La traditionnelle « City Week » qui a lieu à Londres chaque année au printemps s’est tenue les 25 et 26 mai derniers au Guidhall, dédiée, comme à l’accoutumée, aux services financiers mondiaux.
Mais cette édition était la première à se tenir depuis le vote majoritaire des Britanniques en faveur du Brexit, alors que la City revendique hautement sa qualité de première place financière mondiale.
Et c’est dans ce contexte que les organisateurs de la City Week avaient tenu à placer leur forum sous la thématique « Services financiers mondialisés : Les perspectives stratégiques du Royaume-Uni ».
Une thématique d’une réelle actualité alors que les négociations pour la sortie britannique du cadre unitaire européen sont sur le point de commencer et que le Premier Ministre Theresa May a convoqué des élections législatives dans l’espoir de disposer d’un mandat solide pour parvenir à ses objectifs face à l’Union européenne.
La City, for ever ?
Deux jours durant, de la séance inaugurale, marquée par les interventions de M. Maurice Button, Président de City Week, Andrew Parmley, Lord Maire de Londres ou Anthony Belchambers, Président du Conseil Honoraire du Forum des Services financiers, aux successives tables rondes, personnalités du monde de la finance internationale, analystes, experts ont passé en revue les atouts et les perspectives pour la place de Londres dans le contexte de la globalisation des services financiers.
Mais, si les atouts de la City sont réels et indiscutables, les perspectives ne sont plus tout aussi évidentes, même si la plupart des intervenants ont voulu se convaincre et convaincre que le Brexit ne modifierait pas fondamentalement pas la donne !
Comme l’a affirmé M. Button, Président exécutif de City Week, la Finance se constitue d’une rue à New York, Wall Street, d’un district à Francfort, tandis qu’à Londres, c’est une cité tout entière !
D’ailleurs, même si le Brexit pourrait engager certains grands opérateurs financiers mondiaux à choisir une relocalisation de leur business à Francfort, Luxembourg ou Paris, les défenseurs de la City considèrent que Londres dispose d’atouts incomparables comme par exemple les liens étroits tissés avec la Chine et ses banques, l’Inde, qui tient de très solides perspectives en termes de croissance économique et qui est historiquement très liée à la Grande- Bretagne ou encore les Etats-Unis dont le président, Donald Trump, affirme ouvertement son soutien au Brexit et son attrait pour la place de Londres.
Voilà pourquoi, à l’instar des intervenants de la table ronde consacrée aux « opportunités stratégiques pour l’industrie britannique des services financiers », il faut examiner les challenges et les perspectives à venir sous l’angle des prochaines élections législatives, assurer le succès du Brexit, s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques, etc.
Car il est évident qu’il s’agit de préparer les services financiers britanniques et la place de Londres à l’ère post-Brexit, mais aussi aux conséquences de la sortie de l’Union européenne, afin de garantir la compétitivité de la City et de ses opérateurs, en continuant d’offrir une attractivité exemplaire, notamment aux nouveaux partenaires économiques et commerciaux d’un Royaume-Uni libéré des « contraintes européennes ».
Pour des spécialistes comme M. Maurice Obsfeld, conseiller économique et Directeur du Département de la Recherche au FMI, son collègue le chef économiste Ted Chu ou Stephen Booth, directeur de Recherche auprès de l’Institut « Open Europe », le post-Brexit et la nouvelle ère de « America First », doctrine chère à Donald Trump, le futur du commerce mondial est assombri par un nuage d’incertitudes. Le devenir des relations avec la Chine, la Russie ou encore la migration du centre de gravité de l’économie vers l’Asie, induisent des incertitudes notamment celle d’un renforcement des pratiques protectionnistes qui pourraient affecter le commerce mondial et partant, impacter négativement la croissance de toutes les économies.
Mais, selon plusieurs experts, la transition vers une Grande Bretagne « globale », c’est-à-dire débarrassée des liens « contraignants » (selon eux) avec l’Union européenne, devrait induire une pléthore de nouveaux et positifs accords de Libre Échange et de nouvelles opportunités.
Et c’est dans un tel contexte de changements sans précédent que la place financière de la City devrait évoluer.
Voilà pourquoi les enjeux du post-Brexit sont cruciaux pour les fonds et les banques européennes habitués à réaliser plus de 75 % de leur business jusqu’à présent à partir de la City. Cela pourrait-il changer ?
Pour Lord Blackwell, Président de Lloyds Banking Group, ou encore Miles Celic, Directeur général de « the CityUK », les atouts de Londres sont incomparables, notamment parce que les rendements offerts par la City, son attractivité fiscale et ses liens avec le monde international de la Finance sont trop forts pour être facilement « challengés » par d’autres places, telles Francfort ou Paris.
C’est pourquoi, il convient dès à présent de mettre en place les nouveaux paramètres de la régulation financière, afin de l’adapter à l’ère post-Brexit qui se dessine. Certains pensent, entre autres, à un système de régulation national qui permettrait un accès aux marchés financiers mondialisés à partir d’une adaptation de ce système aux normes internationales.
Mais toutes ces interrogations et incertitudes, nées des changements politiques et géopolitiques, ne devraient pas empêcher la réflexion et la prise en compte des nouvelles donnes dans le domaine de l’intelligence artificielle appliquées au système financier.
En effet, les services financiers sont l’un des secteurs les plus réglementés au monde, un secteur complexe où la réglementation influe sur la rapidité des changements et leur nature. L’environnement réglementaire mondial devient de plus en plus complexe pour les dépositaires et sous-dépositaires internationaux ainsi que leurs clients. Pour tous les acteurs du marché, ne pas respecter la réglementation ne constitue pas une option. Cependant, le poids de la réglementation se fait de plus en plus sentir et dans certains cas, elle ressemble à une cible mouvante. En parallèle, une quantité importante de données sont partagées et exploitées en raison des exigences réglementaires, en particulier en matière de reporting.
Les RegTech, un sous-ensemble des FinTech, font leur apparition pour aider les sociétés à s’éloigner du concept du « big data » et à se rapprocher de celui du « smart data », ou données intelligentes. Pour les institutions financières, il s’agit d’une exploitation beaucoup plus intelligente des données qui leur sont demandées par les autorités réglementaires. L’industrie est actuellement submergée de données, dont la plupart ont peu de sens. Les RegTech aideront les organisations à avoir une vision plus affinée des données elles-mêmes.
L’industrie financière est donc interpellée par les « Reg-Tech » et la place de Londres, comme l’a montré l’une des table-rondes de la City Week entend bien être dans ce mouvement stratégique pour les services financiers mondialisés.
Cet aspect de la nouvelle finance mondiale ne saurait être dissociée des graves menaces qui pourraient l’affecter et, à la City, la dernière cyber attaque massive subie, connue sous l’appellation de « WannaCry », n’a pas été sans impacter les débat du forum de City Week 2017.
En effet, la criminalité informatique cause des dégâts financiers énormes de par le monde, comme la perte de 81 millions de dollars par la Banque Centrale du Bangladesh en novembre 2016 ou encore les 2,5 millions de dollars dérobés aux 9000 clients de Tesco Bank la même année.
Les cyber-attaques ont augmenté de 29 % entre 2013 et 2016 et contenir de tels méfaits, les prévenir et les combattre sont devenu des priorités pour l’industrie financière.
La cyber-sécurité interpelle tous les acteurs, toutes les places, ce qui explique que les uns et les autres s’emploient désormais à l’incorporer dans leurs process, actions et outils, comme l’a démontré la table-ronde dédiée à la problématique « cyber-crimes, défenses innovantes contre attaques innovantes ».
Quelle place pour la Grande-Bretagne ?
Si le post-Brexit et la doctrine inspirée de Donald Trump, « Global Britain » ont dominé les travaux de la première journée de la City Week, la seconde s’est particulièrement attachée à examiner le devenir de la City et de ses services financiers dans un monde ouvert et globalisé.
Cette volonté est née de l’objectif des dirigeants britanniques de retrouver la centralité du Royaume-Uni et de son économie dans le cadre du Commonwealth, cet ensemble mondial hérité de l’ère coloniale et tombé en désuétude à cause de la préférence accordée à l’Union européenne.
Les services financiers de la City devront donc se mettre en ordre de marche pour appliquer la nouvelle politique économique qui sera celle de l’ère post-Brexit, faite de multiples accords de Libre-Échange avec de nombreux pays de par le monde et tout particulièrement avec les membres du Commonwealth, ces anciennes colonies de « Sa Gracieuse Majesté la Reine ».
Tout réunit lesdits membres avec la Grande-Bretagne, un passé commun, des liens anciens et étroits, la même langue d’expression. Londres veut donc conclure des accords de Libre-Échange avec la majorité sinon la totalité des 53 Etats membres du Commonwealth, répartis sur six régions du monde, et représentant presque le tiers de la population mondiale, soit 2,3 milliards d’individus !
Le potentiel du commerce avec ces pays est donc énorme alors qu’ils représentent aujourd’hui 15 % de l’économie mondiale et constitueront la plus grande zone économique du monde en 2050.
N’oublions pas en effet que parmi les Etats du Commonwealth figurent des pays comme l’Inde, le Bangladesh, Singapour, les Etats anglophones d’Afrique, l’Australie, la Nouvelle Zélande, etc.
Et la volonté de Mme May et de son gouvernement est d’aller très rapidement vers des accords de Libre-Échange avec l’Inde, l’Australie, le Canada, Singapour, l’Afrique du Sud, qui présentent les meilleurs potentiels.
Enfin dernière préoccupation des financiers et opérateurs de la City, la perspective d’un partenariat entre les industries financières britannique et américaine à la lumière de la nouvelle donne politique exprimée par Mme May et M. Trump.
En effet, un changement politique d’importance est intervenu ces dernier mois, tant à Londres qu’à Washington. Certes, une « relation spéciale » existait déjà entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, mais les derniers développements énoncent des rapports plus étroits pour l’avenir. Les Britanniques et les Américains sont pour l’un et l’autre pays, les plus gros investisseurs étrangers, occupant par leurs investissements croisés la place de plus grands créateurs d’emplois, soit un million de postes réciproquement.
Et si l’investissement britannique est le premier des grands investisseurs en Amérique, les Etats-Unis sont le premier investisseur en Grande-Bretagne, avec 49 % du total des IDE.
Donald Trump a ouvertement exprimé son intérêt pour un traité de Libre-Échange avec Londres et un assouplissement de la régulation financière de son pays pour une externalisation plus conséquente.
A la City, ces perspectives sont accueillies avec « ferveur » et on sent les opérateurs financiers pressés d’en finir avec les négociations du Brexit afin d’avoir les mains libres pour mettre en place leur propre système de régulation pour les services financiers afin de booster le partenariat anglo-américain dans la Finance.
Une stratégie qui s’appuierait également sur l’expérience des Britanniques dans le partenariat public-privé, PPP, et qui pourrait profiter dans le financement des infrastructures, un champ d’opérations financières particulièrement prometteur aux Etats-Unis…
Alors que les dernières table-rondes d’une City Week très orientée sur la nouvelle donne post-Brexit et la doctrine America First s’attelaient à décliner les atouts de pays comme l’Inde et la Chine, on aura compris que Londres, en tant que place financière internationale, se positionne désormais dans deux axes stratégiques.
Le premier est de montrer que la sortie de l’Union européenne ne sera pas trop dolosive pour la City et que les plus grands opérateurs financiers y demeureront, malgré la volonté de concurrence de places comme Paris ou Francfort.
Le second axe sera de faire en sorte que ce post-Brexit constitue le point de départ d’un nouvel essor économique et financier de la Grande-Bretagne, à la fois vers les Etats membres du Commonwealth, mais aussi tous ceux qui voudront bien conclure de nouveaux traités de Libre-Échange avec Londres, et en premier les Etats-Unis.
Une perspective que le Royaume du Maroc, partenaire fidèle et ancien du Royaume-Uni, se devrait d’examiner avec réalisme et esprit d’opportunité, alors que le partenariat économique est bien installé et que les institutions financières marocaines travaillent déjà avec la City et ses différents opérateurs (London Stock Exchange, CityUk, etc…).
DNES à Londres,
Afifa Dassouli