensez-vous que ce règlement général sera officiellement mis en œuvre ?
En effet, avec l’adoption de ce texte et la mise en œuvre des dispositions qu’il contient, l’AMMC sera dotée de l’ensemble des instruments prévus par le législateur pour lui permettre d’accomplir pleinement les missions qui lui incombent. Le règlement général nous permettra notamment de mettre en pratique un certain ensemble d’outils, dont nous aurons l’occasion de proposer aux professionnels du marchés des capitaux, aux émetteurs et société qui font appel public à l’épargne et aux médias, des présentations exhaustives, très rapidement. Nous l’espérons !
Entretien réalisé par Afifa Dassouli