La transformation digitale est un terme qui est repris et répété souvent à outrance depuis de nombreuses années, jusqu’à parfois en perdre son véritable sens. C’est pourquoi on a tendance à parfois oublier que la transformation digitale n’est pas un terme utilisé par les entreprises pour se faire mousser quand elles font un site web ou une application, mais bien un changement en profondeur d’une société ou même d’un Etat à tous ses niveaux de fonctionnement, des procédures aux ressources humaines. Elle a pour but d’optimiser et de fluidifier, en s’appuyant sur les outils numériques, toutes les opérations et fonctions de l’entité. Elle a permis à certains pays de faire quasiment disparaître la circulation du cash, et a poussé des entreprises centenaires à se réinventer totalement.
C’est dans l’idée de redonner ses lettres de grâce à ce terme qu’AOB Group, accompagné par Orange Maroc, Huawei et Finatech Group, et avec le soutien de l’AUSIM et de Maroc PME, ont organisé le 7 juin 2022 la 1ère édition du forum de la transformation digitale, sous le thème « Les Entreprises et la Transition Numérique ? Bonnes Pratiques & Nouvelles Opportunités pour Réussir ». L’événement a réuni représentants marocains du gouvernement, top management des acteurs numérique de premier plan, ainsi qu’experts internationaux venus présenter des retours d’expériences et best practices avec le public marocain. Retour sur les moments marquants de l’événement.
Un levier de changement transverse
Ahmed Laamoumri, Secrétaire Général du ministère de la Transition numérique, a rappelé dans son discours d’ouverture l’importance du digital, « un levier de changement transverse », et la place que le Maroc lui accorde dans ses stratégies de développement, notamment dans le cadre du nouveau modèle de développement. Emettant l’espoir que ce rendez-vous devienne annuel, il a rappelé que « le Maroc a déployé des politiques en vue de favoriser le numérique » depuis 1999 avec la première politique de promotion du digital. Si « les changements induits par ces différentes stratégies ont mené à de véritables progrès », la « dynamique n’est ni égale ni convergente », a-t-il regretté, notant que si « certaines administrations ont offert des services digitaux de qualité », « certains services ne sont pas à la hauteur des attentes des usagers ». Et comme une administration qui affiche des stades de développement différents ne peut pas fonctionner de manière optimale, « un nombre de mesures urgentes s’imposent ». Il a ainsi cité la nécessité de mettre en place « une stratégie nationale de transformation digitale, avec un cadre réglementaire adapté et agile, accompagné de la mise à niveau des infrastructures numériques, du développement de la recherche, et enfin de la dynamisation de l’industrie digitale pour qu’elle soit compétitive ». Cela nécessite la « conception d’une feuille de route à court, moyen et long termes », afin de « mieux optimiser les parcours citoyens ». Avec une loi 55-19 « révolutionnaire, qui pousse l’administration à se remettre en cause en continu », il s’agit de digitaliser toutes les procédures administratives dans un horizon de 5 ans. Il a également appelé à renforcer l’image digitale du Maroc, à travers la préparation d’une politique intégrée de développement numérique, et d’un contenu numérique national adapté à but éducatif et culturel.
L’aspect universel de la transformation numérique a été relevé par Hendrik Kasteel, Directeur Général d’Orange Maroc, qui a expliqué que « la transformation digitale change la façon qu’une organisation opère », et que « travail, culture, tous les aspects de l’organisation font partie de ce process ». Et si « pour beaucoup de sociétés, la transformation digitale est motivée par la baisse des charges et l’augmentation des profits », elle « permet aussi une meilleure expérience client, d’améliorer la collecte de données et la prise de décisions par la donnée ». Et d’inviter toutes les sociétés souhaitant opérer ou poursuivre leur transformation à se faire accompagner par un expert, comme Orange Maroc.
Un appel repris par Terry HE, président de Huawei Afrique du Nord, qui a déclaré que pour le géant chinois, le Maroc est l’un des marchés les plus importants avec un grand potentiel, et que Huawei est prêt à accompagner les secteurs public et privé marocains.
De son côté, Hicham Chiguer, président de l’AUSIM, a expliqué que le digital ouvre un potentiel de développement souvent sous-estimé. Pour une entreprise, il peut être simplement synonyme de performances et gains, mais il peut même mener à la création de nouveaux business modèles et marchés. D’ailleurs, selon l’ONU, les plus grands leviers de développement sont le digital et le capital humain, pour les Etats comme pour les entreprises. Par contre, il a noté qu’il existe une urgence dans la transformation digitale, car « d’autres pays se lancent pour relever les mêmes challenges », ce qui crée une compétition féroce. C’est pour cela que l’Ausim concentre ses efforts sur la création d’un écosystème digital qui mettra en avant plus de champions nationaux.
Melih Murat, directeur associé Recherche des marchés du Moyen Orient, Turquie et Afrique (META) chez IDC, premier fournisseur mondial d’intelligence de marché, a pour sa part dressé l’état des lieux des investissements digitaux dans le monde, pour en tirer les principales tendances. Le premier point marquant de sa présentation était le changement de mentalité en ce qui concerne l’investissement dans le digital. Quand avant les années 2010, le digital était considéré comme un « luxe », un « bonus », maintenant c’est une composante essentielle de la stratégie de développement des entreprises et pays. En effet, lors de la crise de 2008, les investissements digitaux ont nettement baissé, accompagnant la chute de croissance. Par contre, en 2020, si les revenus et autres PIB ont baissé, l’investissement dans le numérique est resté stable, et a même parfois augmenté. « Dans le monde, les gens investissent pour que leur concurrence ne les dépasse pas », a-t-il expliqué, insistant toutefois sur le fait qu’une entreprise doit également générer des revenus par le digital pour pleinement en tirer profit. Le développement du digital dans les nations fait face à des challenges comme la pandémie, l’internationalité des compétences (donc la difficulté de rétention des cerveaux), et les contraintes géopolitiques. Il est favorisé par les demandes des clients, l’innovation, et l’appui des gouvernements. Et de manière transverse, il est guidé par les normes sociales qui changent, la dimension environnementale, et les changements systémiques dans l’industrie (par exemple les voitures électriques ou autonomes).
Une forte compétition mondiale
Les experts de Huawei ont également présenté l’importance du numérique dans l’économie mondiale, ainsi que la philosophie de transformation digitale du géant chinois. Victor Varela, Cloud CTO Huawei North Africa, a expliqué que le PIB digital chinois représente 36,2% du PIB total, et 67,7% de sa croissance. Des chiffres qui donnent le vertige ! La part des investissements digitaux sera ainsi passée de 36% en 2020 à 50% en 2023. Ses conseils pour réussir sa transformation digitale : s’approprier le projet qui doit être aligné sur la stratégie du pays ; s’appuyer sur un partenaire technologique est important pour définir l’architecture du cloud, surtout pour être cloud-native ; la formation et la participation du secteur privé, la réglementation, etc., sont aussi des briques essentielles.
Pour sa part, Mahmoud Medhat, Directeur de la Transformation Digitale du Open Lab Afrique du Nord de Huawei, a relevé trois dimensions essentielles de cette transformation : l’économie, la société, et la gouvernance. « On ne peut pas importer de l’expérience digitale sans considérer ces trois éléments », qui sont dérivés des objectifs de développement durable de l’ONU. Les pays qui implémentent ces 3 dimensions sont ceux qui vont le plus vite, et qui profitent de certains facteurs de réussite : des objectifs clairs, un plan d’exécution solide et des indicateurs clés de succès préétablis : « Il faut être clair sur les objectifs et la façon dont on mesure les progrès ». 170 pays ont une stratégie digitale, 50 ont une stratégie pour l’Intelligence Articielle AI… Une vraie concurrence que le Maroc devra affronter s’il veut s’imposer comme digital nation avec un rayonnement au-delà de ses frontières.
Notons qu’en marge de la conférence, Orange et Huawei ont signé deux conventions de partenariat. La première porte sur le renforcement des compétences en TIC chez les nouvelles recrues de l’opérateur télécoms, tandis que la deuxième porte sur le partage d’expériences entre les deux entités pour le développement de solutions TIC innovantes au service des entreprises marocaines.
Selim Benabdelkhalek